8 mars 2022
8 mars 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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Les Sourdoués, l'école qui forme les personnes sourdes aux métiers du numérique

Cédric Richard est à la tête d’une formation certifiante en langue des signes pour permettre aux étudiants sourds de se former au métier de web designer ou de développeur web. Il revient pour Maddyness sur les contours de son école, une première en France.
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Seuls 5% des sourds poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur, selon une enquête menée par la Drees (Direction de la Recherche, des Études, de l'Évaluation et des Statistiques). Un constat alarmant qui a poussé Cédric Richard, fondateur de l’entreprise Signes & Formations, à créer les Sourdoués, une école qui forme les publics sourds aux métiers du numérique en langue des signes française, aujourd’hui présente à Lyon et Toulouse. Il revient pour Maddyness sur les raisons de son engagement. 

Pourquoi avoir créé les Sourdoués, une formation spécifiquement dédiée aux publics sourds ? 

Cédric Richard : Depuis 2012, avec mon entreprise Signes & Formation, nous proposons des services et enseignements en langue des signes pour toute personne qui souhaite se familiariser avec cette langue, entendant ou non. En m’intéressant à ce sujet, je me suis aperçu que les sourds sont très peu présents dans les centres de formation, en école ou à l’université. Ils n’entrent pas dans les chemins de l’enseignement par manque d’accessibilité.  

J’ai relié ce constat au fait que les métiers du numérique représentent un secteur d’avenir, dans lequel les entreprises embauchent de plus en plus. C’est comme ça qu’est née l’école des Sourdoués, pour permettre au public sourd d’accéder aussi à ces opportunités, à travers une formation 100% dispensée en langue des signes française. 

À quoi est dû le manque d’accessibilité des formations aujourd’hui ? 

On a tendance à penser que les personnes sourdes peuvent avoir facilement accès à l’information par le français écrit, c’est une idée reçue totalement fausse. Pour eux, le français est une langue étrangère, et la langue des signes représente la langue facilement accessible et naturelle. Donc, aujourd’hui, dans les formations en milieu ordinaire, c’est comme si les personnes sourds apprenaient leur discipline dans une autre langue que la leur. 

À cela s’ajoute que la construction cognitive des personnes sourdes est différente. Elles ont une pensée visuelle, le canal d’accès à l’information passant principalement par les yeux. Cela implique une manière de structurer sa pensée différente de celle des personnes entendantes, qui est plus linéaire, alors que les sourds pensent en images. En matière d’accès à l’enseignement, cela implique aussi de créer une méthode pédagogique adaptée. 

Comment sont donc conçues vos formations pour s’adapter aux besoins de vos étudiants ? 

Tous nos parcours se font en langue des signes, dispensés par des professeurs eux-mêmes sourds, ce qui ôte déjà la barrière de la langue. Notre pédagogie est aussi pensée sur un mode d’apprentissage visuel. Cette solution permet aux étudiants de se concentrer sur l’apprentissage de leur métier, plutôt que de chercher à compenser leur handicap. Si ça a l’avantage d’offrir un confort réel aux étudiants, cet environnement leur permet aussi de ne pas avoir honte ou d'avoir peur de gêner les autres en posant des questions et dans leurs interactions. Les sourds grandissent souvent dans l’idée qu’ils ne sont pas capables de faire un métier de développeur ou autre, justement parce qu’ils sont sourds. Ici, on engage les apprenants à montrer qu’ils sont capables et on les positionne comme des professionnels, pas comme des personnes handicapées.

Et ce focus sur les métiers du numérique, une première en France, leur permet d’envisager une nouvelle voie professionnelle? 

Les jeunes sourds ne se voient pas offrir le choix de leur orientation, on les dirige vers des métiers dans lesquels ils ne sont pas épanouis. Cela est dû au fait que ce public apprend souvent son métier dans les instituts de jeunes sourds implantés localement, qui sont accolés à des centres d’apprentissage dont les spécialités sont pré-établies et limitées. Finalement, il est facile de deviner le métier d’une personne sourde en regardant où elle a grandi. Cette orientation subie sous-tend l’idée selon laquelle on n’attend pas que les sourds contribuent à notre système, on leur donne simplement un bagage de survie, et c’est un énorme gâchis de talents. 

De plus, grâce à leur pensée visuelle et spatiale, les personnes sourdes sont naturellement douées pour la conception graphique et la création d’un parcours utilisateur optimisé notamment. Sur le travail des interfaces, la réflexion est plus intuitive chez ce public, contrairement aux entendants qui passent par l’étape de pensée avec les mots. Avec les Sourdoués, on s’est aussi dit " pourquoi ne pas mettre à profit ce don naturel des personnes sourdes pour les arts graphiques et la programmation ". Et les résultats de nos promotions en témoignent bien : les courbes de progression sont quasiment à la verticale, les étudiants apprennent à une vitesse impressionnante car ces apprentissages sont intuitifs pour eux. 

Y a-t-il aussi un volet d’insertion professionnelle, au sein des entreprises, pour apprendre aux employeurs et salariés atteints de surdité comment collaborer au mieux ? 

On développe tout un apprentissage pour nos étudiants sur le monde de l’entreprise, ses conventions, mais on sensibilise aussi directement les sociétés à s’adapter à leurs salariés sourds, afin qu’ils puissent exercer leur métier dans les meilleures conditions. Pour aider nos étudiants dans leur chemin vers l’entreprise, on essaie de les réconcilier avec les français, tout en leur apprenant mieux la langue, à partir de la langue des signes, ce qui est tout de suite plus facile pour eux. 

sourdoués

En face, pour les entreprises qui accueillent nos étudiants en apprentissage, on développe l’autre partie du boulot : on travaille avec elles pour déconstruire leurs représentations, souvent négatives, des personnes sourdes. On les accompagne pour leur apprendre comment communiquer avec les personnes sourdes, en privilégiant les communications d’informations par écrit notamment, ou encore en utilisant des transcripteurs de texte, comme l’outil développé par la startup Ava par exemple, qui permettent aux salariés sourds de pouvoir suivre aussi des conversations plus informelles entre collègues. 

Aujourd’hui, vous êtes présents dans deux villes, mais comptez-vous étendre vos centres de formation à l’avenir ? 

Nous avons en effet ouvert notre premier campus à Lyon. Cette année, grâce à un partenariat avec WebForce3, nous avons également ouvert une nouvelle formation gratuite à Toulouse. À terme, l’idée est évidemment de nous déployer plus largement sur le territoire, notre prochaine cible étant l’ouverture des Sourdoués à Paris, afin de répondre aux besoins d’un public sourd très nombreux, dispersé géographiquement. 

Un autre grand chantier nous attend : l’ouverture d’un Bachelor et d’un Master pour valoriser notre enseignement. Aujourd’hui, nos parcours certifiés durent un an et notre formation est labellisée Grande École du Numérique, mais nos partenaires et les grandes entreprises ont souvent du mal à recruter des salariés sans les diplômes classiques Bac+3 ou +5. C’est très formel, mais on veut offrir à nos étudiants la possibilité d’accéder à ces entreprises. On espère pouvoir ouvrir ces nouveaux cycles de formation dès la rentrée prochaine, en 2023. 

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© Sourdoués