Article initialement publié le 18 octobre 2021
Répondre aux bouleversements technologiques. C’est ce à quoi s’attachent les recruteurs, alors que les compétences recherchées s’aiguisent et que les modes de travail changent. Isabelle Rouhan, présidente du cabinet de recrutement Colibri Talent et autrice du livre Emploi 4.0, passe en revue pour Maddyness quelques-uns des métiers actuels amenés à évoluer et d'autres qui pourraient bien émerger, à moyen ou long terme : avocat, neuromanager, éducateur de robots...
Les métiers en évolution
Ces professions que l’on connaît bien, déjà investies par des millions de professionnels à travers le monde, sont bousculées par la trajectoire prise par le numérique. Les limites de leur champ d’action sont mouvantes, si bien que leurs missions pourraient être amenées à changer, d’après Isabelle Rouhan. Le data scientist a un rôle "toujours plus transverse" , selon la spécialiste du recrutement, qui estime qu’il va devenir un "interprète des données avec une panoplie renforcée de compétences économiques" afin de pousser ses analyses jusqu’au bout. Dans cette lignée, l’avènement du poste de data journalist se confirmera : "Ces professionnels permettront à leurs collègues journalistes de se décharger des informations automatisables [météo, cours de bourse, résultats sportifs, N.D.L.R.] pour se concentrer sur la manière d’angler leurs sujets" , relève Isabelle Rouhan.
Mais le métier d’avocat augmenté permet davantage de prendre conscience de l’ampleur des conséquences du numérique sur les modes de travail. L'établissement automatisé des documents juridiques, comme le proposent certaines LegalTech, permettra de développer le travail au forfait dans le secteur : "Actuellement, les avocats peuvent automatiser deux tâches qui représentaient auparavant un temps incompressible : la rédaction d’actes standardisés et la recherche documentaire. Les outils numériques leur permettent de se focaliser sur la défense du client qui deviendra, elle, bien plus accessible" , illustre Isabelle Rouhan, qui assure qu’une large portion des professions actuelles prendront un même tournant.
Tout un univers en révolution
Les métiers suivants ne font qu’émerger. Ils découlent directement des bouleversements récents auxquels le monde du travail est confronté et, à ce titre, les professionnels à les exercer restent rares, à en croire Isabelle Rouhan. L'experte a accepté de se prêter à l’exercice de l’anticipation, sur la base d’études ainsi que d’expérimentations sur le terrain.
Ains, le poste de stratège de l’automatisation aurait pour but de "repenser les processus de l’entreprise pour les alléger et pour s’assurer qu’ils tendent bien vers une finalité commune à forte valeur ajoutée" . Ce qui permet d’automatiser ou d’externaliser les fonctions secondaires. "5 % des postes actuels pourraient être totalement robotisés, mais 60 % sont au moins en partie affectés par la robotisation" , selon Isabelle Rouhan, qui s'appuie sur une étude de McKinsey pour avancer que "la robotisation est l’amie de l’emploi" . La spécialiste indique que "la France compte 19 robots pour 10 000 salariés, contre 77 pour 10 000 en Corée du Sud" . Et d’ajouter : "Par ailleurs, les pays les plus robotisés au monde, Allemagne et Japon, ont aussi le taux de chômage le plus bas, autour de 3 %. C’est 8 % chez nous."
Dans le monde médical, la robotisation représente également un intérêt majeur d’après Isabelle Rouhan, citant en exemple le Centre hospitalier de l’université de Montréal, encensé pour avoir mis en place une "autoroute des robots" . "Les chariots de la structure sont automatisés. Les magasiniers sont chargés de leur contrôle qualité et aussi de la logistique, ce qui permet au personnel soignant de se concentrer sur les patients" , souligne l’autrice, qui pointe le fait que les chiffres montrent une "forte augmentation du taux de guérison" . Pour ce qui relève du management, Isabelle Rouhan suggère qu’un rôle de neuromanager émerge. "Il s’agit d’adapter la gestion des équipes de manière à s’adapter à leur psychologie. Il faut pouvoir gérer des peurs ou d’autres émotions qui leur sont propres" , explique-t-elle, jugeant qu’un tel poste serait en mesure de "redonner ses lettres de noblesse au middle management" .
