Mirakl, Sorare. Aussi encourageantes que soient les nouvelles de leurs levées de fonds exceptionnelles, on s’aperçoit rapidement de l’absence d’entreprise ou de fonds français en position de leader des tours de table. En soutien de premier plan, on trouve plutôt Silver Lake ou SoftBank. L’écosystème français est en effet très actif en early stage, le plus souvent sous la barre des 50 millions d’euros. En revanche, lorsque ces pépites ont besoin de consolider leur activité, en late stage, les investissements français se raréfient.
Une offre domestique quasi-absente sur le late stage
À ce stade, ce sont en effet les capitaux d’origine européenne qui prennent le relais : ils représentent 21 % des levées en capital-risque pour la tranche 50-100 millions d’euros, 31 % pour la tranche 100- 250 millions d’euros et 80 % des levées supérieures à 250 millions d’euros. Sont également présents les capitaux non-européens, comme en témoigne la levée record de 585 millions d’euros pour Sorare menée par Softbank. On est loin des montants français !
Ce phénomène se confirme d’ailleurs au niveau des exits. Entre 2015 et 2021, seuls 36 % des rachats de startup françaises provenaient d’acquéreurs nationaux. La plupart de nos pépites passent in fine entre les mains d’acquéreurs étrangers, notamment américains : il faut dire que ces derniers sont capables d’investir des montants trois fois supérieurs en moyenne à ceux de leurs homologues européens (100 millions d’euros contre 30 millions respectivement par exit). L’offre domestique ne semble donc pas suffisamment dynamique pour conserver nos startups sous pavillon français, ou à tout le moins européen. Ce constat fait, on pourrait se lamenter d’une telle fuite de nos plus belles pousses. Qu’on se rassure au contraire : les acquisitions étrangères tout autant un remède qu’un symptôme de la fragilité de l’écosystème français.
Des rachats étrangers dépend la survie de nos startups
Les rachats étrangers ont en réalité plusieurs vertus – en plus d’être une source de revenus pour l’État. Aujourd’hui, 60 à 90 % des startups meurent avant d’avoir pu dépasser la phase critique de la " vallée de la mort ". Un rachat étranger permet donc avant tout la survie d’une startup, des emplois et des investissements qui y sont liés. Par ailleurs, ces rachats s’accompagnent très rarement d’une délocalisation des activités et favorisent au contraire la création d’emplois sur le sol français.
À titre d’exemple, Logmatic employait 10 personnes lors de son rachat en 2017 par Datadog ; elle compte désormais 400 employés à Paris. Plus important encore, les entrepreneurs ayant trouvé un acquéreur deviennent très souvent des business angels qui réinvestissent au capital de jeunes startups, réinjectant ainsi le revenu de la vente dans l’économie française. D’autres créent de nouvelles entreprises, à l’image de Bruno Maisonnier qui a participé à la création de 17 startups en France depuis la vente d’Aldebaran Robotics à Softbank en 2012. Loin de constituer une menace pour l’économie française, ces rachats – et les réinvestissements qui en découlent – sont donc bien un moyen efficace et rapide de renforcer notre écosystème.
La meilleure défense, c'est l’attaque
C’est la raison pour laquelle il faut se garder de freiner ces rachats en se laissant emporter par un " patriotisme économique " à trop courte vue. Le blocage du rachat de Dailymotion par Yahoo, au début des années 2010, est un cas d’école : en tentant de " protéger " l’entreprise, l’État l’a en réalité privée de capitaux et d’un appui industriel vital, lui portant finalement un lourd préjudice. Comme si cela n’avait pas suffi, le décret signé par Arnaud Montebourg en 2014, ordonnant que toute prise de participation dans une entreprise française dans un secteur jugé " stratégique " obtienne l’accord des autorités publiques, freine toujours le rachat de certaines de nos start-up. La France n’a que trop renforcé son arsenal défensif en la matière. Il faut au contraire mobiliser des leviers offensifs, comme la création d’une place boursière susceptible de créer des champions. Si le destin naturel d’une startup est de se vendre, elle a généralement été conçue et structurée pour s’introduire en Bourse.
Or la place boursière européenne reste moins attractive que le NASDAQ américain. Pour pallier ce problème, le rapport Tibi a déjà proposé une solution pertinente : l’ouverture de cinq à dix fonds " Global Tech " sur le marché coté investissant dans des valeurs technologiques. La mobilisation de l’épargne, en la fléchant davantage, pourrait constituer une piste intéressante. Il faut également favoriser la mobilité des talents, en particulier des développeurs en informatique, pour résoudre la pénurie en ce domaine en France. Enfin, encourager la consolidation de nos pépites leur permettra de devenir elles-mêmes suffisamment grosses pour acquérir à leur tour de nouvelles jeunes pousses, créant ainsi un cercle vertueux reflet de nos ambitions.
Vincent Charlet, Délégué général de La Fabrique de l’industrie