Republication du 21 février 2022
"Nous sommes loin du compte en matière de diversité dans la French Tech" , reconnaît d’emblée le secrétaire d'État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, Cédric O, à Maddyness, pointant néanmoins "des progrès concernant la mixité, même si le nombre de femmes dirigeantes demeure faible au sein du FT120". Si le chiffre a doublé par rapport à 2020, il ne s'élève qu’à 14 femmes directrices ou fondatrices au sein du classement cette année. C’est peu dire que le résultat est maigre.
Pour endiguer ce manque de diversité, et pas seulement de mixité, le gouvernement mise notamment sur le French Tech Tremplin. Le programme, lancé fin 2019 pour aider les entrepreneurs issus de la diversité dans le développement de leur société, se divise en deux phases : la préparation (bootcamps, accès à des outils pour développer sa startup, etc.) et l’incubation d’une durée d’un an (financement, mentoring et incubation chez un de ses 113 partenaires). Cette année, "le modèle a évolué pour accueillir 30 % de candidats en plus dans la phase d’incubation" , détaille le secrétaire d’État. De 300 entrepreneurs accompagnés, la French Tech en vise 500 pour cette deuxième saison.
Initialement chapeauté par Audrey Yvert et Kat Borlongan, qui ont quitté leurs fonctions, le programme est désormais à la charge de Clara Chappaz et Daphné Lora qui devraient bientôt être rejointes par une troisième personne.
Premiers bilans
"C’est encore un peu tôt pour dresser un premier bilan" , tempère Cédric O, la première saison se terminant à peine. Il pointe néanmoins des "retours positifs des participants, et une plus grande maturité des projets" présentés pour la deuxième saison ainsi qu'une "sélection plus élevée des dossiers". Ce qui prouve que le programme a réussi à faire parler de lui grâce au relais des associations, des partenaires et des capitales French Tech.
Clara Chappaz, directrice de la French Tech qui porte ce sujet, se montre enthousiaste. Il a permis aux premiers incubés de "développer leur réseau, par le biais des capitales, mais aussi en échangeant avec d’autres entrepreneurs de la promotion" , assure-t-elle. Elle y voit surtout le moyen de faire émerger des rôles models, en donnant de la visibilité à des entrepreneurs encore peu représentés dans l'écosystème, comme Justine Ba, fondatrice de Roomba.io, qui intervient désormais à la télévision.
Jabrane Montasser, fondateur de Handy Catch et bénéficiaire du programme FTT, a "bénéficié de nombreux workshops et de nombreuses mises en relation avec des écoles, experts et investisseurs" , détaille-t-il. Ce qui lui a permis de poursuivre le développement de sa solution, en passant d’un "prototype à une version commercialisable à l’échelle mondiale et d’aller plus vite dans ses recrutements". L’entrepreneur annonce fièrement être en négociation avec un grand acteur du secteur pour déployer sa solution chez ce dernier.
Justine Ba, fondatrice de Roombâ dresse aussi un bilan positif. Partie d'un projet étudiant, elle dit s'être révélée à travers l'entrepreneuriat et loue la création du programme pour son impact. "Il est porté par le gouvernement et c'est un symbole fort pour faire changer les mentalités et pour les entrepreneurs" . Grâce à sa bourse de 30 000 euros, celui-ci permet souvent de mettre le pied à l'étrier de futurs entrepreneurs en finançant le développement de leur prototype ou de leur POC. Le FTT permet aussi à "des structures comme l'incubateur d'HEC d'ouvrir leurs portes à des étudiants qui n'ont pas forcément fait une grande école" , un premier pas vers plus de diversité.
Chroniqueuse dans l'émission Tech & Co, sur BFM et ambassadrice du programme comme tous les Alumni, elle estime que tous les bénéficiaires du FTT ont la responsabilité de faire rayonner ce programme en réussissant. Réussite qui dépendra d'eux mais aussi de l'écoute et des financements que leur accorderont les investisseurs.
