“C’est avec une joie et une fierté non dissimulées que je m’exprime devant vous ce soir. Au cours des dernières décennies, de multiples changements ont été opérés, non sans difficultés. Mais ces efforts, parfois ressentis comme des privations de liberté, ont porté leurs fruits. Aujourd’hui, la France fête les cinq ans de la disparition des voitures à énergie fossile”. C’est par ces mots que la Présidente de la Commission de surveillance environnementale, Camille Etienne, a initié son discours lors des États généraux du Climat, vendredi dernier. L’occasion de revenir sur le chemin parcouru depuis le début du siècle dans le secteur de la mobilité - limitation des vols intérieurs, arrivée de l'Hyperloop, développement de nouveaux biocarburants.
L’urbanisme repensé par de nouvelles habitudes
En 2020, le parc automobile français, en croissance constante, comptait plus de 46 millions de véhicules contre 31 millions en 1990. Cette course à la croissance aurait sans doute pu continuer encore des années si le gouvernement n’avait pas multiplié les politiques volontaristes et les plans financiers pour décarboner cette industrie.
À Paris, le premier pas a été de concéder plus d’espace aux cyclistes et aux piétons en développant un véritable réseau de pistes cyclables pour mailler davantage le territoire et en élargissant les trottoirs. Petit à petit, d’autres villes se sont elles aussi engagées en restreignant l’accès de leur centre-ville aux voitures dites “écologiquement soutenables” puis en les interdisant finalement aux véhicules personnels. Ainsi, à Paris, Lyon, Nantes, Grenoble, Bordeaux, Nice, Marseille, Rennes seules les voitures partagées - électriques et à hydrogène- sont désormais autorisées.
En contrepartie, les usagers de ces agglomérations bénéficient d’une véritable intermodalité : le réseau de transport en commun, densifié au cours des décennies, est devenu quasiment-gratuit, des espaces de stockage sécurisés destinés aux mobilités douces se multiplient, tout comme les points de recharge. L’association des entreprises à ce vaste projet et l’octroi de primes pour encourager le passage à la mobilité “partagée” ont également pesé dans la balance.
Les voitures volantes et autonomes, présentées dans les films de science-fiction des années 90, n’ont pas connu l’essor escompté. Interrogés sur l’avenir de la mobilité en 2020, plusieurs spécialistes allemands entrevoyaient déjà ce qui s’est confirmé plus tard : “les voitures autonomes sont beaucoup trop gourmandes en énergie - en raison des capteurs, de la rapidité d’informations requises via la 5G et plus tard la 6 ou la 7G et de l’analyse de quantités de données - ce qui les rend fatalement obsolètes dans un scénario où l’écologie doit être mise au premier plan” .
Sans compter la difficulté de faire circuler ces véhicules dans de petites rues sinueuses ou des carrefours complexes. “Une industrialisation de ces véhicules en centre-ville nécessiterait de revoir complètement l’urbanisme actuel, le coût des travaux serait faramineux , confirmait alors Esther Bailleul, spécialiste des politiques territoriales de l'énergie et de la mobilité, en réaction à cet avis. “Leur meilleur usage se situerait surtout dans les zones rurales pour aller d’une ville à une autre mais, là encore, le business model est difficile à tenir.”
La voiture autonome n’est pas morte, quelques navettes circulent la nuit en complément des bus, sur les artères principales des grandes agglomérations et, en journée, dans des milieux plus ruraux pour compenser l’absence de train. On retrouve aussi ces deuxièmes générations de véhicules autonomes sur des quais de chargement ou dans les aéroports. Les drones ont réussi à mieux gérer le virage de la mobilité, avec un usage B2B dans le transport - d’organes, de produits vitaux ou de marchandises peu encombrantes. Un marché encore largement dominé par les véhicules électriques et les flottes de vélo-cargo capables de déménager des appartements entiers.
Voiture : l’innovation se situe dans les détails
Objet de luxe et d'indépendance, la voiture a toujours évolué, pour être sans cesse améliorée. Plus rapide, plus grande, plus performante... mais aussi plus polluante, la voiture a dû emprunter une route bien plus écologique. Les stratégies politiques des gouvernements successifs ont tracé la voie, à court, moyen et long terme d’une véritable transition. “On l’oublie mais 75% de la consommation d’un véhicule provient de son poids. Pour réduire l'impact d’un passage de masse à l’électrique, il faut absolument investir dans la conversion des véhicules et la réduction de leur poids” , analysait Esther Bailleul en 2025 lors de l’annonce de la prime “retrofit” de 5000 euros lancée par le gouvernement. Grâce à celle-ci, plus de 500 000 véhicules diesel et essence ont été convertis en voitures électriques ou à propulsion hydrogène en un an.
