20 janvier 2022
20 janvier 2022
Temps de lecture : 6 minutes
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« Croître sans lever de fonds implique de la rigueur mais c'est une croissance plus saine »

Alors que de plus en plus de startups lèvent toujours plus de fonds, certaines même deux fois par an, d'autres choisissent de privilégier la rentabilité aux indicateurs de vanité. Entretien avec Alexandre Berriche, le co-fondateur et CEO de Fleet, startup qui n'est jamais passée par la case levée de fonds.
Temps de lecture : 6 minutes

Republication d'un article du 13 décembre 2021

Après des expériences chez Rocket Internet - où il rencontre son futur associé - et Iron Hack, Alexandre Berriche a plongé dans l'entrepreneuriat en imaginant Fleet, un service "device as a service" pour lequel les entreprises payent un abonnement mensuel destiné à couvrir le paiement étalé de leur matériel informatique mais aussi sa maintenance et une plateforme permettant de gérer l'ensemble de leur parc. Depuis son lancement, au printemps 2019, Fleet n'a jamais réalisé de levée de fonds.

Comment avez-vous financé Fleet au départ ?

Nous avons été aidés par Wilco et Bpifrance et nous avons rapidement réussi à dégager des marges. Au bout de quelques mois, nous réalisions 100 000 euros de chiffre d'affaires mensuel avec une base de clients qui recommandaient notre produit.

Avez-vous toujours envisagé d'avoir une croissance rentable ?

Non, au départ, on voulait vraiment lever des fonds ! Nous avions la culture Rocket Internet (startup stuido allemand derrière Zalando et Foodora notamment, NDLR) : on voulait aller très vite. On a failli entrer très tôt dans un processus de levée de fonds d'amorçage, nous étions alors approchés par des fonds d'investissement.

Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

Juste avant d'entamer le roadshow, nous nous sommes fait la réflexion que nous avions très vite atteint 150 000 euros de chiffre d'affaires mensuel. Nous avions un produit avec un gros panier moyen et beaucoup de répétition d’achat. Nos indicateurs étaient très bons et nous avions des pistes pour les améliorer encore, notamment en baissant les prix grâce aux économies d’échelle.

Nous n'avions pas d'inquiétude pour notre trésorerie parce que l'on travaillait avec des partenaires financiers qui nous payaient intégralement les 3 ans de loyer que les clients devaient verser. Nous avions aussi dans notre ADN le fait d'être passés par le private equity, de davantage accorder d'importance aux indicateurs vertueux que sont la marge dégagée et le taux de récurrence des achats. On a fait les calculs : cela nous laissait une belle marge de manoeuvre pour faire ce qu'on voulait.

Quand on ne lève pas, est-ce qu'on compte chaque euro ?

Cela implique beaucoup plus de rigueur mais c'est une croissance saine. On ne se prive jamais de faire des investissements si l'on pense qu’il y aura un bon retour sur ces investissements. C'est plutôt une question d’exigence. On n'est pas cheap mais nous sommes rigoureux, rationnels, focalisés.

Cela n'aurait pas été possible en levant des fonds ?

Il aurait fallu consacrer notre temps à autre chose. On se serait peut-être dispersés à lancer plein de choses pour se donner l’impression de grossir sans travailler en profondeur. On ne serait peut-être pas allés aussi vite, on n'aurait peut-être pas fait d'aussi bons choix. On a pris la décision de continuer d'itérer seuls parce qu'on se disait qu'on allait avoir beaucoup d'argent d'un coup et qu'on ne saurait pas bien le dépenser. Là, on a travaillé notre produit, en nous concentrant d'abord sur les Mac afin de faire beaucoup de volume.

Vous êtes passé par Rocket Internet, vous avez une activité de business angel à côté de Fleet. C'est tout de même cocasse de vous entendre dire que vous ne sauriez pas bien dépenser l'argent d'une levée de fonds !

Oui, c'est vrai (rires) ! Mais parfois, on voit des investisseurs pousser les entrepreneurs à faire rapidement un nouveau tour de table pour valider leur rendement et leur futur retour sur investissement, sans que ce soit toujours dans le meilleur intérêt de l'entreprise. Il y a un côté pousse au crime. Cela ne construit pas des entreprises saines qui vont durer.

Nous avons aussi un modèle économique un peu particulier, il n'y a pas eu d’énorme levée de fonds dans notre segment d'activité. Ce n'est pas comme du pur SaaS, qui nécessite beaucoup de recherche et développement mais dont les revenus sont ensuite 100% récurrents et engendrent une énorme marge, où le chiffre d'affaires vaut plus cher en somme ; ni comme les marketplaces où celui qui fait le plus de volume et atteint une masse critique remporte le marché et où les levées de fonds créent des barrières à l'entrée.

Dans notre cas, la levée de fonds aurait été destructrice de valeur, parce qu'elle aurait impliqué de la dilution sans générer un rendement incroyable pour les investisseurs. Nous ressemblons plutôt à une entreprise de private equity : le modèle est moins risqué mais il génère moins de rendement. Nous ne serons pas une décacorne.

Les entreprises lèvent souvent pour recruter massivement et les talents sont attirés par les entreprises qui lèvent des fonds. Est-ce que ne pas lever a été un problème en la matière ?

Nous avons signé nos premiers CDI en janvier 2020 et nous avons justement été retardés par la levée que nous envisagions. Nous nous sommes rendu compte que l'on pouvait faire beaucoup de chiffre d'affaires rapidement avec peu de personnes et que c'était très sain. Le marché n'est pas facile en ce moment mais nous proposons quelque chose d'assez différent des autres startups. Le fait de ne pas lever crée une culture particulière où l'on est frugal, une culture très entrepreneuriale. Les gens qui nous rejoignent sont des entrepreneurs dans l’âme, réfléchissent à comment être plus efficients. C'est valorisant.

Les levées financent aussi l'internationalisation. Avez-vous la capacité de penser à vous exporter ?

Oui, nous allons nous lancer en Espagne l'année prochaine. De nombreuses entreprises du Next 40 et du French Tech 120, qui sont nos clientes, ont des bureaux à Barcelone. Nous répondrons donc dans un premier temps aux besoins des entreprises françaises présentes en Espagne. C'est la preuve que ne pas avoir levé d'argent ne nous empêche pas de le faire ! Nous avons atteint une certaine maturité, nous avons une solution qui fonctionne bien et qui est scalable : nous pouvons multiplier par six notre croissance sans multiplier par six nos effectifs... Nous avons de bonnes infrastructures tech qui le permettent.

Aucun regret, donc, de ne pas avoir levé d'argent ?

Nous nous posons régulièrement la question et, deux ans et demi après, on a dépassé le million d'euros de chiffre d'affaires mensuel. Chaque mois, notre chiffre d'affaires est en croissance par rapport au précédent. En 2021, nous allons atteindre 6 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel et nous prévoyons d'atteindre les 2 millions d'euros de chiffre d'affaires mensuel dès l'année prochaine.

Cela veut-il dire que Fleet ne lèvera jamais de fonds ?

Aujourd'hui, nous sommes plutôt dans l'idée de ne pas lever, oui. Mais si ça vaut le coup, on le fera. Nous sommes pragmatiques ne pas lever n'est pas une idéologie.

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Légende photo :
Alexandre Berriche, CEO de Fleet