Cet article est republié à partir de The Conversation
Plus de 450 banques mondiales se sont engagées, le 3 novembre, dans une nouvelle initiative lors de la conférence des Nations unies sur le changement climatique, la COP26, qui vise à décarboner leurs investissements. Sous la direction de l’ancien président de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, les banques et autres institutions financières signataires du Gfanz (Glasgow Financial Alliance for Net Zero) s’engagent désormais à rendre compte chaque année des émissions de carbone liées aux projets auxquels elles prêtent.
Elles ont également pour objectif de fournir des milliers de milliards de dollars de financement vert, tout en s’engageant à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. Parmi les principaux signataires de l’initiative, qui a été dévoilée en avril, figurent Citi, Morgan Stanley et Bank of America.
Bien qu’il soit très encourageant de voir les plus grandes banques du monde s’engager à accorder des prêts durables, il est difficile de ne pas éprouver de l’appréhension. Ce n’est certainement pas la première occasion qu’elles ont eue de décarboner leurs livres de prêts, et jusqu’à présent, les résultats n’ont pas été impressionnants.
En 2019, l’Assemblée générale des Nations unies avait lancé en grande pompe ses principes de banque responsable (PRB) avec des objectifs similaires en tête. Les banques qui y ont souscrit ont notamment accepté de " travailler avec leurs clients pour encourager les pratiques durables " et d’" aligner leur stratégie commerciale " sur les objectifs de développement durable de l’ONU (ODD) et l’Accord de Paris sur le climat.
Jusqu’à présent, bon nombre des plus grandes banques du monde n’ont pas signé les PRB, même si ces principes constituaient l’étalon pour s’engager à décarboner les prêts. Les principaux signataires sont également loin de satisfaire à leurs exigences – sans parler de celles de Gfanz.
Verdir la finance
Les banques peuvent contribuer à la résolution de la crise climatique via deux canaux : leurs prêts et leurs investissements. Du côté des investissements, nous avons, semble-t-il, assisté à un point de bascule en 2020 lorsque BlackRock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, a annoncé qu’il allait les concentrer sur des titres axés sur la durabilité.
L’activité de prêt n’en est toutefois qu’aux balbutiements de sa transition verte. Or, comme il est communément admis qu’elle constitue la majorité du financement des entreprises, ce domaine apparaît déterminant pour la décarbonisation du secteur.
Plus de 200 banques internationales ont signé les principes de la banque responsable au cours des deux dernières années, mais beaucoup des plus grandes banques n’en font pas partie. Parmi les dix premières banques (par capitalisation boursière), seules Citi, Commercial Bank of China (ICBC), Bank of China et Agricultural Bank of China sont signataires. Six autres – JPMorgan Chase, Bank of America, China Construction Bank, Wells Fargo, Morgan Stanley et China Merchants Bank – ne figurent pas sur la liste.
Cependant, la signature des PRB reste un engagement limité. Les signataires ont quatre ans pour se conformer aux principes, mais cette initiative est volontaire et non contraignante. Ainsi, les banques ne sont pas pénalisées ni même mises à l’index si elles ne respectent pas les principes.
Pour avoir une idée du statu quo, nous avons examiné dans le cadre de nos recherches les pratiques de prêt de trois grandes banques signataires, Citi, ICBC et la japonaise MUFG, entre 2016 à 2019. Cela couvre la période allant directement de l’Accord de Paris à l’année de la signature des PRB. On aurait pu s’attendre à ce que les banques réduisent donc leurs prêts à forte intensité de carbone au cours de cette période.
Nous nous sommes notamment concentrés sur les prêts accordés par les banques pour l’extraction de combustibles fossiles, parce que les données sont facilement disponibles et qu’il s’agit du sommet de la pyramide en matière d’émissions de carbone. Nous avons également comparé trois autres grandes banques qui ne sont pas signataires des PRB : Wells Fargo, JPMorgan Chase et HSBC.
