La famine de 2038, provoquée par l’invasion du champignon GR-H7 qui détruisit une grande partie des récoltes mondiales, a mis au jour l’instabilité de l’agriculture telle qu’elle était pratiquée jusque-là. Chercheurs, entrepreneurs et agriculteurs se sont donc mobilisés pour repenser radicalement les productions à travers le monde. Panorama des sept principales innovations qui ont changé la donne.
" Le modèle agricole de nos grand-parents ne tenait pas la route, cette catastrophe était prévisible, se souvient Théodore Changeot, directeur de l’INRAD, Institut national de la recherche agricole durable. Si la famine a touché des millions de personnes et précipité la chute de grands industriels agricoles, qui ont laissé derrière eux des salariés sans ressources, elle a au moins eu le mérite d’éveiller les consciences une bonne fois pour toutes. Et c’est tant mieux, parce qu’oublier son passé, c’est se condamner à le revivre ".
Les transitions se font habituellement sur le long terme, mais la crise alimentaire du milieu du siècle a bousculé d’un seul coup les pratiques agricoles, " il n’y avait de toute façon plus le choix " poursuit le chercheur. Terminé l’import-export dans le monde entier, finis les engrais chimiques et bonjour aux nouvelles pratiques agricoles et de consommation durables. Si l’interdiction de l’élevage animal à visée alimentaire, quelques années plus tard, a permis d’achever ce changement de paradigme, en libérant 70% des terres agricoles de la planète -qui servaient uniquement à nourrir les bêtes-, la technologie a bien vite compris qu’elle avait aussi un rôle à jouer dans cette industrie à réinventer.
Bon nombre d’entreprises proposant des technologies de pointe ont ainsi voulu répondre à cette question vitale : Comment nourrir les 9 milliards de bouches que comptent la Terre aujourd’hui ? Plusieurs enjeux croisés sont à considérer : une population mondiale qui continue sa croissance, le maintien d’une agriculture zéro carbone, atteinte péniblement il y a cinq ans, et la réorganisation des productions alors que la température moyenne mondiale a augmenté de 3 degrés en un demi-siècle.
Ingénieurs, entrepreneurs, chercheurs et scientifiques se sont donc mobilisés pour faire de la tech un tremplin vers une agriculture résolument durable et vertueuse, tout en optimisant les rendements pour produire suffisamment et éviter de nouvelles famines.
Zoom sur les 7 grandes innovations qui ont permis de renverser la tendance.
La " révolution " de l’agridata
" Le métier d’agriculteur passe avant tout par l’observation. Et, si nos grand-parents s’agenouillaient pour examiner leurs plantes, leurs sols, vérifier que l’eau s’infiltrait correctement ou que leur culture n’était pas malade, la data a joué un rôle de premier plan dans la révolution du monde agricole, explique Manon Grevard, agricultrice bourguignonne. Dans mon exploitation, mais dans toutes les autres aussi, on ne récolte plus seulement des fruits et légumes, mais aussi des données ".
Des nano-capteurs implantés dans le sol et des satellites repèrent maintenant toutes les anomalies, présences de parasites, de maladies ou de virus pour permettre à l’agriculteur de réagir, depuis chez lui. " Chez Captall, notre technologie -et ses GPS embarqués-, mise sur l’ultra-précision, détaille Sam Fox, CEO de l’entreprise, créée en 2065. Nos capteurs et satellites sont notamment capables de détecter les carences au millimètre près, permettant ensuite de combler un manque, en sélénium par exemple, de manière ultra localisée ".
Un enjeu clé, puisque cette connaissance permet de développer une agriculture de précision et de doper les rendements. " Grâce à ça, nos clients agriculteurs et agricultrices ont souvent même réduit la taille de leurs parcelles cultivées pour en reforester une partie ", assure l’entrepreneur.
Grâce au passage à la 8G, l’année dernière, l’agriculteur reçoit, par le cloud, les informations concernant ses cultures en temps réel. Traitées par une intelligence artificielle, comme celle de l’entreprise IAKnow par exemple, les données sont traitées directement par un système de machine learning qui envoie ses conclusions et recommandations de traitements dans le dashboard de l’agriculteur, qui récupère les informations, sans même avoir à se rendre sur ses champs.
