Décryptage par Florence Wildblood
22 novembre 2021
22 novembre 2021
Temps de lecture : 8 minutes
8 min
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Pourquoi la gestion des déchets électroniques en Afrique concerne aussi les pays riches

Un vide dans le droit international permet aux pays riches d’envoyer leurs déchets électroniques sur le continent africain. Maddyness a échangé avec des ferrailleurs et des recycleurs du Ghana et de Zambie au sujet de ce qui les attend et ce qui doit changer.
Temps de lecture : 8 minutes

Traduction d’un article paru initialement le 27 mai 2021 sur Maddyness UK

"Bien sûr, nous avons besoin d’équipement puisque nos économies ne sont pas florissantes. Mais, en même temps, il n’y a aucun contrôle, regrette Towa Chilongo. Ils jettent tous ces appareils électroniques, dont certains n’ont même pas un an d’utilisation au compteur. Et quand ces derniers arrivent jusqu’à nous, c’est sous la forme de dons pour nos écoles" . Le directeur de TCH E-Waste, une entreprise zambienne de gestion des déchets, explique qu’un vide juridique existant dans le droit international permet l’exportation de déchets électroniques – un droit que certains pays exploitent pour ne pas à avoir à s’en débarrasser de manière responsable. "Le Royaume-Uni ou les États-Unis, comme d’autres, encadrent la façon dont doivent être traités ces déchets. Plutôt que de s’en occuper chez eux ou ailleurs en Occident, ils nous les envoient sous forme de dons" , relève l’entrepreneur.

Combler le fossé technologique

Selon un rapport publié fin 2017 par l’ONG Basel Action Network (BAN), qui fait référence en matière de commerce de déchets toxiques, le vide juridique entourant les appareils permet à tout un chacun de "simplement déclarer des déchets électroniques comme réparables pour pouvoir les exporter en dehors de tout respect des règles et obligations fixées par la convention de Bâle" . Cette dernière, qui s’est tenue à la fin des années 90, régit à l’échelle internationale les échanges – parfois hasardeux – de déchets entre pays. Ces échanges vont, le plus souvent, dans le même sens : des pays les plus riches vers les plus pauvres. Alors que la quantité de déchets électroniques augmente d’année en année, un renforcement des mesures en vigueur ainsi qu’une meilleure implémentation de ces dernières s’imposent. "On ne devrait pas demander à un pays importateur s’il souhaite recevoir des conteneurs remplis de déchets destinés à la réparation" , juge l’ONG BAN.

Agudor Agabas est à la tête de l’entreprise sociale AppCyclers, qui se concentre sur la gestion de déchets électroniques à Tamale, au Ghana. À l’image de Towa Chilongo, il a le sentiment que les appareils "donnés" constituent une sorte de cheval de Troie pour son pays. "Au cours de l’année 2000, le gouvernement a autorisé l’importation d’appareils électroniques dans le pays dans l’espoir de combler le fossé technologique en nous donnant accès à des produits tels que des téléphones portables, indique-t-il. Mais nous avons vite réalisé que nous n’avions pas les infrastructures nécessaires au recyclage de la plupart de ces appareils, une fois obsolètes. Depuis cette période, Agbogbloshie est l’endroit le plus pollué de la planète. " Cette banlieue de la capitale ghanéenne, Accra, fait les grands titres de la presse internationale depuis quelques années. Elle a été surnommée "la plus grande décharge de produits électroniques" par The Guardian. Le bidonville reçoit des millions de tonnes de déchets chaque année – des écrans, des tableaux électriques et d'autres types d’appareils s’y accumulent. Le paysage recèle de câbles qui s’étendent un peu à la manière des veines dans le corps, mêlés à des feux et des fumées noires.

Pour la plupart des locaux, y compris des migrants, Agbogblosie est un lieu de travail – et non pas une no-go zone. De jeunes garçons mettent le feu aux déchets pour récupérer le cuivre, éclatent les écrans puis passent le sol au crible à la recherche de métaux précieux. Tout ce qu’ils découvrent est remis à des ferrailleurs plus âgés et expérimentés. Travailler dans le domaine des déchets électroniques est risqué, au Ghana comme ailleurs. "Mais si je ne me rends pas au travail, je ne peux pas me nourrir, explique ainsi Yakubu Adam, un professionnel qui travaille depuis 2001. Les ferrailleurs tombent toujours malades. On se sent épuisé à longueur de temps. On brûle du cuivre, de l’aluminium… et la fumée est responsable : quand vous en inhalez régulièrement, vous tombez inévitablement malade. " Le procédé utilisé pour traiter les déchets a des conséquences catastrophiques sur la santé humaine et sur l’environnement. Des composés chimiques, tels que le plomb, le mercure, le cadmium ou les chlorofluorocarbures, imbibent les sols et infestent l’air et l’eau. Ils contaminent les récoltes agricoles et empoisonnent les animaux qui se nourrissent au sol.

