Se préoccuper de sa propriété intellectuelle, quel que soit son secteur d’activité
Une startup qui veut démarrer sur de bonnes bases doit avoir en tête ce qu’est la propriété intellectuelle et ce qu’elle permet de faire. Concrètement, il s’agit d’un droit d’interdire à ses concurrents de copier et d’utiliser ses inventions. Premier enseignement à en tirer : ne pas protéger ses créations, c’est offrir aux autres la possibilité de s’en emparer. Pour éviter de se faire voler le projet sur lequel on planche depuis des mois, plusieurs options sont possibles : le dépôt d’un brevet, d’un dessin/modèle, d’une marque et/ou d’un nom de domaine.
Deuxième règle à bien avoir en tête : les DeepTech et les entreprises technologiques ne sont pas les seules concernées par ce sujet ! La propriété intellectuelle permet de protéger une invention technique mais aussi une marque, un design ou un logo. Elle concerne donc toutes les entreprises. Enfin, une entreprise qui est liée par contrat avec des prestataires et/ou des partenaires doit s’assurer que les inventions réalisées dans le cadre de cette collaboration lui reviennent. Sans quoi, elle risquerait d’en être dépossédée.
S’y pencher dès la naissance de son projet
À quel moment faut-il commencer à réfléchir à sa propriété intellectuelle ? Pour l’entrepreneur Yann Magnan, CEO de la Fintech 73 Strings qui s’appuie sur l’intelligence artificielle, il ne faut pas se mettre trop de freins lors de la création, sans quoi on ne se lance jamais. “Pour autant, il faut très rapidement se demander si dans ce qu’on fait, il y a des choses à protéger”, ajoute-t-il. Un avis partagé par Anne-Sophie Auriol, Conseil en Propriété Industrielle (CPI) au sein du cabinet LAVOIX spécialisé en droit de la propriété intellectuelle. Elle conseille de ne surtout pas attendre que le projet ait abouti avant de se poser la question car “cela peut être déjà trop tard si par malchance quelqu’un dépose un brevet avant vous, par exemple. Ce serait dommage de travailler deux ans sur une technologie pour rien”. Pour ne pas laisser la porte ouverte à ses concurrents, mieux vaut donc anticiper.
Rester discret tant qu’on n’a rien protégé
Anne-Sophie Auriol explique avoir régulièrement affaire à des entrepreneurs qui ont tendance à trop en dire sur leur invention : “Quand je commence à travailler avec eux, je m’aperçois parfois qu’elle a en partie déjà été dévoilée sur le site web de l’entreprise, dans une publication, lors d’un salon…”. Prudence donc à ne pas dévoiler ce qui fait la valeur de l’entreprise. Autre précaution à prendre : quand on discute avec de potentiels partenaires, il faut être très vigilant aux informations qui leur sont partagées. “Surtout si on n’a rien breveté”, met en garde la CPI. Si vous devez malgré tout discuter de certains aspects, pensez à signer un accord de confidentialité. “Dans ce cas, il convient de soigner la rédaction de l’accord, et de garder à l’esprit qu’il ne vous protège pas de tout, donc la vigilance reste de mise”.
Ne pas chercher à tout breveter
Breveter tout, partout et tout le temps ? L’idée qu’il faudrait chercher à breveter la moindre invention est loin d’être réaliste. D’abord, parce que pour déposer un brevet, une idée, aussi brillante soit-elle, ne suffit pas. Avant de pouvoir confier son dossier à l’INPI, l’auteur·rice de l’invention doit s’assurer qu’elle coche toutes les conditions de brevetabilité. “Ce qu’on peut breveter, c’est une solution technique à un problème technique qui permet d’améliorer de façon claire une métrique ou une performance”, précise Loïc Henriet, CTO au sein de la scaleup Pasqal, spécialisée dans l’informatique quantique. “On ne peut pas déposer quelque chose qui est évident ou qui est lié à du pur hasard. Il faut pouvoir expliquer comment ça marche”. Un exemple ? Le stylo quatre couleurs qui permet de changer de teinte d’encre, sans avoir à changer de stylo.
