Vous êtes président des IME (le réseau national des Instituts du Mentorat Entrepreneurial dédiés aux PME à forte croissance) et président de la Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris. Depuis vos débuts, le monde de la création d'entreprise est-il le vôtre ?
Dominique Restino (DR). Oui, indéniablement. En 1986, à 24 ans, j'ai créé ma première entreprise avec deux amis : une agence de recrutement et d'intérim avec un réseau d'agences où l'on faisait travailler 1200 personnes par jour. On l'a revendue 20 ans après avec un chiffre d'affaires de 35 millions d'euros. A l'époque, on ne se disait pas " je veux faire de l'entrepreneuriat ". Je devais gagner ma vie et j'avais envie d'essayer. Depuis, je consacre ma carrière au monde de l'entreprise et à l'entrepreneuriat, avec pour mission principale d'accompagner les jeunes qui sortent d'écoles à se lancer.
Comment définiriez-vous votre fibre entrepreneuriale ?
Bénédicte Sanson (BS). Je n'aimais pas être dans une organisation et dépendre d'une hiérarchie. J'avais pleins d'idées et voulais aller vite. A l'époque, c'était moins facile d'entreprendre et j'ai mis du temps à me lancer. J'ai fondé seule ma première entreprise, Florescens, pour aider les TPE françaises à trouver leur marché. J'ai tout de suite été attirée par l'univers des TPE et PME car ce qui m'importait et m'importe encore, est de voir concrètement mon impact et c'est plus facile à observer sur les petites structures. Passionnée de marketing, je constatais que les entreprises qui n'avaient pas de stratégie marketing seraient vite dépassées et avec Florenscens, je me suis lancée sur cette idée d'aider les TPE à structurer leur approche marketing.
Comment vos routes se sont-elles croisées ?
BS. Je me suis lancée avec la peur au ventre car j'étais seule et sans accompagnement hormis quelques aspects pratiques. Je me questionnais sur ma façon de m'y prendre au moment où Dominique Restino ouvrait (en 2007) le programme Mentorat à la CCI Paris Ile-de-France, dédié aux entreprises à très fort potentiel de croissance. Bien sûr, je ne répondais pas aux critères mais j'ai eu envie de le rencontrer. Il a mis mis neuf mois à me répondre mais quand on s'est rencontrés, on a compris que l'on partageait les mêmes valeurs. Il m'a fait part de l'un de ses projets : celui qui allait devenir le Moovjee.
Comment est née l'idée de créer le Moovjee ?
DR. J'ai découvert le mentorat au Québec en 2005 et cette approche de l'accompagnement est devenue ma ligne conductrice. Jeune élu à la CCI Paris Ile-de-France j'ai rapidement constaté que 97% des entreprises françaises avaient moins de 20 salariés. J'étais convaincu par l'idée que pour faire grandir les entreprises, il faut faire grandir les entrepreneurs. Non pas sur la technique, mais sur la " posture ", la culture d'entreprise qui est la l'axe majeur d'une entreprise.
C'est ce qu'incarne pour moi le mentorat. Je considérais que créer pour reprendre une entreprise était un vrai choix de vie. Avec Bénédicte Sanson, on partageait totalement ce point de vue. Notre idée était d'accompagner ces jeunes de 18-30 ans dans la reprise ou la création car il y avait un vrai potentiel chez ces jeunes que l'on ne valorisait pas suffisamment. Je savais que sii je ne créais rien en ce sens, je le regretterai toute ma vie, alors on s'est lancé et le Moovjee a vu le jour en 2009.
Quelles sont les valeurs fondatrices du Moovjee et vos principaux axes d'accompagement ?
DR et BS. La jeunesse est au cœur de notre philosophie et le Moovjee est fondé sur un engagement fort de confiance dans la jeunesse, de bienveillance et de partage. La jeunesse est la première richesse naturelle d’un pays. Pour un pays au cœur du monde, il faut une jeunesse qui sache bâtir son avenir. Et chaque jeune doit avoir la possibilité de choisir l’entrepreneuriat (création ou reprise d’entreprise) en première vie professionnelle, quelle que soit sa formation et quel que soit le secteur d’activité.
Sur cette philosophie, nous avons orienté nos actions sur trois axes : un accompagnement personnel centré sur un programme de mentorat, la promotion de l’entrepreneuriat jeune et l'animation d'une communauté avec des échanges croisés inter-générations.
Sur quoi repose le mentorat et la relation qu'il engendre ?
BS. Le mentorat est un accompagnement personnel à caractère confidentiel, apporté par un entrepreneur expérimenté (le mentor) à un entrepreneur débutant (le mentoré) ou faisant face à de nouveaux défis durant un an. Le mentor ne donne pas de conseil mais accompagne, motive, aide à la prise de recul et favorise le développement du savoir-être du mentoré par le questionnement et l’ouverture du champs des possibles - avec pour finalité de contribuer à la croissance de l'entrepreneur, et donc, de l’entreprise.
DR. La relation mentorale est une relation interpersonnelle de soutien, d’échanges et d’apprentissage. En 2013, j'ai créé avec l’état la "Charte du Mentorat pour Entrepreneurs " où j'expose les fondamentaux de la relation. Le mentor et le mentoré ne sont pas dans le même secteur d'activités et s'engagent en toute confidentialité car cela permet de réellement parler. Ils se choisissent même si on aide à construire les binômes. On a un mentor pendant un an car on doit entrer en profondeur dans le sujet avant de se livrer totalement. Et le socle de la relation, c'est la confiance et la bienveillance. L'expérience que peut apporter le mentor ne se transmet pas, elle se partage.