Il en ressort que Wells Fargo et JPMorgan étaient les principaux bailleurs de fonds de ces entreprises au cours de cette période (bien que Wells Fargo soit tombée au troisième rang en 2020). Ni l’un ni l’autre n’ont signé les PRB, bien que tous deux soient désormais membres de Gfanz. Pourtant, les deux établissements déclarent dans leurs rapports annuels qu’ils s’engagent à respecter l’Accord de Paris sur le climat. Les deux banques ont réduit le total de leurs prêts aux combustibles fossiles chaque année entre 2018 et 2020, de 57 % et 23 % respectivement.
Citi était elle le troisième plus grand prêteur aux entreprises du secteur des combustibles fossiles entre 2016 et 2019 malgré son statut de signataire des PRB (et de Gfanz), et a atteint la deuxième place en 2020.
Quant à MUFG et ICBC, qui sont également signataires des PRB, ils ont augmenté leurs prêts aux combustibles fossiles sur la période. MUFG est également membre du Gfanz, mais ni l’ICBC ni aucune des autres banques chinoises ne font partie de cette nouvelle initiative. Il convient également de noter que HSBC n’était pas un prêteur important pour les projets liés aux combustibles fossiles, bien qu’elle ne soit pas signataire des PRB (mais elle a adhéré à Gfanz).
À partir de là, on peut conclure que les PRB n’ont jusqu’à présent sans doute pas abouti à une réelle différence dans l’octroi de prêts dans ce domaine, et il y a des raisons de craindre que Gfanz ne suive la même voie.
Évolutions modestes
Lorsque les signataires des PRB prêtent de l’argent, ils sont censés réaliser des évaluations de l’impact environnemental des projets et mesurer les émissions de gaz à effet de serre associées. Or, ces travaux dépassent les compétences traditionnelles des banques et affectent considérablement leurs coûts opérationnels.
Les signataires sont également censés veiller à ce que les prêts soient accordés à des projets neutres en carbone. Cela signifie que les emprunteurs doivent s’engager à prendre des mesures d’atténuation pendant tout le cycle de vie du projet. Chaque signataire a l’obligation de veiller à ce que ces mesures d’atténuation soient mises en œuvre, en assurant le suivi du projet pendant toute sa durée.
Pourtant, nos recherches montrent que les évolutions sont restées modestes ces dernières années. Pour changer cette situation, il s’agirait donc probablement de passer à un système dans lequel les PRB seraient obligatoires et contraignants.
Malheureusement, Gfanz ne semble pas constituer une avancée dans ce sens. Bien que les exigences en matière de rapport annuel sur les émissions de carbone constituent un pas en avant, rien dans l’initiative n’est obligatoire non plus. L’initiative a également été critiquée dans les semaines qui ont précédé la COP26 parce que les membres ont refusé d’accepter de mettre fin aux prêts accordés à des projets liés aux combustibles fossiles cette année. Au lieu de cela, ils visent à réduire de moitié leurs émissions de carbone en une décennie.
On pourrait objecter qu’il ne serait pas judicieux d’interdire brutalement les prêts aux projets non écologiques, car nous devons éviter de frapper plus durement les banques qui sont traditionnellement les plus impliquées dans les secteurs à forte intensité de carbone. Au lieu de cela, les carnets de prêt doivent être traités comme un portefeuille de projets variés, avec une trajectoire globale définie vers plus de vert, en contrepartie d’obligations pour les signataires.
Les banques mentionnées ont été invitées à réagir aux conclusions de nos recherches présentées dans cet article. MUFG a renvoyé à sa déclaration de neutralité carbone et à son cadre de politique environnementale et sociale. JP Morgan, Wells Fargo, Citi et ICBC n’ont pas souhaité faire de commentaires.
Paul David Richard Griffiths, Professor of Finance; Academic Director of Gaduate Programme in Banking, Finance & Fintech, EM Normandie – UGEI