Article initialement publié le 25 novembre 2021
" Ça fait une dizaine d’années qu’on essaie de régler le problème de la très faible présence des femmes dans nos formations, on n’a pas réussi, regrette Emmanuel Carli, CEO de l’école informatique Epitech. Il faut comprendre le côté systémique de cette problématique, et établir un vrai cadre de travail pour changer les choses ". C’est dans cette optique que cette formation a travaillé avec Ipsos et publié " L’Observatoire sur la féminisation des métiers du numérique ", pour comprendre les causes de ce manque de femmes dans le secteur et mieux adresser le sujet.
Réalisée auprès de 800 lycéens et lycéennes et 400 de leurs parents, tous représentatifs de la population française, cette étude a cherché à comprendre précisément comment les choix d’orientation se construisent dans l’esprit des jeunes, mais aussi la perception qu’en ont leurs aînés. Le rapport part du constat que 37% des lycéennes envisagent de s’orienter vers une école informatique ou une école d’ingénieur, contre 66% de garçons, alors même qu’elles sont 56% à s’intéresser aux secteurs du numérique et de l’informatique.
Le rôle déterminant des parents
Si tous les jeunes s’accordent à dire qu’il faut être bons dans les matières scientifiques pour réussir dans une école d’informatique, un premier problème se pose alors puisque seulement 43% de filles pensent avoir le niveau, contre 78% de garçons, et ce même quand elles ont plus de 14/20 de moyenne dans ces matières. " Les jeunes filles sont plus dures envers elles-mêmes, explique Amandine Lama, directrice de clientèle d’Ipsos engagée dans l’élaboration de cette étude. Elles cultivent le sentiment qu’elles n’ont pas le niveau pour intégrer une école d’informatique ou d’ingénieur ".
" L’étude nous révèle aussi le rôle déterminant des parents sur ces sujets ", poursuit cette experte d'Ipsos. Les parents sont en effet les premières personnes à qui les jeunes font confiance dans leur choix d’orientation (pour 33% d’entre eux). Et c’est là que le bât blesse : 33% des filles seulement sont encouragées par leurs parents à s’orienter vers les métiers du numérique, contre 61% des garçons. Moins exposées à des discours positifs sur les métiers informatiques, elles sont beaucoup plus nombreuses à les considérer comme trop techniques, solitaires ou ennuyeux.
L’une des raisons de ce manque d’engouement pour orienter sa fille vers cette filière semble résider dans le caractère masculin et potentiellement moins accueillant de cet environnement pour les femmes. En effet, 76% des lycéens considèrent que la profession d’expert informatique est un métier masculin. De la même façon, 87% des parents pensent que les femmes diplômées d’écoles informatiques sont désavantagées par rapport aux hommes, sur les questions de salaire, d’évolution ou d’embauche.
Reproduction des inégalités
" Les parents ont également tendance à projeter des attentes différentes dans le choix de métier de leurs enfants, ce qui n’encourage pas les filles à se tourner vers certains secteurs, alors même que les critères de sélection sont aujourd’hui sensiblement les mêmes pour les filles et les garçons ", précise Amandine Lama. En effet, si filles et garçons placent tous aujourd’hui la rémunération, les conditions de travail et la sécurité de l’emploi au haut de leurs critères de choix, les parents de filles mettent en deuxième position la possibilité de concilier vie privée et professionnelle, alors que ce critère n’arrive qu’en cinquième place pour les parents de garçons.
" Les parents ne creusent pas dans les mêmes directions d’orientation pour les filles et les garçons, observe la directrice de clientèle d’Ipsos. Cela contribue à une reproduction des inégalités en termes d’image et de répartition des rôles, ce n’est pas ce qui permettra le plus de changement social ". Convaincu, Emmanuel Carli, père de deux filles, conclut : " S’il y a des actions à mener du côté des écoles, des lycées et des centres de formations, il faut aussi que les parents se saisissent du sujet. Ce secteur représente de si belles opportunités… Il faut contribuer à l’empowerment de ses filles, en leur disant et leur répétant qu’elles peuvent y aller ".