Quand intervient le mentorat entrepreneurial ?
DR. Il intervient en phase de développement de l’entreprise. En effet, les mentorés sont des jeunes pousses qui ont déjà passé l’étape de création d’entreprise et veulent solidifier les bases de leur entreprise. Cœur de métier de l’association, le mentorat pour entrepreneurs est au service de l’objectif principal du Moovjee : pérenniser la création d’entreprise chez les jeunes et développer la création d’emplois en France. Depuis la création du Moovjee (membre du Réseau Mentorat France que nous avons fondé avec Bénédicte en 2014), 2800 jeunes ont été accompagnés dans le cadre du programme de mentorat.
Qu'est ce qui vous semble primordial pour accompagner au mieux ces jeunes ?
BS. C'est le regard que l'on porte sur cette jeunesse et comment on la considère. Ces jeunes sont nos pairs et quand ils finissent leurs études, ils n'ont pas envie d'entendre ce qu'ils ont à faire. Ils ont des idées puissantes et ont compris qu'il fallait réagir à ce qui les entoure. Il faut leur laisser la main, ne pas chercher à les influencer mais accueillir ce qu'ils sont et ont envie de faire en considérant qu'ils sont déjà entrepreneurs. Notre seule mission est de leur permettre d'oser et de leur donner les pistes pour augmenter leurs chances d'y arriver.
DR. Nous avons élargi notre dispositif de mentorat quand le Moovjee a été labellisé par l’état dans le cadre du dispositif " 1 Jeune,1 solution " pour l'appel à projet " 1 Jeune 1 mentor ". Ainsi, tous les jeunes qui sont candidats, peuvent avoir accès gratuitement au mentorat. Depuis que ce plan a été lancé en juillet 2021, ils ont répondu massivement à l'appel permettant de multiplier par 6 le nombre de jeunes accompagnés chaque année.
En tant que président de la CCI Paris Ile-de-France, comment voyez-vous évoluer le monde de l'entreprise ?
DR. La CCI Paris Ile-de-France est une organisation très spécifique et c'est aussi tout un pôle avec des écoles de commerce, les Gobelins, l'école culinaire Ferrandi, l'école du digital Attitudes Day que nous avons créée avec la Colline Factory. Dans toutes nos formations, nous avons créé des modules d'entrepreneuriat destinés à aider les jeunes à se projeter dans la création ou la reprise d'activité aussi bien avec des outils digitaux que dans une " posture ".
Je vois qu'il y a une jeunesse qui a envie d'entreprendre. Les jeunes ne veulent plus attendre 10 ans pour trouver le job qui leur plaît. Ils ont déjà de la pratique en entreprises (notamment via les stages), ce que l'on avait moins il y a 30 ans. Je pense aussi qu'il y aura plus de développement dans les métiers manuels et d'artisanat où il y a également beaucoup d'innovations avec l'électronique, la domotique, le digital, les objets connectés...
Dans quelle intention avez-vous fondé le Prix Moovjee et que retenez-vous de ce millésime 2022?
BS. Ce Prix a pour but de mettre en avant cette jeunesse. Il leur permet une exposition, de se faire connaître. C'est " la grande fête " des jeunes entrepreneurs et nous avons été les premiers à le faire. Ce prix a aussi pour ambition de sensibiliser la société sur le fait qu'un jeune qui entreprend à 20 ans, est quelqu'un de crédible. C'est l'ensemble de l'économie et de de la société qui doit avoir un regard différent sur l'entrepreneuriat.
DR. Le palmarès du Prix Moovjee 2022 reflète clairement la volonté de s’engager des jeunes. Cette année, notre thématique a été " Changeons d’angle, changeons de perspectives avec les jeunes entrepreneurs ". Une thématique forte choisie pour valoriser la nouvelle voie que nous ouvrent les jeunes à travers leur dynamisme et leur vision. En faisant table rase du passé, en recyclant l’ancien, ils innovent, améliorent la vie de leur voisin, leur quartier, leur région... Sur 350 candidats, 58% sont installés hors Île-de-France et les projets sont aussi créatifs que porteurs de sens.
Quels sont pour vous, les défis actuels chez les jeunes entrepreneurs?
DR. Ils veulent un impact et ne plus créer une entreprise pour créer une entreprise. Ils veulent aussi apporter un plus, un mieux vivre. Leur difficulté aujourd'hui, c'est que tout va très vite. La rapidité et l'immédiateté sont à prendre en compte de manière extrêmement significative.
Quel est le message que vous avez envie d'adresser aujourd'hui aux jeunes qui veulent se lancer ?
BS. J'ai envie de leur dire " écoutez vous et osez y aller de la façon dont vous avez envie d'y aller sans vous laisser influencer. Il faut savoir s'écouter et écouter ses convictions profondes ".
DR. Que ce soit à travers un programme de mentorat ou d'autres réseaux d'accompagnement, de ne pas rester seul. Il faut être accompagné car un entrepreneur accompagné a davantage de chances de réussir que quelqu'un de seul.