Pierre Garonnaire et Gaspard Hafner sont des équilibristes. Créateurs en 2019 du réseau social MYM - acronyme de " Me. You. More " - les deux amis et associés essaient de s’affranchir depuis plusieurs mois de l’image sulfureuse de leur plateforme envahie par les contenus érotiques et pornographiques payants, mais qui contribuent à accroître le chiffre d'affaires de l'entreprise, même si on ne dispose pas de chiffres précis sur les revenus générés par ce type de contenus. "Sur MYM, je fais tout de A à Z, mais j’ai également plus de liberté que sur les tournages. C’est cool : si tu bosses à fond, ça peut vite décoller, alors qu’en production on est payée juste pour notre scène et après plus rien" , assure une travailleuse du sexe interrogée par le site Madmoizelle.
Depuis le début de l'aventure de MYM, la promesse affichée des deux associés est simple : créer un nouveau modèle de réseau social plus vertueux, sans placement de produits ni sponsoring, et qui se différencierait par une relation de proximité entre des abonnés fans et des créateurs de contenus amateurs et professionnels. Pour utiliser MYM, il faut être majeur et débourser entre 9,99 euros et 44,99 euros pour accéder à des photos et vidéos exclusives des influenceurs et influenceuses suivis.
Mais certains créateurs se sont rapidement emparés du concept pour promouvoir leur corps et parfois même des contenus pornographiques. Ces derniers représenteraient aujourd'hui 20% de ceux diffusés sur la plateforme selon MYM, ce qui ne semblait jusqu’ici pas dérangé les deux fondateurs. "Quand vous regardez la majeure partie du contenu de réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter où la même chose s’expose et se monétise massivement, je ne vois pas pourquoi on se l’interdirait. Surtout que MYM cadre très précisément les choses, contrairement aux autres" , se défendait Pierre Garonnaire dans un échange présenté sur le site l’if Saint-Etienne début novembre.
MYM n’est pas la seule plateforme du net à vivre avec cette contradiction entre une image sulfureuse, l’accès à des contenus pour adultes et les bénéfices économiques liés : le site Onlyfans, notoirement ouvert aux contenus pornographiques a ainsu dû revenir sur sa décision d’interdire des contenus X .
60 millions de volume d’affaires pour MYM
En presque trois ans d’existence, la plateforme a réussi à conquérir " 8 millions de fans et 200 000 créateurs dont un tiers sont actifs de manière hebdomadaire " . Les créateurs de contenus les plus performants peuvent voir leurs revenus dépasser le million d’euros de chiffre d’affaires annuel. Ceux qui sont simplement actifs gagnent en moyenne 15 000 euros par an, un complément de revenu non négligeable. Parmi eux, on compte " beaucoup d’acteurs de la télé-réalité mais pas seulement, il y a aussi des personnalités comme Djibril Cissé " , affirme Gauthier Lapeyronnie, directeur du marketing de MYM. L’ancien footballeur professionnel, international français, a rejoint le réseau début juillet pour y partager du contenu lifestyle.
Le réseau social - qui a toujours limité sa communication et le marketing autour de sa marque - insiste aujourd'hui sur la sécurité et la diversité des profils présents. " Nous avons lancé une V2 de notre plateforme l’an dernier qui nous a déjà permis d’accélérer le recrutement de notre pôle de créateurs et de diversifier les verticales qu’ils proposent. Nous comptons aujourd’hui beaucoup de sportifs, de photographes, de professeurs de yoga, il y a une grande diversité de profils ", assure le directeur marketing, heureux d’annoncer l’arrivée de l’acteur belge, Jean-Claude Van Damme d’ici peu.
Pour accélérer encore sur ce point, et son développement en France mais surtout à l’étranger, notamment aux Etats-Unis où la startup compte bien de montrer " plus offensive dans sa stratégie marketing " , MYM a dégagé une enveloppe de 5 millions d’euros, "afin d’accompagner tous les créateurs dans le financement de leur production de contenus, dans l’amélioration de leurs contenus, dans le développement de leur communauté et la génération de plus de chiffre d’affaires " . La somme dévolue à ce fonds, baptisé MYM Creators Fund, représente "presque un dixième du volume d’affaires de l’entreprise qui s’élève à 60 millions d’euros, une somme importante pour une petite structure" , souligne Gauthier Lapeyronnie.
Professionnaliser les contenus
Les créateurs – déjà inscrits ou non sur la plateforme – pourront candidater pour espérer voir financer tout ou partie de leur projet. " Aucun critère précis n’est requis en plus de ceux déjà établis pour devenir créateur. Nous voulons financer de gros créateurs qui veulent développer de nouveaux formats mais aussi dénicher des pépites qui sont encore en phase de développement " , assure Gauthier Lapeyronnie. Il faudra néanmoins compter au moins 10 000 followers sur Instagram.