Ensuite, parce que la temporalité du dépôt de brevet ne correspond pas forcément à la réalité de la vie d’une startup. D’après le CTO de Pasqal, “déposer des brevets n’est pas forcément pertinent puisque le temps caractéristique avant qu’un brevet soit accepté est généralement de 1 à 2 ans. Résultat, la solution peut être obsolète avant même que le brevet ne soit accepté !”
Mais surtout parce que ça n’est pas toujours intéressant d’un point de vue stratégique. Un brevet permet, certes, d’interdire à ses concurrents de développer et d’utiliser une invention. Mais le revers de la médaille, c’est que le contenu de la demande est rendu public au bout de 18 mois. “C'est un peu la contrepartie du système, explique encore Anne-Sophie Auriol. Vous donnez aux autres des indications sur ce que vous avez fait et donc possiblement sur ce que vous êtes en train de faire”. Et si un secret bien gardé était un secret non breveté, à l’image de la mystérieuse recette du Coca-Cola ?
S’autoriser à ne pas protéger, voire à divulguer ses inventions
On ne le dit jamais assez : il est vital pour une jeune pousse de protéger les créations au cœur de son business. Mais dans le cas de certaines avancées qu’on veut garder secrètes, il peut être judicieux de ne pas protéger… pour ne rien dévoiler. “Stratégiquement, on peut tout à fait décider de ne pas déposer de brevet, expose Anne-Sophie Auriol du cabinet LAVOIX. Mais il faut se poser la question en amont parce que c’est très dur de conserver le secret ! Cela demande la mise en place de process en interne pour que celui-ci ne fuite pas”.
Autre option qui s’offre aux entrepreneurs : la divulgation. Contrairement aux idées reçues, le fait de rendre ses inventions publiques n’est pas forcément synonyme de scénario catastrophe. La divulgation fait au contraire partie de la palette à disposition des entreprises en matière de propriété intellectuelle. En rendant une invention - pour laquelle on ne veut pas payer de brevet - publique, celle-ci devient la propriété de tous. En effet, la nouveauté faisant partie des critères de brevetabilité, plus personne ne pourra ensuite valablement la protéger. De la même manière, une entreprise doit se montrer prudente vis-à-vis de ce qui a déjà été publié, notamment dans des revues scientifiques. En effet, l’INPI considère qu’une fois couchée sur le papier, une invention est officiellement divulguée. Il n’est donc plus possible d’obtenir un brevet pour cette invention.
Mettre en place des protocoles pour identifier ses innovations
Dans le feu de l’action, une entreprise en plein développement ne prend pas forcément le temps de baliser chaque avancée technologique, ni même d’identifier ses inventions. Et c’est bien dommage ! “La priorité, c’est de dater le savoir-faire et d’être en mesure de prouver depuis quand l’entreprise est en possession de ses inventions”, explique Anne-Sophie Auriol. En cas de litige, il sera ainsi possible de prouver l’antériorité et d’avoir gain de cause. La CPI préconise la mise en place d’un protocole dédié qui peut prendre la forme d’un cahier de laboratoire dans lequel on note tous ses travaux ou de comptes rendus de réunions écrits, ou d’horodatages réguliers de fichiers informatiques contenant les derniers travaux effectués.
Faire attention à la contrefaçon
Lancer son projet sans connaître son environnement concurrentiel revient à sauter d’un avion sans parachute. Avant d’engager des frais dans un programme de R&D coûteux, tout entrepreneur·doit s’assurer que la voie n’est pas verrouillée par des brevets. Sans quoi il ou elle risquerait de se retrouver en situation de contrefaçon ! D’où l’intérêt de réaliser une veille concurrentielle qui permet d’avoir une vision globale du milieu dans lequel la startup évolue. Et de garder un œil sur les développements de ses concurrents.
S’entourer des bonnes personnes
“Un startuppeur n’est pas un spécialiste de la propriété intellectuelle. Loin de là !”, reconnaît Yann Magnan. “Ma vision des choses, c’est qu’il faut se faire accompagner par un conseil spécialisé qui comprend les enjeux d’une entreprise innovante et qui va identifier les sujets clés de votre technologie et de votre business model qui doivent être protégés”. Extérieur·à l’entreprise, il va regarder l’invention d’un œil nouveau pour en déceler les forces et les faiblesses. “ En tant que conseil, notre rôle est d’identifier la meilleure manière de protéger l’invention en lien avec les enjeux de la société, détaille Anne-Sophie Auriol. Cette prise de hauteur nécessite une bonne compréhension des sujets, y compris les plus techniques”.
