« Comme dans les autres secteurs de l’ingénierie et de la technique, le domaine spatial souffre du manque de profils féminins », déplore Annafederica Urbano, ingénieure-chercheuse à l’ISAE Supaéro, école d’enseignement supérieur dans le domaine de l'ingénierie aérospatiale. Malgré ses efforts pour féminiser son corps enseignant et sa direction ainsi que la proportion d’étudiantes, les statistiques de l’établissement stagnent à 15% de femmes parmi ses élèves.
Le constat est partagé par Stéphanie Lizy-Destrez, professeure agrégée en systèmes spatiaux dans la même structure. « On observe depuis quelques années une volonté grandissante de laisser plus de place aux femmes dans notre domaine, mais cela est encore trop timide, déplore cette dernière. Plus on dénombrera de femmes dans les statistiques, et plus les filles iront vers ces secteurs d’activités… Il faut plus de role models pour alimenter cette lente féminisation dans le spatial : les femmes attirent les femmes ».
Maddyness a décidé de dresser les portraits de six femmes dont les entreprises ou les carrières marqueront certainement l’Histoire naissante de la SpaceTech.
Barbara Belvisi, fondatrice d’Interstellar Lab
À 37 ans, Barbara Belvisi semble déjà avoir eu plusieurs vies. Après avoir été investisseuse dans plusieurs fonds, et avoir co-fondé Hardware Club, sa propre structure d’investissement dédiée aux startups de la DeepTech, cette dernière a décidé de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale en créant une SpaceTech. Passionnée par le domaine spatial depuis son enfance, l’entrepreneuse a voulu réaliser " un rêve de gosse ", comme elle l’a expliqué aux Echos. Pour ce faire, Barbara Belvisi s’est retroussé les manches et a gravité, pendant un an, au coeur du centre de la NASA, aux Etats-Unis, pour mettre toutes les chances de son côté et réussir à mener à bien son projet.
Le résultat ? Née en 2018, Interstellar Lab ne cesse de faire parler d'elle depuis sa création. Cette startup est spécialisée dans la conception de " biodômes ", des modules permettant de cultiver des plantes en environnement contrôlé sur la Terre et sur la Lune. Elle a très vite réussi à atteindre la phase de fabrication de ses " BioPods " -70 sont déjà commandés-, soutenue par des levées de fonds successives. La dernière, de 5 millions d’euros réalisée en mars 2022, auprès d’investisseurs français et américains spécialisés dans le climat et le spatial, montre la confiance accordée à la technologie développée par les équipes de Barbara Belvisi.
Si, aujourd’hui, les clients de la jeune pousse sont des entreprises cosmétiques, pharmaceutiques et des universités, Interstellar Lab ne perd pas de vue son objectif : faire décoller sa technologie dans l’espace. " Nous avons intégré le programme SpaceFounders imaginé par l’ESA, le CNES et le DLR -l’agence spatiale allemande- qui nous a beaucoup aidés ", se réjouissait Barbara Belvisi, auprès de Maddyness, à l’occasion de son dernier tour de table. Interstellar Lab collabore également avec la NASA sur la mission Artemis et d’autres projets. L’un d’eux consiste à créer " un système de production de nourriture pour le Deep Space et l’orbite basse " d’ici 2025. Interstellar Lab fait partie des rares entreprises à travailler avec le CNES et la NASA en même temps. D’anciens salariés de SpaceX et de Blue Origin ont déjà ou s’apprêtent à rejoindre ses rangs.
Ane Aanesland, co-fondatrice de ThrustMe
Après un doctorat passé en Norvège, son pays d’origine, en physique des plasmas, Ane Aanesland fait son entrée au CNRS et à l’École Polytechnique, où elle devient directrice de recherche. Mais si on entend beaucoup son nom dans le milieu de la SpaceTech, c’est grâce à la startup française qu’elle a co-fondé avec son collègue Dmytro Rafalskyi : ThrustMe. Cette jeune pousse créée en 2017 est spécialisée dans la production et la commercialisation de nouveaux systèmes de propulsion miniaturisés pour satellites. Le but ? Rendre les nanosatellites à la fois plus accessibles, mais aussi plus durables.
Avec quatre brevets déposés, la médaillée de l’innovation du CNRS 2019 a développé deux découvertes majeures. D’abord, Ane Aanesland a démontré que, pour fournir l’énergie nécessaire à la propulsion spatiale, il était possible de remplacer le xénon, coûteux et sous forme de gaz pressurisé, par l’iode, une matière moins chère, moins dangereuse et pouvant être conservée sous forme solide. L’autre coup de maître de ThrustMe est de permettre une miniaturisation inédite des systèmes de propulsion de nanosatellites. Comment ? À travers le développement d’une technologie par tension radiofréquence, pour s’assurer que la charge électrique du satellite reste neutre.
" Nous voulons rendre durable cette nouvelle utilisation de l’espace, insiste Ane Aanesland dans une interview au CNRS. Face au décuplement du nombre de satellites lancés, nous devons parvenir à mieux les contrôler pour éviter les collisions et améliorer leur durée de vie ". En novembre dernier, ThrustMe a publié avec succès les résultats de la mise en orbite de son moteur électrique à l’iode pour nanosatellites, une première mondiale, dans la célèbre revue scientifique Nature.
