Article initialement publié le 3 novembre 2021
Le changement climatique n’est pas le sujet du moment qu’à Glasgow, où se tient la COP26, qui réunit politiciens, acteurs associatifs et militants des quatre coins du monde pour accélérer les actions en faveur de l’environnement. L’écologie et le développement durable sont aussi au coeur du Web Summit de Lisbonne, messe annuelle d'entrepreneurs et investisseurs de l’écosystème tech mondial. Nombre d’échanges, de conférences et de startups présentes gravitent autour de ces thématiques. Maddyness s’est entretenu avec Thomas Norman Canguilhem, CEO et co-fondateur avec Erwan Le Méné d’EcoTree, startup française qui propose d'investir dans des arbres pour valoriser les forêts européennes de manière durable et économique.
La GreenTech et les préoccupations environnementales sont au coeur de cette édition du Web Summit. Est-ce le signal d’une réelle prise de conscience de l’importance du sujet par l’écosystème?
Thomas Norman Canguilhem : L’intérêt pour ces questions de la part des entreprises s’accroit indéniablement. Quand on a lancé EcoTree en 2016, on était encore très peu de startups positionnées sur ce secteur. Pléthore d’initiatives sont nées depuis, qui interrogent plus ou moins d’ailleurs, mais l’essentiel est que cela attire l’attention sur le besoin réel de la lutte contre le réchauffement climatique.
Comment différencier une entreprise dont la démarche est solide et fiable d’une initiative opportuniste ?
Le critère clé, selon moi, repose sur la durabilité et le suivi des engagements. C’est ce qui fait la différence entre greenwashing et démarche durable. Il ne suffit pas de planter trois arbres en deux coups de cuillère à pot par exemple, mais, comme on le fait, d’en faire de véritables écosystèmes forestiers sur le long terme. Un vrai engagement prend du temps, car si on détruit de manière éclair, la reconstruction est beaucoup plus longue.
L’autre notion importante est la traçabilité des solutions. Les nouvelles technologies sont sources de solutions durables intéressantes, mais elles peuvent aussi donner l’impression que ce sont des projets hors sol. Ce n’est pas avec un application qu’on résout les problèmes de fond. Il faut faire du terrain, tracer les engagements, produits et services proposés. Chez EcoTree, on développe par exemple des outils et capteurs IoT pour mesurer la croissance des troncs, les flux de sève… pour assurer un suivi et rendre l’expérience utilisateur plus intéressante. C’est aussi pour ça que nous sommes une entreprise intégrée, nous travaillons sur nos propres terrains, on ne délègue pas.
Et quel rôle ont concrètement les entreprises dans ce combat ?
Lors de la COP26, les leaders politiques ont pris un engagement fort en faveur de la reforestation. Mais on ne peut pas s’appuyer sur ces décisions uniquement. Les entreprises et les particuliers donnent l’élan à ces dernières et font avancer les choses concrètement et en temps réel. Qu’elles le fassent par conviction ou parce qu’elles sont obligées de le faire - face à des consommateurs de plus en plus regardants -, les entreprises sont aujourd’hui sommées d’agir pour le développement durable.
Notre initiative leur permet d’avoir un impact tangible à travers leur politique RSE. Mais on s’assure qu’elles fassent les choses dans l’ordre : il faut d’abord qu’elles soient dans une logique de réduction de leurs émissions pour venir vers nous et nous acheter des arbres une fois qu’elles ont atteint des seuils incompressibles. Notre typologie de clients montre l’engagement croissant des entreprises : si on concentrait avant une grande partie de notre activité sur les particuliers, le rapport est aujourd’hui en train de s’inverser et notre chiffre d’affaires bascule petit à petit davantage vers le BtoB. On compte aujourd’hui 55 000 particuliers et 1500 entreprises clientes.
Est-ce que l’intérêt des investisseurs suit celui de la société pour les solutions GreenTech et ClimateTech?
La prise de conscience est générale, et touche aussi les fonds d’investissement. On le voit avec la multiplication de fonds à impact qui en font leur coeur d'activité et ne pressurisent pas leurs startups avec des demandes de rentabilité immédiate. Chez EcoTree, on fait le choix de laisser passer des opportunités si ce qui est proposé ne semble pas pérenne pour notre modèle. Nos investisseurs actuels, West Web Valley et Accurafy4, qui ont participé à notre série A, nous laissent libres et nous permettent de nous déployer à l’international. Mais on prend soin de regarder les intentions, la sincérité des engagements.
Quels sont les marchés que vous visez ?
Notre modèle est inspiré des pays scandinaves avec le recyclage, qui offrent depuis des années une compensation financière aux personnes qui rapportent leurs bouteilles et canettes. C’est vraiment porteur de comportements écologiques, on passe du simple au double en récompensant les gens. Avec le même modèle d’investissement durable qui permet un retour sur investissement, EcoTree trouve son public sur les marchés nordiques. En Grande-Bretagne, en Scandinavie et au Benelux, on a une très bonne traction, et je suis basé au Danemark pour développer tout ce pan. La prochaine étape, ce sont les Etats-Unis et l’Europe du Sud. Il y a beaucoup de travail sur l’adaptation de notre message, parce qu’on ne parle pas de ce sujets de la même façon à des publics américains, espagnols ou suédois. C’est un vrai enjeu culturel et linguistique.
L’autre enjeu du moment dans l’écosystème, c’est la guerre des recrutements. Quelles armes sort EcoTree pour se différencier ?
Nous sommes 70 chez EcoTree, dont 15 en dehors de France. C’est une préoccupation majeure pour nous parce que le principal actif après la nature, c’est l’humain, d’autant que nos activités nécessitent des expertises pointues et diverses. Mais le sujet n’est pas vraiment une préoccupation pour nous. La nature de notre entreprise, engagée, labellisée B Corp, sur un projet de reforestation, est un argument en soi pour attirer de jeunes talents. Notre vision correspond à celle de la nouvelle génération, qui a envie de venir travailler chez nous. Les aspirations ont profondément changé entre la génération passée et celle qui arrive sur le marché du travail : le grand groupe ou le cabinet de conseil ne fait plus rêver, les jeunes diplômés aspirent à travailler dans des entreprises innovantes dont le secteur d’activité est porté sur l’environnement.