On en entend beaucoup parler, mais peu d’experts savent vraiment le définir : concrètement, le Web3, c’est quoi?
Alexis Majos : Jusqu’à présent, on a connu deux versions du web : le web1, un gros panneau d’affichage qui permettait de consulter des millions de sources, et le web2, celui avec lequel on est plus familier aujourd’hui, sur lequel on peut lire et publier, avec les réseaux sociaux et autres plateformes. Le Web3 - ou Web 3.0 - est l’évolution naturelle des deux versions précédentes, et répond surtout aux problèmes du Web2. En effet, face aux entités comme Facebook ou Google qui opèrent un contrôle centralisé de l’information, la promesse du Web3 est de proposer une forme d’indépendance, de liberté et de confidentialité aux internautes.
C’est ce qu’on appelle le web sémantique, l’idée derrière étant que des ordinateurs dialoguent entre eux, et que toutes les données sont stockées sur des registres distribués, vérifiables par tous les utilisateurs, basés sur la Blockchain. Autrement dit, cette nouvelle ère propose un web ouvert, public et transparent, contrairement au Web2. Si on devait comparer le principe du Web3 à quelque chose qu’on connait déjà, ce serait Wikipedia : sur ce site, chaque article doit être vérifié par la communauté, qui est à la fois contributrice et bénéficiaire de l’outil. Tout cela repose sur des systèmes cryptographiques qui existent depuis 20 ans, c’est la puissance des machines, de l’hardware qui a toujours manqué, parce qu’il faut des réseaux très puissants. On y vient aujourd’hui.
Quelle sera la place des géants comme Google ou Facebook par exemple, qui semblent à l’antithèse de la philosophie du Web3, mais dont on voit mal comment ils peuvent disparaître ?
Leur business model est en effet à l’opposé de ce qui est prôné par les défenseurs du Web3. Mais c’est un vrai sujet, parce qu’on parle d’acteurs qui contrôlent le web aujourd’hui. De mon point de vue, la régulation peut y faire beaucoup. Si on fait un parallèle avec l’industrie pétrolière qui, comme on le sait, est très nocive pour le climat : les gouvernements le savent, et mettent donc des dispositifs et législations en place, comme des primes pour les voitures électriques par exemple, afin de faire évoluer progressivement les usages. Pour le sujet qui nous intéresse, cela va se passer de la même façon selon moi : les États demanderont de plus en plus de transparence sur l’activité des géants du Web, ce qui va contribuer à accélérer de facto les projets qui se développent sur le Web3. La loi et les pressions publiques peuvent agir en catalyseurs sur ces questions.
Pour certains, " le Web3 ressemble plus à un mot marketing à la mode qu’à la réalité ", comme le tweetait Elon Musk en décembre 2021. Comment expliquer ce scepticisme selon vous ?
Le Web3 fait beaucoup de bruit sur le marché, une cascade de projets se montent, dont certains sont extrêmement nobles et visionnaires, et d’autres dont la qualité laisse encore à désirer, ce qui est normal puisqu’on est au tout début. Tous les investisseurs, ou presque, commencent à investir dans le Web3. Certains, dont de grands fonds de venture capital, investissent trop ou trop tôt par rapport au product-market fit (adéquation entre produit, concept et marché, ndlr), donc le marché ne peut pas suivre, ce qui peut donner une image erronée du potentiel des projets, créer du buzz sur le coup, et des grosses craintes ensuite.
Alors comment bien investir dans des projets Web3 ?
J’essaie de ne pas perdre la vision principale du Web3 et d’allouer du capital dans des sociétés qui portent ce sens. Quand on parle de Web3, on a tendance à y fourrer tous les projets cryptos ou NFT, mais c’est bien plus profond que ça. Beaucoup de startups du Web2 se vendent d’ailleurs comme parties prenantes du Web3, alors que ce n’est pas le cas, et que toutes leurs données sont ultra-centralisées, donc à l’opposé de la thèse du Web3. Ce sont ceux que j’appelle les " agents " du Web3.
Pour éviter ces pièges et investir dans de vrais projets du Web3, il suffit de regarder les business models des startups. Des agents du Web3 vont par exemple dire qu’ils assistent les utilisateurs pour émettre des NFT, mais n’ont aucune logique de plateforme basée sur une technologie décentralisée. D’autres présentent déjà des projets solides, dont les revenus prouvent aisément leur philosophie. C’est le cas de Starton, une startup française dans laquelle on a investi récemment, qui développe une API qui permet aux entreprises de se positionner sur la technologie blockchain en quelques jours de développement et en permettant à n’importe quel développeur de transformer des applications mainstream en applications blockchain. La France a une place de leader sur le marché européen sur le Web3 et la blockchain en général, c’est une chance ! Parmi les projets que je découvre et étudie pour mes investissements, c’est dans l’Hexagone que je vois passer ceux avec le plus de potentiel aujourd’hui.