Fabriquer de la peau grâce une imprimante 3D, puis la greffer sur un patient : l'hôpital de la Conception, à Marseille, espère signer cette première mondiale d'ici à quelques mois, grâce à la machine laser créée par une startup girondine. "C'est une véritable révolution" , s'enthousiasme Florence Sabatier, cheffe du laboratoire de culture et thérapie cellulaire (LCTC) de La Conception, où vient d'être installée la plateforme de bio-impression robotisée NGB (Next-Génération Bioprinting) développée par la société Poietis (du grec "fabriquer").
"C'est un outil technologique de pointe, qui va nous permettre de fabriquer de la peau bio-imprimée utilisable chez l'Homme, une première mondiale. De premiers essais cliniques sont prévus au premier trimestre 2022" , a-t-elle précisé, se disant "optimiste" quant à la validation du procédé par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Les premières greffes sont prévues sur 12 patients, des personnes "jeunes ayant une bonne qualité de cicatrisation" et présentant "des plaies simples". Ils seront "suivis pendant deux ans" , le temps de vérifier "que les choses sont stabilisées".
Les recherches menées ces dernières années dans le domaine de la biologie cellulaire et des techniques d'impression en 3D ont ouvert la voie à de nouvelles stratégie thérapeutiques. Créé il y a 15 ans, le LCTC est devenu une référence dans le développement et l'évaluation des thérapies cellulaires régénératives innovantes. Il bénéficie du soutien de l'Assistance publique-Hôpitaux de Marseille (AP-HM) et d'un financement du département. Autant d'atouts qui ont conduit Poietis à le choisir pour partenaire, il y a près de deux mois, pour finaliser le développement de son imprimante 3D.
"Il a fallu régler les paramètres de la machine, optimiser les caractéristiques de la peau bio-imprimée. Il y a eu un test chez l'animal. Au final, toutes nos attentes sont satisfaites. On obtient une peau bien vascularisée, avec des propriétés mécaniques très satisfaisantes" , témoigne le docteur Maxime Abellan-Lopez, chirurgien plasticien, évoquant "une arme thérapeutique très puissante".
"Une peau 3D en trois semaines"
En chirurgie plastique, la greffe de peau est une intervention courante, mais aucune technique n'avait encore permis de remplacer efficacement la greffe d'une peau prélevée sur le patient lui-même. "L'intérêt de la peau bio-imprimée est de proposer aux patients, à partir d'un petit échantillon, d'augmenter et de réimprimer sa peau avec une architecture complète, derme et épiderme, et de la réimplanter" , explique le professeur Dominique Casanova, chef du service de chirurgie plastique et réparatrice à l'hôpital de la Conception.
"Cela concerne énormément de patients : les grands brûlés, mais aussi les patients traumatisés après un accident ou encore ceux qui ont subi une ablation pour un cancer, une tumeur, dit-il. La production d'une peau imprimée en 3D prend environ trois semaines" , explique Fabien Guillemot, ancien chercheur, fondateur de Poietis, qui a remporté en 2018 le projet Moonshot porté par Maddyness et Google. "Elle démarre par le prélèvement d'un fragment de peau de quelques centimètres carrés sur le patient" , dont "on extrait des cellules du derme et de l'épiderme" qu'on va multiplier pour fabriquer un tissu plus grand que le prélèvement initial : "Cette première phase prend une dizaine de jours" , détaille le chef d'entreprise.
Vient ensuite la phase de bio-impression proprement dite, qui ne prend que quelques heures : grâce au laser, "l'imprimante va déposer des micro-gouttelettes contenant des cellules, couche par couche. On laisse ensuite évoluer la structure pendant quelques jours, jusqu'à obtenir un tissu fonctionnel". "L'intérêt de la bio-impression est d'accroître la dimension du tissu, explique Fabien Guillemot. Aujourd'hui, on le multiplie par dix (de 4 cm à 40 cm). Dans l'avenir, l'idée est d'augmenter ce facteur pour pouvoir notamment traiter des grands brûlés."
Fondée en 2014, Poietis a franchi des étapes technologiques en agrégeant peu à peu des compétences en physique des lasers, optique, biologie et pharmacie. Elle s'est développée en travaillant pour les cosmétiques avec le groupe chimique allemand BASF. Elle gère aujourd'hui 70 brevets, emploie 34 personnes et travaille notamment avec l'Union européenne à un projet de fabrication de cartilage en 3D.
Maddyness avec AFP