Face à ces mutations, les fabricants automobiles ont, eux aussi, engagé un virage “vert” en rachetant des startups. Comme PSA et son acquisition de Pegazus, la société à l’origine de la voiture électrique ultra-légère développée par Gaël Lavaud. L’ingénieur a développé une technologie brevetée de carrosserie autoporteuse en matériaux composites qui permet d’alléger drastiquement le véhicule tout en garantissant la sécurité des passagers. L’intégration de batteries dernière génération permet à la Pegazus de voir son impact environnemental réduit de 60% par rapport aux voitures du début du siècle. Un vrai bond en avant qui a inspiré d’autres modèles comme le trois-roues de Volkswagen qui se recharge à l'électricité solaire. Tous deux bénéficient d’un autre atout : leur assemblage s’effectue dans des micro-usines, au plus près de la demande. Un procédé qui a raflé de nombreux prix.
Électricité, hydrogène et biocarburants ont pris le pas sur le diesel et l’essence
L’électricité, qui représentait encore un pourcentage assez faible des véhicules roulant au début du siècle, a pris une place bien plus importante avec la prime de conversion. Sans compter l'amélioration des batteries françaises, deux fois et demi moins lourdes qu’au début du siècle pour une autonomie allant jusqu’à 600 kilomètres, une performance suffisante grâce aux bornes de recharge publiques installées sur tout le territoire. Mais c’est sans doute l’hydrogène, encore balbutiant en 2010, qui a réalisé le saut le plus important.
Au fil des ans, les acteurs du secteur ont pu démontrer sa valeur et ses atouts par rapport à l’électrique. “L’hydrogène vert est exploitable à grande échelle et permet de s’attaquer à toute une gamme d’usages très carbonés ainsi qu’à la mobilité. Contrairement à l’électrique, cette solution permet de réaliser plus de 500 kilomètres avec 5 kilos d’hydrogène, sans recharge. D’ici 2070, les questions d’échelle seront largement dépassées” , estimait déjà en 2020, Ovarith Troeung, Managing Director Offer Accelerator & Director Green Mobility chez Engie.
Une analyse qui n’a pas été démentie par la suite. L’hydrogène est très présent dans le parc de transport de marchandises - navires, camions, TER - et dans la mobilité de proximité au sein des bus et des cars. Le remplacement du diesel et de l’essence par l’électrique et l’hydrogène vert est aussi dû à une politique d’investissement massif dans les énergies renouvelables dont le rendement est suffisant pour alimenter une grande partie de notre mobilité.
L’autre innovation de taille est sans doute l’industrialisation de biocarburants comme les algues et les résidus agricoles non alimentaires (paille de blé, tiges de maïs). Il faut remonter à 2018 pour en voir les premiers usages. On observait alors que les lipides développés par les algues durant leur croissance pouvaient être transformés en carburant. Leur capacité à absorber les fumées industrielles offrent un dernier avantage qui permet de compenser leur arrivée tardive sur le marché, en 2038.
L’aérien peine à trouver son équilibre écologique
Voler, voilà un rêve qui nous accompagne depuis le 16ème siècle. Mais en raison de son impact sur l’environnement, l’aviation a dû se réinventer. L’obligation imposée aux compagnies aériennes d’améliorer leur bilan carbone en contrepartie d’aides financières ont marqué les prémices de cette évolution. La taxation à 80% des vols intérieurs et l’interdiction des vols pour des trajets de moins de 4h30 en train n’ont été que des jalons supplémentaires à cette transition.
Tout comme la mise en place du passeport de mobilité éco-responsable en 2028. Aujourd’hui possédé par tout le monde, ce dernier, qui consiste à donner à chaque citoyen un quota de 50 points - à utiliser annuellement pour partir en week-end ou en vacances, fut une véritable révolution lorsqu’il fut mis en service avec ce barème : un voyage en train ou en bus coûte 1 point, en voiture 2 points et un voyage en avion entre 60 et 200 points (aller/retour) suivant la destination et le carburant utilisé par la compagnie aérienne. Pour effectuer un voyage “loisir” en avion, il faut donc économiser pendant plusieurs années ou acheter des points supplémentaires, dans la limite de 200 par an. Même si le prix du point, qui ne cesse d’augmenter chaque année, ne permet qu’à une petite frange de la population de s’offrir des voyages en extra.
Pour remplacer les voyages “moyenne distance” autrefois effectués en avion, les trains et les Hyperloop - qui peuvent aller jusqu’à 850 kilomètres par heure - ont pris le relais et permettent de réaliser un Lyon-Venise en passant par Milan en 1h45 ou un Marseille-Bruxelles en 2h30. Le redéploiement de petits trains de nuit - grâce à la récupération d’anciens wagons- par la coopérative Rail Coop facilite les déplacements internes de moyenne et longue durée. Cette complémentarité entre l’aviation et le train mais aussi entre les transports en commun, les voitures partagées et les vélos, est ce qui caractérise le mieux la mobilité en cette année 2070.