" Les influenceurs sont à la tête de leur propre boutique et nous les aidons à développer leur business model " , ce qui passe par une meilleure identification " de ce qui plait à leurs fans " , souligne le chief marketing officer qui décrit MYM comme un "business partner" et non un simple hébergeur. Pour jouer ce rôle, le réseau social indique mettre à disposition des créateurs des outils marketing comme l’envoi automatique de push dès qu’un nouveau contenu est posté et participer à leur formation pour les aider à professionnaliser leur contenu et leur communication. Une vision qui fait clairement écho aux récentes prévisions de la banque GP Bullhound, qui estime que le marché des créateurs est en plein développement et va se structurer.
Sachant que la startup compte doubler son chiffre d’affaires, l’enveloppe du Mym Creators Fund pourrait, elle aussi, s’envoler.
La multiplication des garde-fous
Toutefois, on imagine difficilement le MYM Creators Funds venir financer du porno, d’autant que l’objectif est d’accroître la communauté. Or, ces contenus précis ne sont pas visibles du public mais uniquement des fans abonnés. Pour prouver sa bonne foi, MYM met en avant sa modération. Un sujet d’actualité alors que les réseaux sociaux sont de plus en plus interrogés sur leurs manquements, à l’image de Facebook encore récemment. Au sein de MYM, cette modération prend plusieurs formes.
Dans un premier temps, elle passe par la désanonymisation et la vérification des identités. Les fans qui souhaitent s’inscrire doivent, tout d’abord, déclarer leur âge. " Cette étape est déclarative, reconnaît Pierre Garonnaire, mais l’ambition est d’aller plus loin " grâce à une caméra qui scannera les visages pour évaluer leur âge et retoquera les inscriptions en cas de doute. Pour les abonnés, c’est la carte bancaire qui fait office de second rempart. " Ils doivent fournir leur numéro de carte bancaire et répondre à la procédure 3D Secure. Les mineurs n’ont pas de carte bancaire " explique le dirigeant.
Côté contenu, MYM a opté pour une modération en amont de la publication. " Tant que les contenus proposés par les contributeurs ne sont pas modérés, ils ne sont pas publiés sur la plateforme. Très peu de contenus ne sont pas publiés car la certification et la modération dissuadent ces comportements ", développe le co-fondateur. La modération humaine ne sera bientôt plus le seul garde-fou. Celle-ci passera “totalement, avant le 31 décembre, sous intelligence artificielle et une couche de modération manuelle existera sur les contenus sensibles” , détaille Gauthier Lapeyronnie.
Cette équipe, qui comptait une dizaine de personnes jusqu’en octobre, est en train de s’étoffer pour monter à 20 membres. Preuve que ce type de contenus ne disparaitra pas du jour au lendemain. Mais s’ils ne sont pas bannis de la plateforme, ceux-ci “ne doivent pas être postés en public” , assure Pierre Garonnaire. En cas d’erreur, ils sont requalifiés en poste privé. Si le comportement se reproduit volontairement, “le créateur reçoit plusieurs alertes, au bout de la troisième fois son compte peut être suspendu” . Un système empêche également de pouvoir enregistrer ou télécharger un contenu.
Un comité d’éthique chargé d’encadrer cette mue
Pour encadrer un peu plus sa démarche, la plateforme s’est dotée d’un comité d’éthique composé de personnalités comme Géraldine Salord, avocate en droit de la propriété intellectuelle, Thierry Berthier, expert en cybersécurité, Odile Chagny, économiste, spécialiste des plateformes et des disruptions sociales causées par le numérique ou encore Danielle Bousquet, présidente de la Fédération nationale des CIDFF ( Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles).
Engagée pour les droits des femmes , cette dernière n’a pas souhaité répondre à Maddyness sur son travail au sein de MYM -celui-ci n’ayant pas encore débuté- mais reconnaît sa volonté de mettre fin à certains contenus comme la pornographie. “Mais pour cela, je dois en discuter avec mes ‘coéquipiers’ “, admet-elle.
Interrogé sur le sujet, Mym laisse planer le doute, indiquant que "la nomination de Danielle Bousquet intervient dans le cadre de la mise en place de notre comité d'éthique indépendant qui veillera, en toute indépendance, à l'exemplarité de la plateforme sur de nombreux sujets dont l'encadrement de l'accès aux contenus sensibles”.
Pour MYM, les mois à venir vont donc être cruciaux. Ils permettront de constater l'influence éventuelle du comité éthique et de voir si l'entreprise peut continuer de jouer sur tous les tableaux.