Dès lors, comment la startup peut-elle savoir si elle a affaire au bon interlocuteur ? La première prise de contact est déterminante pour s’assurer que ses enjeux et ses problématiques sont bien compris et que la personne est à même de répondre à ses besoins. “Avant de déposer un brevet, nous rencontrons systématiquement les inventeurs. Lors de ces réunions, si vous n’êtes pas pertinent, cela se voit, notamment parce que vous ne posez pas les bonnes questions. Vous ne pourrez pas faire semblant de vous y connaître en physique quantique si ce n’est pas le cas !”, assure-t-elle. Pour trouver la personne la plus adaptée à chaque cas, LAVOIX s’appuie sur les compétences techniques et juridiques de ses ingénieurs, juristes et avocats, qui ont tous une formation initiale technique ou juridique, ainsi qu’une formation spécifique en droit de la propriété intellectuelle.
Ne pas essayer de faire des économies sur le dos de sa propriété intellectuelle
La contrepartie, c’est que cet accompagnement sur mesure va engendrer des frais pour l’entreprise. Il n’existe pas de formule toute faite pour estimer combien cela va lui coûter, seulement quelques chiffres communément admis. En France, le coût moyen d’un dépôt de brevet est généralement compris entre 5 000 et 10 000 euros HT. Ce coût varie en fonction de la complexité de l’invention et du temps passé à la définir. À cela s’ajoutent les frais de procédure, la taxe de délivrance, les annuités pour maintenir le brevet en vigueur… Le budget peut vite s’envoler.
Le fondateur de 73 Strings met en garde les cheffes et chefs d’entreprises qui seraient tentés de faire des économies sur la propriété intellectuelle. “La question qu’il faut se poser en priorité, c’est celle du risque : quel est le risque que je prends si je ne fais rien ? S’il est très significatif, parce que vous avez développé des inventions particulièrement innovantes, alors ça vaut le coup d’investir de l’argent”. Il estime néanmoins que l’investissement ne doit pas être porté uniquement par la startup. “Selon moi, le rôle des investisseurs en série A et des business angels est aussi d’accompagner l’entreprise dans ce travail de protection. Dans l’argent que l’on vous propose, il faut envisager une enveloppe dédiée à ce budget”.
Penser investissement
Faut-il forcément dépenser sans compter pour sa propriété intellectuelle ? Surtout pas ! Si celle-ci génère des coûts pour l’entreprise, elle doit aussi lui rapporter de l’argent, de manière directe ou indirecte. Une jeune entreprise doit donc se demander par quel biais : parce que cela va l’aider à vendre ses produits ? la rendre plus désirable aux yeux des investisseurs ? lui permettre de vendre des licences ? Autant de questions incontournables pour estimer le bon niveau d’effort à y consacrer.
Nul doute que la détention de titres de propriété intellectuelle fait partie des considérations prises en compte par les investisseurs. A contrario, une technologie pertinente mais non protégée fait perdre de la valeur à l’entreprise. “À notre niveau, si on n’avait pas de protection sur nos innovations, on ne pourrait pas lever de l’argent comme on le fait en ce moment, reconnaît Loïc Henriet, le CTO de la scaleup Pasqal qui a levé 25 millions d’euros en juin 2021. C’est pour ça qu’on a une stratégie de protection aussi agressive : parce que ça a beaucoup d’impact sur nos modes de financement”.
Les brevets ne sont pas les seuls éléments scrutés de près : la marque, à partir du moment où elle commence à avoir une certaine résonance, peut également être considérée comme un actif clé. “Mon conseil à l’égard de n’importe quel startuppeur, c’est de déposer sa marque et son logo, recommande Yann Magnan. Si un concurrent communique sur autre chose en utilisant votre marque, ça crée de la confusion et ce n’est pas bon pour vous”. Le fondateur de 73 Strings le résume ainsi : une bonne stratégie de propriété intellectuelle, c’est avant tout un gage de sérieux et de crédibilité.
Maddyness, partenaire média de LAVOIX