6 janvier 2022
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Temps de lecture : 12 minutes
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10 milliards d’euros levés en 2021, l'année tant attendue par l'écosystème tech

Pour la première fois, les startups françaises avec 10 années maximum au compteur ont levé plus de 10 milliards d’euros en 12 mois. Un phénomène à la fois dû à un rattrapage suite à la crise sanitaire et à une amplification durable des investissements. Si les grosses entreprises en profitent largement pour mener des méga-tours, l’amorçage se maintient.
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2021 a été pour le moins prolifique pour les startups en matière d’investissement. D’après les calculs que nous avons réalisés sur la base de notre recensement des levées de fonds annoncées par l’écosystème français ces 12 derniers mois, les entreprises innovantes de 10 ans ou moins ont amassé la somme colossale de 10,03 milliards d’euros. Il s’agit d’une hausse de 150% par rapport à 2020 (4,3 milliards d'euros), qui avait été affectée par la crise sanitaire. Le niveau des investissements n’a jamais été aussi haut dans le pays, ce qui tend à s’expliquer par un double phénomène : un rattrapage par rapport à la relative frilosité des investisseurs l’an passé, ainsi que la réalisation de méga-tours par les licornes tricolores.

De l'argent disponible en grande quantité

Une partie de l’écosystème est bel et bien arrivée à maturité. Les dix premières opérations en valeur ont ainsi engrangé 3,32 milliards d’euros, soit près du tiers du montant total sur l’année. "2021 a été l’année que l’on attendait tous, reflétant la maturité croissante de l’écosystème français" , confirme ainsi à Maddyness Boris Golden, partner chez Partech, qui note que "la disponibilité de l’argent, en particulier en late stage, est en adéquation avec la très grande qualité des startups et scaleups françaises" .

Et l’appétence des VCs étrangers pour l’innovation française s’est également confirmée. Le conglomérat japonais SoftBank, dont les investissements XXL sont connus de longue date à l’étranger, a fait une entrée fracassante en France au travers de premiers investissements dans Sorare, Contentsquare et Swile. "De tels méga-tours de financement étaient inenvisageables en 2020" , assure Boris Golden, qui juge toutefois que "le plus représentatif n’est pas le total de l’argent levé, influencé par quelques gros tours, mais le nombre d’opérations menées" : 782, selon notre recensement - contre 586 en 2020, soit une progression de 33,5 %.

Selon l’investisseur, une part non négligeable des 10 milliards d’euros levés en 2021 a été "cannibalisée par quelques tours d’ampleur" . Pour autant, relève-t-il, "s’il y a eu beaucoup d’argent en late stage, l’amorçage et l’early stage n’ont pas été en reste, avec des levées inédites également" : ces tours concernent, en effet, 494 opérations annoncées au cours des 12 derniers mois – soit 63,17% du total. Le tout, avec un ticket médian en hausse notable sur un an : 2,65 millions d’euros en 2021, contre 2 millions d’euros en 2020. "Même en amorçage, les tours ont grossi" , confirme Thomas Rival, partner chez Evolem.

Comme chaque année, les investisseurs mettent en avant la nécessité de préserver les tours en amorçage à un bon niveau. "Il faut que le nombre de tours d’amorçage augmente, alors qu’il apparaît tout juste stable aujourd’hui. C’est crucial pour garantir l’avenir" , alerte ainsi Thomas Rival. Le VC regrette qu’il y ait "moins de syndications de fonds, les investisseurs préférant préempter les tours qui les intéressent du fait de la quantité d’argent à déployer" . Ce qui a, selon lui, pour effet de "complexifier la gouvernance des entreprises" financées. "Il n’y a jamais eu autant de financement en seed, relativise Julien-David Nitlech, managing partner chez Iris Capital. À tel point qu’on voit émerger le pré-seed, qui n’existait pas il y a quelques années. On a ajouté du financement au financement, ce qui implique que l’argent se déploie plus tôt et de façon plus conséquente. Mais il est vrai que les sociétés qui ont généré du momentum sont celles qui ont concentré le plus d’argent."

Province et entrepreneuses encore peu représentées

L’Île-de-France concentre à nouveau, en volume, une majorité des levées de l’année. 61% des opérations menées ces douze derniers mois l’ont été par une startup dont le siège social s’y trouve. En valeur, le phénomène est d’autant plus notable : la région capitale a engrangé 81% des fonds levés en 2021. Dans les deux cas, c’est davantage que ce qui avait été observé en 2020 – 57% et 70%, respectivement. Le centralisme s’est accru. "Le late stage est le reflet des investissements passés, il ne paraît donc pas illogique que les capitaux restent très parisiens" , note Boris Golden, qui se serait toutefois "attendu à voir remonter plus vite les écosystèmes régionaux en nombre d’opérations, notamment early stage" à la faveur du travail à distance.

