Mise à jour d'un article paru le 30 avril 2021
Le campus sur le Domaine de la Boissière, dans la Vallée de Chevreuse, au Sud-Ouest de Paris, a accueilli ses premiers étudiants le 6 septembre 2021. Acheté en 2019 à 51 % par Audrey Bourolleau, diplômée de l'école supérieure de commerce de La Rochelle, et à 49 % par la holding personnelle de Xavier Niel, fondateur et principal actionnaire d'Iliad (Free), le domaine a nécessité une rénovation complète.
La France est le premier pays producteur agricole de l’Union européenne, ce qui n'empêche pas les éleveurs et les agriculteurs d’alerter depuis des années sur leurs conditions de travail, ni de voir le nombre d’exploitations agricoles diminuer chaque année. L’ancienne conseillère Audrey Bourolleau en est consciente. "Nous sommes confrontés à un défi de génération très conséquent. En France, 160 000 fermes sont à reprendre d'ici trois ans. Il faut former la prochaine génération, souligne l'ancienne conseillère d'Emmanuel Macron. Xavier Niel a toujours eu l'engagement de former dans des formats très agiles et innovants, comme ce qu'il a pu faire avec 42."
Ce qui explique sans doute la volonté d'Audrey Bourolleau de s’associer avec lui sur ce projet, en espérant que le succès sera identique à celui de son campus de formation au développement informatique. C'est Francis Nappez, passé par Free et Meetic avant de co-fonder BlaBlacar, qui a été chargé de tenir le cap en tant que directeur général.
C’est bien cette nouvelle génération d’agriculteurs et de salariés agricoles que Xavier Niel et Audrey Bourolleau entendent accompagner et former. Pour les nouveaux entrants qui ne seront pas "dans un schéma de transmission familiale, la marche va être très haute" , confie-t-elle. "Il faut leur donner des modèles qui tournent économiquement, soient socialement justes et durables. Ce que nous voulons leur donner, c'est vraiment une posture de chef d'entreprise agricole."
Un accélérateur de startups agricoles
Entrepreneur, investisseur et amoureux de la tech, Xavier Niel n'a pas seulement voulu créé un campus consacré à l'entrepreneuriat dans le monde agricole. À cette première brique s'ajoute un accélérateur développé en partenariat avec HEC Paris. Car le monde agricole doit faire évoluer son mode de fonctionnement mais aussi ses pratiques pour répondre aux enjeux actuels à venir. "Le volet 'innovation' d'Hectar est devenu plus central qu'imaginé au départ, relève Audrey Bourolleau. Nous avons eu énormément de demandes d'accélération de startups. D'un programme très axé sur les repreneurs de fermes au départ, nous sommes passés à un écosystème AgriTech , avec davantage de startups qui pourront leur apporter des solutions." Une ambition qui coïncide avec celle du gouvernement qui a récemment annoncé le lancement du mouvement "Agri French Tech" et l'octroi d'une enveloppe de 200 millions d'euros pour développer des solutions d'avenir.
Décrite comme une "ferme écrin" par Audrey Bourolleau, petite-fille d'agriculteurs, Hectar adoptera une démarche et une vision respectueuses de l’environnement. Face aux défis climatiques, l'école entend ainsi mettre l'accent sur les techniques de préservation des sols agricoles. "Nous avons fait le choix d'être en bio et en agriculture régénératrice, c'est-à-dire que nous ne labourons pas les sols, détaille l'ancienne conseillère d’Emmanuel Macron, qui habite sur le domaine. Nous avons remis en place de l'élevage sur une ferme qui ne faisait plus que de la grande culture." Cette vision se couple, au sein de l'accélérateur, à une brique technologique.
" Si on regarde le passé, les agriculteurs ont toujours été technophiles, souligne Francis Nappez. Il y a vraiment tout un parcours à créer autour de la donnée, l’accès à cette donnée, la valorisation de la donnée et l’aide finale offerte aux agriculteurs " , développe t-il. Idem pour la robotisation. " Il y a un prisme sur lequel nous ne voulons pas aller : la technologie comme remplacement, insiste-t-il. Je n’y crois pas, il faut que ce soit les agriculteurs qui prennent la décision finale et pilotent leurs fermes. La technologie doit aider à augmenter la valeur directe " .
Les onze startups de cette première cohorte, dévoilée ce lundi 7 février 2022, répondent à ces deux visions. Nudj, Bio demain, Agriodor, Mycophyto, TerraTerre, My Easy Farm, Aptimiz, Kuupanda, Touti Terre, RGX et Alvie développent des solutions pour faciliter le travail sur les exploitations, réduire les besoins en pesticide ou encore encourager une alimentation plus responsable.
Deux formations pour prendre la posture d'un chef d'entreprise
Le premier cheval de bataille d'Hectar demeure néanmoins l'entrepreneuriat. Porteurs d'un projet agricole en gestation, les participants suivront un programme personnalisé, "Hectar tremplin" , destiné à leur permettre de "consolider leur business plan" et de "passer de l'idée à l'action". La majeure partie de cette formation sur cinq semaines se fera en distanciel. "L'apprenant pourra suivre le programme sur son temps libre" , souligne Francis Nappez. Trois cents personnes par an pourront bénéficier de ce coaching.
Les formations d'Hectar sont gratuites pour l'apprenant et dispensées par des pairs et non par des enseignants, à l'instar des écoles de codage informatique 42 lancées par Xavier Niel. Association d'intérêt général, Hectar est éligible aux fonds de la formation professionnelle. La formation phare, "Hectar entrepreneurs" , tournée vers la reprise d'exploitations agricoles, a démarré en janvier 2022. D'une durée de six mois, elle concerne quelque 60 personnes par an.
Une formation sur l'IA appliquée à l'agriculture
Par ailleurs, Hectar accueille un programme de formation sur l'intelligence artificielle appliquée à l'agriculture, à destination d'étudiants codeurs de l'école "42" . Baptisé Agritech IA et ouvert en juin 2021, ce programme d'une durée de 9 à 12 mois "permettra chaque année à une trentaine d'étudiants de 42 de développer des compétences techniques dans le cadre de projets d'intelligence artificielle liés au contexte et aux besoins du secteur agricole" , indiquent Hectar et 42 dans un communiqué commun.Et Francis Nappez d'ajouter : "Les entreprises qui fournissent des solutions Tech au secteur agricole sont avides de trouver des profils de codeurs comprenant les enjeux du secteur." Effectif visé : 30 personnes par an au départ, "environ 60 à terme".
En mars 2021, la révélation par le magazine Capital du projet Hectar avait suscité des critiques. La chambre d'agriculture, la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs (JA) d'Île-de-France s'étaient interrogés "sur sa finalité idéologique". La Région Île-de-France, elle, croit en ce projet ambitieux - qui vise l’installation de 30 porteurs de projets par an sur son territoire - et lui a même attribué une subvention.