Toujours en matière de management, l’un des axes à améliorer est, selon la spécialiste, la communication intergénérationnelle. C’est ce que pourrait s’attacher à développer un futur "reverse reverse" mentor. "Un jeune peut aider un moins jeune à maîtriser de nouveaux outils numériques." À l’inverse, un professionnel disposant d’expérience pourrait dispenser des conseils quant à une multitude d’autres tâches opérationnelles. "Un proverbe africain dit que le jeune court vite, mais que le vieux connaît le chemin" , sourit-elle. Selon Isabelle Rouhan, ce "compagnonnage entre générations" serait intéressant au sein des startups. 80 000 postes sont, selon l’experte, à pourvoir dans l’écosystème numérique... qui n’est pas encore un champion de la diversité. "Dans les startups, on compte seulement 30 % de femmes salariées. Et, en moyenne, un écart de 10 ans d’âge médian avec les sociétés traditionnelles."
De nombreuses innovations radicales
Cette catégorie regroupe des métiers qui ne verront probablement pas le jour avant des années. Pour autant, l’accélération de l’adoption des technologies numériques ainsi que de l’intelligence artificielle pousse à envisager ce qui pourrait se dessiner à l’horizon 2050. Isabelle Rouhan imagine "une convergence entre sciences molles et sciences dures" , qui permettrait de "ne pas avoir les philosophes d’un côté et les développeurs de l’autre" . La profession d’éducateur de robots est une des potentielles concrétisations de cette idée : "Il aura pour fonction de paramétrer une machine ou un algorithme afin de le dresser à réaliser telle action ou enregistrer telle information" , expose ainsi la présidente de Colibri Talent, avançant que "la présence toujours plus importante des objets connectés dans les foyers et sur les personnes" rendra ce métier incontournable à plus ou moins long terme.
L’éducateur de robots devrait, d’ailleurs, appliquer les recommandations du futur éthicien de l’intelligence artificielle. Ce dernier devrait être amené à déterminer la latitude qu’il convient de laisser à la machine pour agir. "La mésaventure de l’agent conversationnel Microsoft Tay, devenu hostile en seulement 24 heures parce que l’environnement l’est sur Twitter, prouve qu’il faut réguler le libre arbitre de l’IA, estime Isabelle Rouhan, qui assure que cela doit aussi s’appliquer à la mobilité – voitures et avions autonomes, notamment. Les accidents mortels des deux Boeing 737 Max ont montré que la machine avait la main sur des phases de vol au détriment des pilotes, qui n’ont pas pu reprendre le contrôle." En somme : à l’Homme d’établir ce qui peut être délégué à l’IA… et ce qui ne doit pas l’être.
L’application future de technologies de pointe à des cas d’usage extrêmement divers de nature conduira sans aucun doute à prévenir la survenue de situations à risque. Tel sera le rôle de l’anticipateur de scénario de crise. "Il faudra qu’il fasse l’impossible : prévoir ce qui n’est pas, ou alors très difficilement prévisible" , explique Isabelle Rouhan, estimant que "l’armée le fait déjà en imaginant avec des écrivains de science-fiction ce que sera la guerre du futur" faite de drones et de robots au service des combattants. Et d’ajouter : "La technologie progresse si vite que, dans le but de réveiller des scénarii réalistes à trois ans, il faut déjà se projeter dans le futur de 2070."
Pour ce faire, rien de tel qu’ "embaucher des auteurs rompus à l'anticipation" d’après l’experte. De quoi faire émerger les métiers qui deviendront, à leur tour, cruciaux pour le futur de l’humanité.