Les robots agriculteurs
Mais l’innovation ne s’arrête pas là. Une fois que l’agriculteur sait comment agir pour améliorer la santé de ses cultures, il faut passer à l’action. Une fois de plus, les nouvelles technologies proposent des solutions pour réduire la pénibilité physique du métier. En effet, des centaines d’entreprises se lancent dans le hardware pour doter les champs de robots. La plus connue d’entre elles est AgroRobotics, déjà cotée en Bourse, qui a séduit les agriculteurs et agricultrices du monde entier avec ses flottes de robots intelligents.
Leur best-seller, " Swarm of Bees ", est impressionnant par son ampleur. Ce camion autonome ne demande à l’agriculteur que de télécharger la carte de ses cultures, reliées aux capteurs en temps direct, dans son système d’information. Puis la magie opère. En trente secondes, il intègre les données reçues, se rend sur le champ et déverse ses 70 mini tracteurs électriques et autonomes qui interviennent directement sur les échantillons de parcelles en carence. Un tracteur se charge de doter les plantes en magnésium, un autre en cuivre, encore un autre de désherber… Et le tout fonctionne, comme un essaim d’abeilles, en intelligence par rapport à toutes les autres machines travaillant sur le même terrain simultanément. Une fois de plus, c’est un gain de temps et de rendement.
D’autres startups se sont plutôt positionnées sur la technologie des drones. Cross-country, Flightag ou encore Wings and Fields, toutes ces entreprises fonctionnent sur le même principe, mais par les airs. Aujourd’hui moins précises que les robots au sol, ces innovations ont l’avantage d’être souvent moins onéreuses que les premières et ont donc séduit nombre d’agriculteurs et d’agricultrices.
La réalité virtuelle
Pas de panique pour les agriculteurs et agricultrices qui veulent garder le contrôle de leurs cultures. Des solutions de réalité virtuelle se multiplient pour permettre aux professionnels de continuer la gestion de leur activité sans avoir à se déplacer. C’est le cas de PilotYourFarm, une entreprise canadienne qui développe un outil de VR pour les agriculteurs et agricultrices. Il leur suffit d’enfiler leur casque de réalité virtuelle, assis dans leur bureau, et de grimper dans un tracteur, voire même plusieurs, puisque le logiciel permet de piloter à distance une dizaine de machines en même temps. " Notre solution permet à l’agriculteur de garder un lien avec ses terres sans pour autant se fatiguer " résume Camilla Roy, fondatrice de l’entreprise.
La blockchain
Suite à une loi européenne de 2068, qui oblige consommateurs et consommatrices à n’acheter que des produits dans un rayon de 200 kilomètres autour de chez eux -sauf pour les personnes résidant en zone aride et les professionnels de la restauration-, de nombreuses technologies de tracking des productions sont nées. Basées sur la Blockchain, des entreprises comme WDYCF (Where do you comme from) ou Close To Me permettent à ses utilisateurs et utilisatrices de vérifier la provenance de leurs achats, puisque la loi, peu dissuasive, a encore beaucoup de mal à s’appliquer dans les rayons de nos magasins.
Le système est très simple : il suffit de scanner le produit pour recevoir, en quelques millièmes de seconde, l’origine ainsi que tout le parcours de l’aliment qu’on s’apprête à acheter. Un concept qui séduit les citoyens et citoyennes qui, de plus en plus attentifs à ce qu’ils mettent dans leurs assiettes, peuvent ainsi suivre les trajectoires de la fourche à la fourchette et faire des choix toujours plus responsables.
L’agriculture urbaine
Si les productions ont envahi les villes depuis plusieurs dizaines d’années déjà, l’agriculture urbaine est maintenant devenue une norme, pour rapprocher toujours plus les cultures des consommateurs. " Cette technique a permis de répondre à un véritable problème : il y a 50 ans, les villes n’avaient que l’équivalent de deux jours de stocks pour nourrir leur population ! Produire dans les villes semble être la réponse durable et logique à cette problématique de santé publique ", affirme Sophia Luret, agricultrice urbaine à Lyon.
