Il n’y a pas que Elon Musk qui investit la SpaceTech. Beaucoup de startups s’y intéressent aussi de très près. Signe de cette percée : en France, entre début 2018 et fin 2020, quelque 35 startups ont levé un total de 260 millions d’euros, selon les calculs du Centre national d’études spatiales (CNES). Il faut dire que le secteur a de quoi faire rêver les entrepreneurs. L’espace est, en effet, à l’origine de solutions multiples et à même de répondre à des problématiques soulevées par des domaines aussi variés que l’agriculture, les transports ou les assurances. Alors forcément, les promesses du secteur ont su en séduire plus d’un.
Yana Karol, manager scientifique chez GRASP, startup de la SpaceTech, le sait mieux que personne. Le 17 mars 2022, au FutureProof Summit - événement d’EuraTechnologies dont la première édition était dédiée à la souveraineté technologique -, la chercheuse n’a pas hésité à le marteler devant l’assemblée : l’espace est un formidable moyen d’en apprendre plus sur notre monde. Cela tombe bien, la démocratisation de la SpaceTech est en cours. " L’espace n’est plus uniquement consacré aux grandes agences spatiales. Si vous voulez y aller, c’est aujourd’hui tout à fait possible. Les technologies se développent super vite et sont de moins en moins chères. Et les agences spatiales ont tout intérêt à coopérer avec le secteur privé sur ces nouvelles missions spatiales. " Pour en savoir davantage, Maddyness s’est entretenu avec Yana Karol qui nous a partagé sa vision sur le futur de l’espace.
Maddyness. Historiquement, l’espace était le monopole de la NASA, de l’agence spatiale européenne (ESA)... Désormais, les startups n’hésitent plus à investir dans la SpaceTech. Qu’est-ce qui explique cette démocratisation ?
Yana Karol. Cette démocratisation est surtout liée au développement des technologies et à leur miniaturisation. Les satellites sont devenus beaucoup plus petits et moins chers. Cette révolution est similaire à celle des ordinateurs : le premier - l’ENIAC - mesurait 72m2 alors qu’aujourd’hui un smartphone tient dans une poche et est beaucoup plus intelligent. C’est le même phénomène qui s’est produit avec les équipements envoyés dans l’espace.
Et Space X, l’entreprise d’Elon Musk, dans tout cela ? Quel rôle a-t-elle joué ?
C’est certain que Space X a contribué à démocratiser l’espace. Elon Musk a montré l’exemple, en prouvant que tout était possible, même pour quelqu’un qui ne venait pas de la NASA. Il a montré qu’il était capable de développer des équipements à destination de l’espace. Il a voulu mettre au point des lanceurs spatiaux et a relevé le défi avec brio. Son succès a forcément attiré les investisseurs. Cela a montré que l’espace était moins risqué que ce qu’on pensait. Spire Global, une société qui fabrique des nanosatellites et analyse leurs données, a vu son chiffre d’affaires multiplié par 70 au cours des quatre dernières années et exploite désormais plus d'une centaine de satellites. La croissance des entreprises de la SpaceTech est considérable.
À quel obstacle êtes-vous confronté en tant qu’acteur de la SpaceTech ?
Télécharger les données depuis l’espace reste compliqué encore aujourd’hui. On cherche encore comment franchir les limites. On utilise plusieurs moyens à ce jour pour y parvenir : par exemple, la bande X (une plage de fréquences d'onde radio, utilisée pour les radars, les télécommunications et la radio, NDLR), qui était auparavant réservée aux applications militaires et est maintenant de plus en plus utilisée pour les satellites civils.
Qu’est-ce que vous proposez chez GRASP ?
Chez GRASP, nous sommes spécialistes du développement des algorithmes et du traitement de données de télédétection (l’ensemble des procédés et techniques qui permettent d'acquérir à distance des informations sur les objets terrestres, à partir des rayonnements qu’ils émettent ou réfléchissent, NDLR). Concrètement, on travaille avec des missions spatiales publiques qui nous confient leurs data que l’on va récolter, puis analyser. C’est le cas notamment de la mission " Copernicus " de l’Agence spatiale européenne (ESA) qui, entre autres, vise à caractériser l’atmosphère et la surface de la Terre. Nous sommes également en train de lancer notre propre constellation de nanosatellites pour déterminer la qualité de l'air à l'échelle globale. Ces données sont utiles à différents acteurs : les agences et les universités pour la recherche, les autorités (villes, régions, etc) qui font des réglementations mais aussi les industries polluantes qui doivent surveiller la qualité de l’air autour de leurs usines. En outre, nous pouvons utiliser nos données et nos algorithmes pour effectuer des corrections atmosphériques pour toute autre observation de la Terre.
Au fond, quelle est l’ambition de la SpaceTech ?
Quoi qu’on en dise, même si l’espace se situe à 600 kilomètres de nous, il est en mesure d’impacter tous les domaines de notre vie. La SpaceTech peut, par exemple, nous aider à répondre aux problèmes causés par le changement climatique. Mais pour les résoudre, il faut d’abord bien connaître le monde dans lequel on vit. Il va falloir observer de très près la pollution, les variations du climat… Et l’espace est une clé pour comprendre tous ces phénomènes. Pour des questions très pratiques aussi, ce sera aussi très utile. Prenons l’exemple de l’agriculture. Grâce à toutes les technologies déployées en orbite à des fins agricoles, on est capable de déterminer à quel moment il est judicieux d’arroser les cultures, de commencer la récolte ou pas… De la même manière, la SpaceTech nous donne des indications sur les océans, les lieux où il est préférable de pécher et ceux qu’il vaut mieux préserver. Je suis intimement convaincue qu’on ne va pas reconnaître notre monde dans dix ans. On a d’abord assisté à une révolution avec la démocratisation de l’ordinateur, puis d’Internet et ensuite du smartphone. Aujourd’hui, on ne s’imagine pas vivre sans smartphone. Demain, ce sera la même chose avec les technologies satellitaires envoyées dans l’espace.
On parle aussi de plus en plus de tourisme spatial. Qu’en pensez-vous ? Faut-il voir ça d’un bon œil ?
Et pourquoi pas ? Le tourisme spatial peut être une bonne révolution. Même si, personnellement, je n’ai aucune envie d’y mettre les pieds (Rires). En revanche, ce qu’il va falloir surveiller avec cette démocratisation de l’espace, ce sont les débris spatiaux. Il existe des technologies pour les surveiller d’abord, et les attraper ensuite car la pollution de l’espace est une réalité.
Y-a-t-il un risque à ce que les acteurs soient nombreux dans l’espace ?
On ne va pas mentir, il y a des risques d’accidents liés à l’envoi de satellites. Mais j’ai envie de raconter cette anecdote : en 1908, l’écrivain italien Filippo Tommaso Marinetti pousse le moteur au maximum de son automobile et a un accident. Il en sort légèrement blessé, mais surtout cet accident a changé complètement sa vision de la réalité et du futur. Il en écrira le Manifeste du futurisme, un texte dans lequel il annonce l’heure est à la machine et à la vitesse. De mon côté, je suis optimiste sur le futur de l’espace. Bien sûr qu’il y aura des accidents, des problèmes mais on trouvera toujours des solutions, comme on le fait sur Terre. C’est finalement cela le progrès !
Maddyness, partenaire média d’EuraTechnologies