Une action gouvernementale

Les humains qui manipulent directement les déchets toxiques font régulièrement état de cancers, de pathologies respiratoires, de brûlures à répétition et de lésions au foie. S’il était réalisé dans de bonnes conditions, le travail des ferrailleurs pourrait pourtant devenir un maillon fort de l’économie circulaire. Extraire et réutiliser les métaux précieux – or, argent, platine, fer et cuivre – présents dans les appareils électroniques usagés est simplement du bon sens. Mais les seules alternatives existantes à ce jour pour régler la question de la gestion des déchets consistent à enterrer ces derniers dans les jardins des habitations, les brûler chez soi ou les laisser s’accumuler. "Ils terminent dans des débarras, n’importe où, assure ainsi Towa Chilongo. L’accumulation est véritablement un énorme problème et les plus grands coupables sont les institutions gouvernementales" . Il raconte que des entrepôts sont parfois remplis avec l’équivalent de 20 ans d’ordinateurs usagés, dont personne ne sait quoi faire. "Une des principales entreprises télécoms zambiennes, MTel, est publique. J’ai obtenu jusqu’à six réunions pour essayer de les convaincre que nous avons la solution à l’accumulation."

Les exportations depuis des pays tels que le Royaume-Uni ou encore les États-Unis ne représentent qu’une part du problème. Au moins 50 % – et certains affirment jusqu’à 85 % – des déchets électroniques recyclés, accumulés ou brûlés proviennent d’Afrique. Même si ce continent fait état d’un nombre de fabricants de produits électroniques bien inférieur aux autres, il apporte une contribution disproportionnée – et en constante augmentation – à l’accumulation de déchets. Un phénomène imputable à la démocratisation des appareils. Seule une poignée de pays, tels que l’Ouganda et le Rwanda, ont adopté des règles pour encadrer les déchets électroniques. Si certains États comme le Royaume-Uni, qui exporte illégalement 40 % de ses déchets électroniques, doivent faire des efforts en la matière, c’est également le cas des gouvernements africains. Towa Chilongo planche avec le gouvernement zambien sur une nouvelle législation en la matière. Et Agudor Agabas abonde : "Je pense que le gouvernement va dans le bon sens, mais doit encore faire davantage. Actuellement, nous avons des réglementations au Ghana. Mais elles ne sont pas suffisamment appliquées. Les gens continuent d’agir de manière irrespectueuse vis-à-vis de la santé humaine et des enjeux environnementaux."

Rendre la pratique sûre

Dans le même temps, des organisations telles que TCH E-Waste et AppCyclers jouent un rôle crucial dans la gestion des déchets électroniques. Le premier collecte, classifie et recycle de manière sûre les vieux appareils tout en protégeant les éventuelles données qu’ils contiennent. Le second propose une plateforme en ligne sur laquelle les utilisateurs peuvent commander des appareils, qui sont alors réparés ou recyclés – parfois en objets tels que des bijoux ou des cadres photos. Agudor Agabas et Towa Chilongo participent tous deux à l’économie circulaire. Ils entrevoient les opportunités énormes qu’offre le flux grandissant de déchets à l’échelle mondiale. En l’état actuel des choses, des gigatonnes de métaux précieux sont perdus alors qu’ils pourraient être réhabilités. En plus de leur travail sur le terrain, les deux activistes continuent à sensibiliser et militer en faveur de réformes, respectivement au Ghana et en Zambie. L’objectif final est de partager leurs solutions au problème avec le reste de l’Afrique.

"Les gens n’ont pas vraiment idée de ce que sont les déchets électroniques, au-delà des effets négatifs qu’ils comportent, estime Agudor Agabas. En 2020, nous avons mené une étude et réalisé que plus de 60 % de la population ne sait même pas de quoi il s’agit." Ce manque d’information ne joue pas en la faveur d’un changement des comportements. Les citoyens sont habitués à percevoir de l’argent des ferrailleurs en échange de leur appareils électroniques. Agudor Agabas espère que davantage d’incitations financières verront le jour de la part du gouvernement, afin de simplifier la tâche des personnes qui souhaitent se débarrasser de leurs déchets. Plutôt que de se défausser en rejetant leur problème sur quelqu’un d’autre, les pays étrangers devraient soutenir les solutions selon l’expert. Agudor Agabas aimerait que les géants mondiaux du recyclage partagent leurs connaissances et travaillent main dans la main avec de plus petites opérations locales. Mais pour Yakubu Adam, les choses doivent changer rapidement : les ferrailleurs n’ont pas le choix que de poursuivre leur activité, alors autant favoriser dès à présent l’accès à des équipements de protection pour améliorer les conditions de travail. "Nous avons besoin de soutien, avance-t-il. Quand nous l’aurons, nos affaires iront beaucoup mieux."

Cet article constitue la première partie de The Repairability Report, une série en cinq épisodes réalisée par les rédactions française et britannique de Maddyness au sujet de l’enjeu grandissant concernant les déchets électroniques. Après avoir commencé à la fin du cycle de vie des produits, nous nous pencherons bientôt sur son début. Nous éplucherons les nouvelles politiques menées en la matière en France et au Royaume-Uni, ainsi que la manière dont nous pouvons encourager les Big Tech à prendre leurs responsabilités.

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ISF Euskadi © Amaia Benito