Et Thomas Rival d’abonder : "Le mouvement vers les régions se renforce indubitablement, suite au Covid-19. Evolem a, par exemple, renoncé à un précédent critère qui limitait les investissements aux villes de Lyon et Paris. Nous avons réalisé, cette année, de premiers tours à Nantes, Toulouse et Montpellier" , argue-t-il, bien que le portefeuille du fonds compte encore "80% de sociétés franciliennes" . Julien-David Nitlech avance, lui, faire "le pari que nous allons voir un éparpillement de la création de startups partout en France dans les années à venir" . L'investisseur estime que "la concentration tech parisienne n’est pas tant liée au capital qu’à la répartition des employés tech" et que si ces derniers "se disséminent, cela promet une nouvelle distribution de la création d’entreprise dans les prochaines années" .

Mise en lumière comme jamais, la parité dans l’accès au financement est un sujet majeur au sein de l’écosystème. Les jeunes pousses dont l'équipe fondatrice comporte au moins une co-fondatrice ne représentent que 17,7% du nombre d’opérations enregistrées. Un chiffre quasi stable sur un an (+0,7%), ce qui étonne même les investisseurs. "Il y a un décalage entre la prise de conscience qui semble avoir eu lieu en 2020, voire avant, et des résultats tangibles. On ne perçoit même pas d’effet de correction" , constate Boris Golden, assurant qu’il serait "très surpris et déçu que cela n’intervienne pas dans l’année à venir" . Et ses homologues d’Iris Capital et Evolem confirment. "On voit une énergie, mais la machine a tout juste été lancée. Cette légère hausse prouve que, quand les femmes prennent confiance en elles grâce à des rôles modèles, les investisseurs répondent présent. C’est maigre, mais ça bouge" , appuie Julien-David Nitlech, qui prédit que "la courbe va devenir exponentielle" . Thomas Rival, qui observe que "l’effet de la médiatisation du sujet ne se fait pas encore ressentir" , ne s’étonne pas d’une "latence de trois ou quatre ans" et pointe "le manque persistant d’entrepreneuses" .

On ne compte plus les méga-tours

Si un phénomène a caractérisé l’année 2021, c’est bien la multiplication des méga-levées. On dénombre pas moins de 20 levées supérieures ou égales à 100 millions d’euros, soit un niveau inédit pour l’écosystème français. Rendez-vous compte : sur les 13 opérations les plus élevées de l’histoire de la French Tech, 10 ont été annoncées cette année !

Sorare a pulvérisé le record historique pour une levée française, avec un montant de 580 millions d’euros. Un tour qui a suivi de près le précédent, déjà mené en 2021, à hauteur de 40 millions d’euros. La startup, à l’origine d’un jeu mêlant fantasy football et NFTs, a ainsi réuni la bagatelle de 620 millions d’euros en l’espace de quelques mois.

Mirakl, qui occupait la pôle position l’an dernier (257,8 millions d’euros), a récidivé cette année en levant 473 millions. Juste derrière, une autre habituée du haut de classement : Contentsquare, avec un tour de table de 408 millions d’euros. L’expert de l’analyse des comportements des internautes sur l’Internet avait levé quelque 154 millions en 2020.

Ledger a, pour sa part, annoncé une levée de 312,4 millions d’euros. Le spécialiste de la sécurisation des cryptomonnaies a ainsi acquis le statut de licorne en 2021. Il est suivi de près par IAD, avec son opération à 300 millions d’euros visant à soutenir le déploiement de son réseau immobilier sans agence.

Trois autres levées ont franchi le cap des 200 millions d’euros. La plateforme en ligne de distribution de bricolage et jardinage ManoMano (298,6 millions d’euros) parvient à se classer pour la troisième fois de suite dans le top 10 annuel. Ce n’est "que" la deuxième fois pour BackMarket, qui a collecté 276 millions pour sa plateforme en ligne de vente d’appareils électroniques reconditionnés. Enfin, le studio de jeu vidéo Voodoo a lui signé une belle opération à hauteur de 266 millions d’euros pour financer sa croissance externe.

Certains secteurs focalisent l'attention

Après la levée historique de Sorare, il ne pouvait en être autrement. Les divertissements se hissent, pour la première fois, en tête du classement sectoriel. Ils ont concentré 10,86% des fonds levés cette année (1,09 milliard d’euros) et 3,71% des opérations (29). "Si le divertissement signe une percée cette année, c’est en grande partie dû à Sorare, analyse Thomas Rival. Mais l’avènement de la creators economy, qui n’existait pas encore il y a quelques années de ça, est une tendance de fond qui explique également le phénomène."

Fidèle au poste, la FinTech arrive seconde. Le secteur a réuni 9,99% du montant total (1 milliard d’euros) et 10,23% des tours de table (80). "On assiste à un essor de la FinTech partout en Europe, cela saute aux yeux. Le sujet est notamment porté par l’ouverture de la donnée bancaire et la banalisation de son usage par les applications" , pointe Julien-David Nitlech.