Hélène Huby, co-fondatrice de The Exploration Company
Énarque, ancienne directrice de l’innovation à Airbus Defense & Space, pilote du projet de mini-lanceur spatial Sparrow chez ArianeGroup… Mais pas que ! En 2017, Hélène Huby a lancé un fonds de capital-risque dédié au secteur, Global Space Ventures. En 2021, cette dernière décide aussi de lancer sa propre startup dans la SpaceTech : The Exploration Company, co-fondée aux côtés de cinq autres anciens salariés d’Airbus.
Cette jeune pousse se donne comme humble objectif de démocratiser l’exploration spatiale en fabriquant des vaisseaux nouvelle génération. " Nos vaisseaux sont comme des voitures, ils sont multi-missions, peuvent transporter du cargo et des hommes, mais ils sont aussi réutilisables, explique l’entrepreneuse dans une interview donnée à Morning. On peut aussi faire le plein de nos engins en orbite avec de l’essence produite à partir de ressources spatiales ".
Avec Nix, son véhicule orbital modulaire, The Exploration Company se donne pour mission de permettre à l’Europe de rattraper son retard en matière d’exploration spatiale et d’exploitation des ressources de l’espace, face à des acteurs privés chinois et américains déjà bien lancés dans la course. Beaucoup de recherches, aussi bien en matière de recyclage, d’agrotechnologie, de biotechnologie, de pharmaceutique ou de chimie, sont aujourd’hui réalisées dans l’espace, et la startup compte bien adresser tous ces marchés grâce à son produit qui veut faciliter l’accès à cet environnement.
Sandra Budimir, co-fondatrice de Starburst
Difficile de passer à côté du profil de Sandra Budimir quand on gravite dans l’univers de la SpaceTech. En effet, cette dernière a co-fondé Starburst, le premier accélérateur de startups dans les domaines de l’aéronautique, du spatial et de la défense, aux côtés de François Chopard, en 2013.
Aujourd’hui directrice Europe de la structure d’accompagnement, elle est au coeur des activités de conseil en stratégie pour les acteurs du continent, mais a aussi pour mission de détecter les pépites du New Space afin de les aider à accélérer leurs activités pour créer des leaders européens dans ce domaine. Starburst affirme identifier chaque année 1 500 nouvelles jeunes pousses positionnées sur les marchés de la défense et de l’aérospatial, en faire pitcher 200 tous les ans à travers leurs huit bureaux aux quatre coins du monde, pour finalement en accélérer et intégrer 30 par an dans leur portefeuille. La sélection est de rigueur !
En 2021, Sandra Budimir a pris la présidence de Blast, un programme français d’accompagnement à la création et l'accélération de startups dans les domaines de l'aéronautique, du spatial et de la défense. Le programme réunit Starburst, l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera), l’École polytechnique et la SATT (Société d’accélération du transfert de technologies) Paris-Saclay, avec pour but commun de développer les innovations issues de la recherche académique française.
Géraldine Naja, visage du « New Space » à l’ESA (Agence spatiale européenne)
Depuis la fin de l’année 2021, l’Agence spatiale européenne (ESA) s’active pour soutenir plus intensément l’investissement privé dans le domaine du spatial, prenant le même tournant qu’avait pris son alter ego américain, la Nasa, quelques années plus tôt. Au programme : un agenda fixé jusqu’en 2025 pour " accélérer l’utilisation de l’espace en Europe, précise l’ESA. Pour tirer le meilleur parti de la croissance de l'économie spatiale européenne, l'ESA doit contribuer au succès des startups et des entreprises, en adoptant une démarche plus affirmée, plus dynamique et plus réactive ".
C’est à l’occasion de cette nouvelle stratégie que Géraldine Naja a été nommée directrice " commercialisation, industrialisation et approvisionnement " de l’ESA. Concrètement, cette dernière a pour mission de faire entrer les acteurs du New Space dans l’Agence. Cette nouvelle membre de la direction de l’ESA peut ainsi apporter son regard scientifique d’ingénieure polytechnicienne, mais aussi son expérience, après 30 ans passés dans le monde de la politique spatiale européenne, en tant que Responsable des Affaires Institutionnelles à l'Agence Spatiale Européenne.
" Avec ce réseau, le bureau des PME, celui des transferts de technologies et de brevets, les points d'entrée des divers programmes, mon but sera de faire décoller au plus vite l'investissement privé, pour que le spatial européen possède aussi bientôt quelques belles licornes, conclut la directrice dans un article des Echos. L'Europe est plus lente au démarrage, mais une fois qu'elle se met en marche, elle peut avancer vite ".
Amicie Monclar, directrice générale de Zephalto
125 000 euros, c’est le prix du ticket pour s’envoler dans la stratosphère en ballon. C’est la solution que développe Zephalto (anciennement connue sous le nom de Zephyr Endless Flight ou Zéphyr Exalto), startup fondée en 2016, dont Amicie Monclar est la directrice générale. L’idée ? Grimper à 25 kilomètres d’altitude -une distance assez importante pour observer les courbures de la Terre- afin de flotter quelques heures, ou même jusqu’à une semaine entière, dans l’espace. Le but ? Permettre à des touristes de l’espace de réaliser des voyages bas-carbone d’ici 2024, et ce grâce à l’énergie solaire.
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