La Fintech tricolore tient sa quatrième licorne. En annonçant un nouveau tour de table à 100 millions d'euros qui fait passer sa valorisation à dix chiffres, Spendesk est venu grossir un peu plus les rangs des succès tricolores. Et parmi les désormais 25 licornes françaises, quatre sont issues de la Fintech - Lydia, Qonto, Payfit et Spendesk, les trois dernières ayant acquis leur statut depuis le début de l'année. Leurs valorisations cumulées en font même le deuxième secteur de l'écosystème français des licornes, derrière l'e-commerce, dépassant ainsi le divertissement. Si l'on ajoute les Assurtechs Alan et Shift Technology, le secteur dépasse allègrement les 10 milliards de dollars de valorisations cumulées.
En quelques semaines, l'écosystème tricolore a ainsi corrigé ce que l'on pouvait qualifier d'anomalie. Avec près de 200 licornes dans le monde, selon le décompte effectué par le site CBinsights, la Fintech fait partie des secteurs les plus pourvoyeurs en succès entrepreneuriaux. Et avec quatre représentantes dans le top 10 des licornes les mieux valorisées, le secteur confirme qu'il fait aussi bien en valeur qu'en volume. L'Américain Stripe monte ainsi sur la troisième place du podium global (95 milliards de dollars). La première startup européenne du classement, qui apparaît à la quatrième place, est aussi une Fintech : la Suédoise Klarna (valorisée un peu plus de 45 milliards de dollars). La France entame donc une sorte de remontada.
Des atouts structurels, une accélération conjoncturelle
Rien d'étonnant à cette moisson hors normes, les Fintechs peuvent compter sur des financements historiquement pléthoriques. " Depuis plusieurs années, la Fintech apparaît régulièrement dans le top 3 des secteurs qui lèvent le plus d'argent, cela a donc du sens que le secteur fasse émerger beaucoup de licornes ", rappelle Emma Six, associée du cabinet spécialisé Klein Blue Partners. " Ce qui se passe aujourd'hui est le produit de 8 à 10 ans d'investissements ", appuie Alain Clot, président de France Fintech.
Il peut aussi compter sur plusieurs atouts qui lui sont propres pour expliquer cet engouement des investisseurs. " Les cycles de développements sont assez courts par rapport à la santé ou la Biotech, les changements d'usages sont plus rapides ", souligne Emma Six. Les modèles économiques ont été éprouvés et se fondent majoritairement sur " des besoins déjà existants, qui requièrent et accélèrent la digitalisation des usages ". De son côté, Alain Clot insiste sur la diversité et la qualité des modèles économiques des licornes tricolores. " Le coût d'acquisition client est certes élevé, comme dans la plupart des modèles fintechs européens; mais les acteurs français parviennent à le monétiser. "
" Les business plans des licornes françaises sont crédibles "
Alain Clot, président de France Fintech
L'accélération tricolore est aussi à mettre au crédit de tendances plus conjoncturelles. D'abord, " le Covid a favorisé l'émergence de services 100% en ligne après les changements de comportements des Français, notamment dans le paiement mais aussi en ce qui concerne la gestion de la comptabilité, de la trésorerie ou de la paie ", rappelle Emma Six. La Fintech, au même titre que l'e-commerce, fait partie des grands gagnants de la crise qui dure depuis deux ans.
D'autant que cette accélération endogène s'est couplée avec " l'injection de beaucoup de liquidités pour soutenir l'économie, qui s'est traduite par le développement des investissements dans les startups ". L'associée de Klein Blue Partners met enfin les dernières annonces sur le compte d'un " effet de rattrapage ", alors que l'économie a été stoppée nette durant plusieurs mois début 2020. L'année 2021 a constitué le rebond tant attendu par la Tech, dont les dernières licornes annoncées sont les témoins.
Des licornes pérennes ?
Si elle est partie plus tardivement dans la course aux licornes que les écosystèmes voisins, la Fintech tricolore peut compter sur les synergies qu'elle a su créer avec les acteurs traditionnels. Mais elle devra encore confirmer, notamment avec des introductions en Bourse, pour prouver que ses représentantes peuvent prospérer sans passer par la case rachat par un acteur bancaire. " Les licornes françaises n'ont plus besoin de s’adosser à des acteurs traditionnels pour se projeter, constate Alain Clot. Elles ont les moyens de se développer indépendamment. " Pour autant, le président de France Fintech ne fait pas de la cotation un passage obligé dans le contexte actuel. " Il y aura sans doute des cotations mais les scaleups ont un raisonnement opportuniste : elles comparent la voie des levées et la voie de la cotation " et choisissent la meilleure option. La disponibilité de capitaux et la concurrence accrue entre les investisseurs leur permet actuellement de se financer facilement et avec une dilution moindre sur le marché du capital-risque, ce qui repousse la perspective de cotations boursières.
Néanmoins, la Bourse pourrait constituer une option alléchante pour des entreprises dont les cycles de financement s'accélèrent. " La préoccupation des CEO, ce n'est pas de passer 10 mois dans l'année à lever des fonds, tranche Alain Clot. Leur vrai métier, c'est de développer l'entreprise et de gagner de nouveaux marchés. " Ce serait aussi le meilleur moyen d'éloigner le spectre d'une consolidation qui se ferait au bénéfice de scaleups étrangères, mieux financées et aux moyens suffisants pour lorgner sur les pépites tricolores.
Dont certaines aspirent elles-mêmes à devenir des licornes : dans sa dernière étude, Klein Blue Partners a ainsi référencé pas moins de huit autres Fintechs et Assurtechs, de Younited à Alma, en passant par Leocare, qui pourraient bien devenir des licornes dans les mois à venir.