Démocratiser l’accès au numérique partout
Promouvoir l’entrepreneuriat et mettre en avant la tech est une initiative louable, qui ne doit pas faire oublier un double problème : la fracture numérique et la place de l’école dans ce manque de diversité.
La démocratisation du numérique est essentielle pour le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, "il faut le faire entrer dans tous les territoires, le rendre accessible à tous, car c’est un secteur fortement créateur d'emploi où les salaires sont plutôt élevés" . Depuis la réforme du baccalauréat, la spécialité "Numérique et sciences informatiques" a fait son entrée au lycée. Certains politiques ne cachent pas leur volonté d’introduire les notions de code dès l’école primaire. Donnant ainsi la possibilité à tous et toutes, quel que soit le milieu socio-économique, d’évoluer dans ce secteur.
Le député (LReM) de la Seine-Saint-Denis, Patrice Anato, a récemment annoncé son projet : le Grand numérique, rappelant à cette occasion l’illectronisme numérique persistant dans certains territoires et une méconnaissance des jeunes du secteur de la tech et de son potentiel. Cédric O croit au potentiel de ces initiatives, signale que celle-ci est soutenue par l’État, notamment la French Tech, La Grande école du Numérique et Pôle emploi, et estime même que "l’État a vocation à les accompagner". Rappelant à qui il incombe de les impulser : "Elles relèvent d’abord des collectivités territoriales, car ce sont elles qui connaissent le mieux les besoins de leur territoire."
Le rôle des élites
Étendard de l’innovation française, le Next40 manque de femmes, mais surtout d’une grande diversité, qu’elle soit socio-économique ou liée au parcours des entrepreneurs. "L’écosystème est endogame, notamment parce que les grandes écoles présentent elles-mêmes peu de diversité" , reconnaît Cédric O. C’est pourquoi il est essentiel de faire du sujet de la diversité et de la mixité un enjeu essentiel dans les grandes écoles, dont beaucoup de fondateurs et fondatrices du FT120 sont issus. Mais aussi de sensibiliser aux biais inconscients qui peuvent naître et se développer au fil du temps. Si les réseaux de HEC ou de Polytechnique constituent aux yeux de leurs alumni des valeurs sûres pour recruter, ils risquent de se couper d’un vivier de talents, issus de France comme d'ailleurs.
Pas question, pour autant, d’introduire un critère lié à la diversité des équipes dans le classement du Next40. "La qualité du Next40 est sa constance, rappelle Cédric O. On ne peut pas changer le thermomètre pour en faire plus." Les critères économiques doivent rester la norme pour ce classement, estime également Clara Chappaz. Sans en faire un critère, la French Tech avait annoncé en 2021 la création d’un board impact pour promouvoir cette diversité et cette mixité au sein de ces sociétés. Initiative visiblement reléguée au second plan. "L’initiative a été ralentie en raison de la pandémie, mais Clara Chappaz va travailler sur ces sujets dans les mois à venir” , pointe le Secrétaire d’Etat.
La directrice de la French Tech met, pour sa part, en avant un travail de sensibilisation effectué sur ce sujet auprès de ces acteurs à travers des groupes de travail. "Concrètement, les entrepreneurs échangent sur ce qui fonctionne chez eux et découvrent ce que font les autres. On sous-estime souvent ce qui est déjà mis en place dans les entreprises." Sans doute parce que les effets ne sont pas (encore) perceptibles dans la réalité.
Faut-il alors rendre obligatoire le fameux index de diversité lancé en 2021? "La transparence est toujours la bienvenue, souligne Cédric O. Mais la diversité est difficile à mesurer, en raison de la réglementation sur les statistiques." Et d'ajouter : "L’écosystème de la tech française est peu divers, cela transparait fortement." Pas question pour autant d’opter pour des quotas : Cédric O préfère miser sur "un travail à la racine de ces questions, à travers les formations".