"Dans certains cancers, un patient sur deux rechute deux ans après l’issue des traitements" , lance Hedi Ben Brahim, président-directeur général de Transgene, pour expliquer l’épée de Damoclès qui trône au-dessus des malades du cancer. Or, chaque récidive affaiblit le corps et sa capacité à se battre. Résultat, le cancer est devenu la première cause de mortalité précoce en France, emportant 150 000 vies chaque année par cette maladie selon les chiffres de Santé publique France. C’est précisément pour réduire le risque de rechute que Transgene a développé un vaccin thérapeutique, dont les essais cliniques ont débuté, en France, en janvier 2021.
Contrairement à la plupart des vaccins, qui ont une visée préventive, le modèle développé par Transgene agit après la survenue de la maladie et permet de créer un vaccin sur-mesure, adapté à chaque tumeur, qui va doper la capacité du système immunitaire à détecter ces cellules cancéreuses dans l’organisme. La BioTech intervient après la première ligne de traitement - chimiothérapie, radiothérapie et chirurgie -, lorsqu’aucune tumeur n’est plus visible, mais que des cellules peuvent subsister et pour éviter tout risque de récidive. "À ce moment-là, le système immunitaire est encore vaillant. C'est le meilleur moment pour le stimuler" , explique le PDG de Transgene.
Un vaccin sur-mesure
Le cancer est une maladie provenant de la mutation "de cellules normales en cellules anormales, sous l’effet de l’agression du soleil, de l’environnement, de l’alimentation inadaptée, par exemple". En devenant anormales, celles-ci vont alerter le système immunitaire qui va tenter de les combattre, parfois sans succès. "Une cellule tumorale peut compter plus de 500 mutations, développe Hedi Ben Brahim. Certaines vont être très visibles et donc facilement détectables par le système immunitaire, mais d’autres sont internes et moins visibles". Avec son vaccin, Transgene cherche à éduquer le système immunitaire.
Une fois la tumeur détectée, une chirurgie est réalisée pour la retirer. La BioTech en profite alors pour analyser les mutations des cellules cancéreuses. "Nous allons ensuite chercher les 30 mutations les plus pertinentes, c’est-à-dire, celles qui peuvent le mieux réveiller le système immunitaire." La sélection se base sur le degré de mutation, donc sa capacité à déclencher une réponse immunitaire mobilisant les globules blancs, et sa présence dans un grand nombre de cellules cancéreuses. Elle est réalisée par une intelligence artificielle entraînée par NEC, une société japonaise spécialisée dans l’électronique et la gestion de données.
Le génome de ces 30 mutations est alors codé dans un virus, auquel le corps réagit bien. Une fois le vaccin injecté, le virus va entrer dans les cellules, ce qui va produire 30 morceaux de protéines anormales. "Cela va réveiller le système immunitaire, lui apprendre à détecter précisément ces mutations. L’objectif est vraiment qu’il puisse identifier ces mêmes marqueurs dans les cellules cancéreuses, quand elles réapparaîtront" , poursuit Hedi Ben Brahim.
La course de fond des essais cliniques
En cours de développement depuis plusieurs années, les recherches et essais se concentrent sur le cancer de la gorge - connu sous le nom de "tête et cou" , dans le milieu médical, et le cancer de l'ovaire. Mais le vaccin pourrait-il s’étendre à d’autres typologies de cancer, voire à des cancers visibles sur des radiographies ? "Le spectre d’utilisation est très large mais, au début, on doit toujours se limiter. Certains cancers bénéficient déjà de certains traitements, en cours d’expérimentation. Nous avons choisi de nous concentrer sur un cancer avec un nombre de mutations moyen, afin de tester son efficacité" , précise le PDG de Transgene, pour justifier ce choix.
Un essai clinique de phase I a déjà débuté en France, au Royaume-Uni et aux États-Unis. Pour le moment, il s’agit de six patients traités. À terme, 43 patients participeront à ces essais cliniques. Cette première phase, sur laquelle Transgene communique aujourd’hui de premiers résultats positifs, visait à vérifier la sécurité du vaccin - c’est-à-dire qu’il n’entraîne pas de complication et qu'il répond à un premier palier d’efficacité. "L’enjeu est de vérifier si le corps a bien réagi à une partie des marqueurs compris dans le vaccin. Nos concurrents arrivent à une réaction à cinq marqueurs, ce qui paraît faible mais est déjà significatif. Nous avons démontré sur ces premiers patients une réponse sur 10 marqueurs, ce qui est donc très bien. Sur ces deux points, les premiers résultats nous semblent très prometteurs. "
Sans oublier le dosage et la régularité des prises. "Nous sommes partis sur l'injection de 20 doses successives, une par semaine les 6 premières semaines puis 1 toutes les trois semaines ensuite" , renchérit Hedi Ben Brahim. En cas de succès, la phase II et la phase III suivront, avec comme ligne de mire la chute du nombre de récidives et donc de décès. Mais la recherche prend du temps, et il faudra compter au moins six ans avant de voir ce vaccin validé par les autorités de santé françaises à en croire le dirigeant. "Pouvoir mettre à disposition des patients une immunothérapie individualisée en 3 mois nous fait basculer dans une nouvelle ère. À terme, ce type de vaccin pourrait constituer un des piliers de l’arsenal thérapeutique proposé par les oncologues à leurs patients", estime le Professeur Delord qui a mené les essais cliniques à Toulouse.
Transgene n'est pas la seule à travailler sur un vaccin thérapeutique capable de lutter contre le cancer. En 2016 déjà, Pfizer annonçait un partenariat avec la BioTech Ignite pour développer des injections stimulant le système immunitaire afin de l'aider à s’attaquer aux cellules cancéreuses. Plus récemment, c'est la société BioNTech, qui annonçait le lancement de la phase II d'un essai clinique pour tester un vaccin contre le cancer.
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