Quel investisseur est mieux placé pour accompagner des entreprises dans leur cotation en Bourse que celui qui l'a déjà vécue - pas en tant qu'investisseur mais en tant que société ? C'est le pari de Molten Ventures, anciennement Draper Esprit, fonds londonien de plus en plus actif en France. Créé en 2006, le fonds a choisi d'entrer en Bourse dix ans plus tard, en 2016. Et ça change tout, selon Jonathan Siblia, l'un des partners, directeur de l'activité fonds de fonds et des opérations secondaires. " Plus la valorisation d'une entreprise est importante, plus elle privilégiera une entrée en Bourse plutôt qu'un rachat par un industriel. Pour cela, l'entrepreneur cherche du capital et un savoir-faire et nous pouvons les aider à se positionner dans un horizon de sortie. " Déjà passé par là, le fonds " peut leur expliquer le process d'une entrée en Bourse, qui nécessite du temps et de l'organisation ".
Jonathan Siblia reconnaît cependant que ce n'est " pas forcément ce que les entrepreneurs cherchent " en choisissant Molten Ventures pour actionnaire. Avant tout, ils font le choix d'un investisseur " capable de les accompagner sur le long terme ". " Le fait d'être une société publique nous donne le pouvoir d'être patients, parce que nous ne sommes pas soumis au taux de rentabilité des fonds traditionnels ", vante l'investisseur.
Dans un écosystème qui mesure le succès à l'aune de l'hypercroissance et du nombre de licornes créées, la patience n'apparaît pas comme la première des vertus. Pourtant, Jonathan Siblia rappelle que Spotify, l'un des plus grands succès européen, n'a obtenu un horizon d'exit qu'au bout de treize ans. " Pour ses investisseurs en amorçage, ça a été un succès phénoménal... mais l'attente a été longue ", souligne celui qui rechigne à employer le terme de capital-risque (" les investisseurs financent la croissance, pas le risque "). Le temps est un luxe que Molten Ventures souhaite offrir aux entrepreneurs qui savent le valoriser comme tel. " Nous voulons que les entrepreneurs puissent créer une société leader sur son marché et nous comprenons que ça prenne du temps. Ils ont pour cela besoin de capital sur la durée et nous pouvons leur proposer, alors que les investisseurs traditionnels voient le temps comme une contrainte. "
Multiplier les solutions de financement
Outre sa possibilité d'offrir un capital patient et permanent aux entrepreneurs, Molten Ventures se targue également d'avoir une " approche plateforme ", avec des solutions de financement à différentes étapes de la chaîne de valeur. Autrefois investisseur dès la série A, le fonds a délaissé l'amorçage et les premières séries, désormais couvertes par son activité fonds de fonds - il est notamment investisseur, en France, du fonds Frst. Aujourd'hui, il investit dans les séries B et au-delà, y compris dans des opérations late stage et via des opérations secondaires.
" Notre modèle a évolué parce que le marché a évolué : il y avait d'autres besoins à couvrir que l'investissement early stage. Quand on identifie une société qui correspond à l'une de nos quatre verticales (consommation, logiciels d'entreprise, deeptech et santé) et qui n'est pas dans la situation de lever des fonds, nous sommes en capacité de racheter les parts de business angels, de fonds d'amorçage ou même parfois des fondateurs. " Cela permet à Molten Ventures d'être présent sur l'ensemble de la chaîne d'investissement, bien que " le coeur " de son modèle reste l'investissement late stage, avec des tickets de 10 à 30 millions d'euros, dans des opérations de 15 à 100 millions.
Devenir le recours privilégié pour les méga-levées
La France est un marché qui intéresse beaucoup Molten Ventures, qui cherche à investir dans de futurs leaders européens. Avec plus d'une dizaine de licornes créées cette année, l'Hexagone est un marché particulièrement dynamique. Le fonds compte déjà quatre participations en France, dont deux réussites : Aircall (valorisée 1 milliard de dollars) et Ledger (estimée à 1,5 milliard). " La France est un marché très important pour nous ", appuie Jonathan Siblia, qui tient à souligner qu'il " est né et a été élevé en Bretagne ". Il note d'ailleurs " un formidable élan local, de Rennes au Sud de la France, par rapport à d'autres pays ".
Il se réjouit aussi d'avoir vu le rapport de force entre la France et le Royaume-Uni évoluer en faveur de la première. " Les Français ne viennent plus au Royaume-Uni pour trouver des capitaux et certains reviennent même s'établir en France, où émergent des pôles d'excellence dans la foodtech, l'impact ou la deeptech. " Le fonds prévoit ainsi de déployer 20 à 25% de son enveloppe dans l'Hexagone. Et espère bien tenir la dragée haute aux investisseurs américains dans les opérations les plus en vue.
" Ce qui nous manque en Europe, c'est la possibilité de signer des chèques de 50 à 100 millions ", note Jonathan Siblia. Les dernières méga-opérations lui donnent raison : les levées de Lydia et Mirakl ont été menées par des fonds américain (respectivement Dragoneer et Silver Lake), celles de Swile, Sorare et Vestiaire Collective par l'asiatique Softbank. " Aujourd'hui, les entrepreneurs sont agnostiques : ils travaillent avec le meilleur investisseur de leur short-list ", reconnaît l'investisseur. Charge donc aux fonds d'investissement européens de faire rêver les entrepreneurs tricolores.