La PropTech, que les investisseurs conseillaient il y a un an pile de surveiller, a réussi son année. Pas particulièrement brillante l’an dernier, elle a attiré 6,27% des fonds levés cette année (628,59 millions d’euros) et 5,63% du nombre total d’opérations (44). "Le secteur a connu une année assez exceptionnelle" , confirment Thomas Rival et Julien-David Nitlech.

La MarTech (avec 613,3 millions d’euros, soit 6,12% du montant total, et 29 opérations, soit 3,71% du nombre total) et l’AssurTech (avec 604,4 millions d’euros, soit 6,03% du montant total, et 22 opérations, soit 2,81% du nombre total) complètent le top 5 de 2021.

À noter que la HealthTech profite encore de la crise sanitaire : BioTech et MedTech ont respectivement levé 561,6 millions et 551 millions d’euros – plus de 1,1 milliard d’euros à deux. "On remarque que plusieurs secteurs sont sortis du lot. La FinTech et la HealthTech continuent leur envolée. La ClimateTech prend rapidement de l’ampleur. Le tout répondant aux crises actuelles, économiques, sanitaires ou environnementales" , analyse ainsi Boris Golden, saluant le bilan affiché par la GreenTech – dixième, avec 453,4 millions d’euros.

Parmi les lanternes rouges figurent, à nouveau, le secteur du voyage, qui est durablement affecté par la crise sanitaire – il ne fait guère mieux qu’en 2020, représentant 0,21% des fonds levés (21 millions d’euros) et 0,64% des opérations menées (5). La smart industry a fait un peu moins bien encore que l’an passé, en attirant 0,37% du montant total (37,2 millions) et 1,79% des opérations (14). L’AgriTech n’est pas non plus au meilleur de sa forme, représentant 0,7 % du montant total (75,6 millions) – mais tout de même 2,69% des opérations (21).

En 2022, "sauf cataclysme, la frénésie se poursuivra"

Une large part de l’écosystème a atteint la maturité en 2021. Une question demeure en suspens : les investissements vont-ils se poursuivre à un rythme aussi effréné, en 2022 ? Thomas Rival n’en doute pas, constatant qu’"il y a encore plein d’argent partout donc, sauf cataclysme, la frénésie des investisseurs se poursuivra" . Et Julien-David Nitlech de nuancer : "ce retour des années folles en matière d’investissement s’accompagne sans doute d’un record de nouveaux millionnaires de la tech, qui n’ont jamais été si nombreux en France. Le niveau observé en 2021 sort de la norme, mais cela deviendra-t-il justement la nouvelle norme ?" L’investisseur relève que "ce doublement des investissements en un an est une évolution jamais vue auparavant et la croissance des sociétés insolente, avec des montants qui commencent à tutoyer ceux parfois déployés aux États-Unis à un même stade de développement". Tous deux s’accordent, cela dit, sur le fait que des secteurs n’ayant pas surperformé en 2021 pourraient à leur tour connaître leur heure de gloire.

Julien-David Nitlech estime ainsi que "si le marché de la logistique s’est effondré avec le Covid-19, il reprendra forcément après la crise" . L’investisseur dit, par ailleurs, entrevoir "une consolidation dans la FinTech, un secteur dans lequel une poignée de scaleups est désormais valorisée davantage que certaines banques traditionnelles" . Pour l’année 2022, le managing partner d’Iris Capital enjoint ses homologues à "regarder les changements systémiques pour investir dans des domaines où tout le monde ne le fait pas" . À en croire Thomas Rival, la PropTech marquera le pas dans les prochains mois : "on est face à une multitude d’acteurs, qui proposent peu ou prou la même chose. Il n’y aura pas d’argent pour tous, bien que les besoins de numérisation du secteur soient énormes." D’après lui, c’est aussi le sort réservé à certaines technologies relatives aux ressources humaines.

Le partner d’Evolem juge plus prometteurs "les services augmentés, qui vont se distinguer du fait de la nécessité d’outiller les acteurs qui font vivre la société de services actuelle". Il fait également le pari de l’EdTech, et plus particulièrement de la formation professionnelle : "c’est salvateur pour le pays, dont le taux de chômage stagne. Ce n’est pas une fatalité, grâce à l’émergence de solutions d’accompagnement comme celle de LiveMentor. Il est temps de comprendre que l’EdTech ne se résume pas aux écoles et à la formation des dirigeants d’entreprise : tout le monde a à y gagner."

Enfin, Boris Golden estime que "la crypto peut encore être qualifié de sujet émergent" et que "les fonds se structurent de manière à répondre aux enjeux, notamment réglementaires, associés". Le sujet, qui englobe le fameux Web 3 au centre des intérêts en ce début 2022, est selon le partner de Partech "moins classique" que ce que les fonds sont habitués à traiter. "Mais c’est notre rôle d’explorer et de nous adapter, tout en gardant la tête froide" , explique Boris Golden.

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