Un boulanger qui cherche à changer de voie pour cause d'allergie au gluten, un employé du BTP victime d'ennuis de santé, ou encore une jeune femme qui se cherche après avoir raté son Bac : accompagnés par une association, tous espèrent un nouvel avenir dans le numérique. Dans des locaux rutilants du XIIe arrondissement de Paris, prêtés à l'association Konexio par l'espace de coworking Leonard, ils sont six autour d'une grande table pour un premier cours du soir, en ce début novembre. Assurée par plusieurs bénévoles, la formation courte - 5 semaines - baptisée " DigiStart " est destinée à vérifier qu'ils sont bien motivés et aptes pour le métier de développeur web. Auquel cas, ils passeront à une formation certifiante de plusieurs centaines d'heures, gratuite comme la précédente et reconnue par l'Etat. Puis 4 à 6 mois de stage.
Autour de la table, les profils et âges sont divers. Le benjamin, Tareq, 18 ans, explique qu'à son arrivée du Bangladesh, il s'est inscrit en CAP restauration-rapide à cause de la barrière de la langue, mais veut désormais revenir à ce qu'il aime faire. Ali, 37 ans, lui, confie pudiquement avoir eu un " petit souci de santé ", l'obligeant à cesser de travailler dans l'étanchéité-isolation. Actuellement sans revenus et s'intéressant " beaucoup " à l'informatique, il dit espérer que développeur sera son " futur métier ".
Présente dans une dizaine de villes en France, l'association d’inclusion par le numérique était originellement orientée vers les plus vulnérables, les réfugiés et les jeunes, avant de se diversifier, explique sa co-fondatrice Jean Guo. Depuis sa création en 2016, elle a profité, dit la jeune femme passée par la Silicon valley, à quelque 1 700 à 1 800 bénéficiaires.
" Métier pénurique "
À l'heure où les tensions de recrutement sont mises en avant par les pouvoirs publics, Konexio fait valoir que le numérique est un " métier pénurique ". Le secteur était déjà " en tension " avant la crise Covid qui a considérablement accéléré la digitalisation des entreprises, et donc leurs besoins. Les aspirants arrivent jusqu'à Konexio via des associations, Pôle emploi ou encore le bouche à oreille et les réseaux sociaux. Nivetha, 21 ans, est venue via la mission locale, après avoir échoué à son Bac S et envisagé de devenir infirmière. " J'étais bloquée sur l’idée : j'ai pas mon bac, je ne vais pas avancer dans la vie ", dit-elle, aujourd'hui pleine d'espoir et prête à se plonger dans ce nouveau monde. Hamid, 29 ans, boulanger-pâtissier depuis 10 ans, a, lui, repéré la formation sur internet. Inscrit à Pôle emploi, il est toujours indemnisé pour le moment. Mais il envisage de reprendre la pâtisserie en parallèle. Même s’il a développé une allergie au gluten, - " comme un plombier qui serait allergique à l’eau! ", dit-il dans un sourire.
En début de cours, Fabienne leur rappelle que pas plus de deux absences ne sont tolérées et lance : " amusez-vous et bon courage, parce que ça ne va pas forcément être toujours très facile ". Bénévole depuis 2019, Claire enchaîne avec une première initiation au langage HTML, " pas très agréable pour les humains, mais compréhensible par la machine ". Ce premier contact, avant de s'intéresser à CSS et JavaScript, n’est pas simple pour tout le monde : " On n'y comprend rien ", lâche Ali, suscitant des rires. Aux yeux de la formatrice, qui met en avant la " passion ", le métier de développeur est " tout à fait accessible si on aime ça, pas aussi cryptique qu'on pourrait le penser ".
Mais après cette zone de découverte " sans pression ", tous n'arriveront pas à en faire leur métier. Entre 25% et plus de 50% poursuivent le parcours. Pour les formations longues, Jean Guo revendique un taux de placement en stage ou alternance de 78%, un " tremplin vers l’emploi ". " On essaye de ne pas vendre du rêve ", " on ne prend pas tout le monde, vraiment pas ", assure Fabienne. Elle note qu’ " il faut avoir un goût pour la logique " que certains n'ont pas, et qu'ils s'en rendent compte " en général par eux-mêmes ".