Accompagnées par des startups comme City Products qui offrent des solutions de culture urbaine clé en main, les municipalités françaises ont été précurseuses sur ce point. L’Hexagone revendique la présence de cultures sur 60% des toits de ses zones urbaines aujourd’hui, gérées et entretenues par près de 20 000 agriculteurs et agricultrices urbains.
Cette pratique s’est aussi largement répandue grâce à la multiplication des fermes verticales, ou farmscrapers, pour produire plus et sur moins de surface. Containers producteurs d’avocats, oignons qui poussent sur des murs… Les startups y vont toutes de leur technologie pour transformer les friches industrielles et zones inhabitées des villes en véritables sites de production. Circle développe par exemple des cylindres métalliques, basé sur un système de géoponie rotative, permettant de produire salades, choux et tomates en intérieur et plus grande quantité.
" Il est révolu ce temps où les consommateurs voulaient que leurs légumes poussent dans la terre et ne faisaient pas confiance en l’innovation… Maintenant qu’ils comprennent que notre solution est durable et saine, il n’y a plus de débat " explique Max Budot, fondateur de la jeune pousse. Selon une étude de l’INRAD, ces modèles sont d’ailleurs 50 fois plus productifs que les cultures en terre classiques.
Le biocontrôle
Il y a encore 50 ans, l’utilisation de biocides et pesticides était encore la norme dans les champs pour se prémunir des nuisibles et protéger ses cultures. Mais, à mesure que les scandales -comme celui du glyphosate- ont éclaté, les autorités ont compris que, malgré la pression de différents lobbies, elles ne pourraient plus esquiver la nécessité d’une réglementation sur la question. Dès son investiture, c’est Jeanne Feyrveau qui, en 2027, a fait passer une législation sur l’interdiction de produits sanitaires dans les cultures françaises.
L’Union européenne a suivi cinq ans plus tard. " Enfin, on en a fini avec ces produits ravageurs, aussi bien pour l’environnement que pour ceux qui les utilisaient… Les engrais de synthèse, qui créaient du protoxyde d’azote, étaient trois fois plus réchauffants que le CO2 lui-même ! ", précise Antonin Bazieux, phytopathologiste à l’Académie d’Agriculture de France. " Mais il a fallu trouver d’autres solutions pour protéger les cultures. C’est donc à partir de 2030 que l’industrie a mis le paquet sur le biocontrôle, jusqu’alors considéré comme un ensemble de techniques marginales ".
Cette science regroupe toutes les méthodes de protection des végétaux qui ont recours à des mécanismes naturels. L’idée est de développer des produits à partir de micro-organismes (virus, bactéries, champignons), de substances naturelles et de macro-organismes (insectes auxiliaires ou acariens par exemple) pour remplacer les molécules chimiques auparavant utilisées par des molécules naturelles, respectueuses de l’environnement. Si les géants de l’industrie de la chimie, comme Monsanto ou Bayer, n’ont pas eu le choix que de prendre ce tournant pour perdurer, de nombreuses Biotech ont aussi explosé sur ce secteur, prenant de grosses parts de marché aux premiers.
L’agriculture spatiale
En 2015, des astronautes américains mangeaient la première laitue de l’espace. À cette époque, plusieurs projets de cultures dans l’espace germaient déjà. Seulement, ces initiatives se cantonnaient à l’objectif de nourrir les cosmonautes lors de leurs missions orbitales, qui pouvaient durer jusqu’à plusieurs années. Un objectif qui nous semble, aujourd’hui, bien dépassé. Car si, en effet, les astronautes peuvent profiter de ces innovations, des serres spatiales ont depuis vu le jour pour cultiver des fruits et légumes et fournir les zones les plus arides sur Terre, qui peinent encore à être autosuffisantes.
" Des mutations d’ADN se produisent dans l’espace, et ces dernières nous ont permis de développer de nouvelles espèces de plantes, détaille Léna Melnikov, directrice scientifique de Space Seed, une entreprise russe, pionnière sur cette innovation. Elles sont plus résistantes, offrent de meilleurs apports nutritionnels et des rendements plus élevés ". Nécessitant aussi moins d’eau et supportant des températures très élevées, ces productions de l’espace, sur lesquelles comptent déjà quelques millions de terriens, n’ont pas fini de faire parler d’elles…