Directeur de la recherche au sein d’Airbus Group Innovations pendant 16 ans, Hugo Falgarone a baigné dans une culture qui "demande d’avoir toujours 15 ans d’avance" et qui met un point d’honneur à "garder la compétitivité des métiers en Europe" . Au cours de ces années au sein du géant de l’aérospatial, l'entrepreneur travaille sur plusieurs innovations dont un projet de réalité virtuelle qui sera mis en place dans 25 bureaux à travers le monde. Fort de cette expérience, le directeur de recherches propose à Airbus de créer une spin-off pour mettre cette technologie et ce savoir-faire à disposition du marché. C’est ainsi qu’est née SkyReal.
Transformer des giga-octets de données
La solution imaginée et développée par les équipes de SkyReal fonctionne via un logiciel SaaS installé dans l’entreprise. "Nous convertissons automatiquement les données issues des fichiers d’origine utilisés par les ingénieurs pour la fabrication des pièces, détaille le fondateur. Nous pouvons convertir d’énormes quantités de données qui se trouvent dans des formats très différents" . Celles-ci sont ensuite transformées en une maquette 3D qui permet de visualiser une pièce, un outil ou encore une chaîne de production à l’échelle réelle. "On obtient vraiment le produit réel", pas un avatar, précise le dirigeant.
Grâce à ce modèle en 3D, tous les acteurs ont la capacité de travailler sur le projet et de donner leur point de vue. "On va pouvoir transposer des relations contractuelles dans un environnement virtuel en expliquant : c’est ça que je veux ou non" , explique Hugo Falgarone. La réalité virtuelle permet d’utiliser les données pour échanger avec toutes les parties prenantes tout le long du cycle de vie, de la conception à l’exploitation. C’est un outil de consensus mais aussi de vérification (mesures, sécurité, viabilité), d’analyse (impact de la lumière, interaction avec la foule, pénibilité des utilisateurs) et de test. En ce sens, SkyReal "permet d'abaisser le risque de développement d’un produit" en surveillant à chaque instant son évolution.
La création 3D est disponible sous deux formats : via un casque de réalité virtuelle - davantage utilisé par les ingénieurs et les opérateurs pour affiner les besoins - ou sur son écran d'ordinateur et demain, sans doute sur smartphone.
Le convertisseur fonctionne également dans l'autre sens. Les modifications effectuées dans le logiciel le sont également dans le fichier source et donc les documents utilisés par les ingénieurs. "Nous sommes dans l’industrie 4.0, on parle même d’un Métavers de l'industrie parce que l’outil est collaboratif et immersif" .
La technologie du jeu vidéo en soutien
Pour réaliser une telle solution, intégrer autant de données et offrir un degré si pointu de détails, Skyreal s’appuie sur les avancées technologiques de l’univers du jeu vidéo. "Nous avons des moteurs qui permettent de jouer à des jeux vidéo sur son ordinateur portable ou son smartphone avec une qualité incroyable. Et à côté, des salariés de l’industrie n’ont pas accès à la 3D ou dans une qualité moyenne" , constate Hugo Falgarone.
L’entrepreneur a donc décidé de se rapprocher de cet univers pour faire évoluer cette situation ubuesque. Le travail du studio Epic Games, éditeur du succès mondial Fortnite, l'intéresse particulièrement. "Epic Games a développé un moteur d’une puissance d’affichage incroyable qu’il continue sans cesse d’améliorer. Ils vont d’ailleurs bientôt sortir une nouvelle version qui aura une puissance d’affichage infinie" et permettra d’intégrer une usine en 3D dans sa totalité. Jeu vidéo et industrie se retrouvent autour de la volonté de créer des mondes plus vrais que nature.
Ce modèle est également beaucoup plus compétitif. "Notre solution est beaucoup plus accessible que celles proposées par Dassault ou Siemens” , souligne t-il, le prix de son usage restant toutefois confidentiel. Un argument de plus pour attirer des industriels qui ont bien du mal à changer leur manière de fonctionner. "Les DSI, directeurs des systèmes d’information, sont convaincus que demain, la réalité virtuelle aura sa place dans leurs usines mais ils ont encore du mal à sauter le pas, reconnaît le fondateur de SkyReal. Nous devons faire beaucoup de pédagogie et avancer avec eux, sur plusieurs années en commençant avec 5 casques puis 10 et 20. En général, une fois qu’ils ont essayé la solution, ils comprennent vraiment l’intérêt pour eux".
Mutilples secteurs d'intervention
Issue du monde de l’aérospatial, SkyReal vise en premier lieu cette industrie pour se développer. Elle travaille déjà avec ArianeGroup, Airbus Helicopter ou encore la SpaceTech SparkOrbital. Cette dernière propose des lanceurs de satellites à bas coût. "La réalité virtuelle permet à l’entreprise disposant d’un satellite de voir quelles manipulations vont être effectuées pour envoyer leur produit dans l’espace. Cela évite de les faire venir sur place et limite ainsi les coûts" .
Mais SkyReal n'a pas que la têt dans les nuages pour ses ambitions commerciales. L'entreprise a aussi les pieds sur terre. "Nous travaillons aussi sur le marché automobile, le maritime avec Naval Group notamment et l’énergie" , détaille Hugo Falgarone. Ce dernier secteur fait et fera face à d’importants besoins demain, en matière de production et d’exploitation. SkyReal travaille ainsi sur la formation des opérateurs qui devront agir pour réparer une éolienne offshore par exemple. Formation qui peut se faire avant même la fabrication du produit et sans avoir besoin d’en immobiliser un pour effectuer des manœuvres d’entraînement.
Autre enjeu de taille qui pourrait être accéléré par le contexte géopolitique : le développement du nucléaire. En favorisant la vérification à chaque instant de la conception à la fabrication, la soutien de SkyReal pourrait éviter des erreurs qui ont déjà coûté cher à d’autres centrales.
La petite équipe, qui compte une dizaine de membres aujourd’hui, va bientôt débuter une levée de fonds pour accélérer son développement, en France comme à l’étranger.