21 février 2022
21 février 2022
Temps de lecture : 5 minutes
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« Le sexisme inconscient est la partie immergée de l’iceberg en entreprise »

Après avoir été directrice conseil en agence pendant 10 ans, Aurore Cornen a fondé en juin 2021 "Nouvelles Interactions" , une formation pour les entreprises qui décortique les stéréotypes sexistes pour mieux s’en affranchir. Elle revient pour Maddyness sur sa démarche.
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Entretien initialement publié le 24 septembre 2021

Pour sensibiliser à l’égalité entre les femmes et les hommes en entreprise, beaucoup de formations existent. À quoi est-il urgent de s’attaquer pour lutter contre le sexisme au travail ? 

Aurore Cornen : J’ai travaillé pendant 10 ans dans le conseil en agence de publicité. J’ai adoré mon travail, mais j’étais sidérée d’être en permanence confrontée aux inégalités entre les femmes et les hommes. Souvent, quand on parle d’inégalités, on suppose -surtout depuis 2017 et la déferlante #MeToo-, des agressions sexistes ou sexuelles. C’est évidemment une priorité à attaquer, mais c’est la partie visible de l’iceberg. Les inégalités auxquelles j’étais confrontée étaient plus insidieuses et quotidiennes. Ces réflexions discriminantes sous forme de pseudos blagues, cette socialisation différenciée… C’est à cette partie immergée de l’iceberg, ce sexisme inconscient et intégré, que j’ai voulu m’attaquer avec "Nouvelles Interactions" . C’est à cause de ce phénomène qu’on retrouve des femmes très compétentes coincées sous un plafond de verre, qui en font pourtant quinze fois plus pour exister dans l’entreprise. Pourquoi joue-t-on des coudes alors qu’il y a de la place pour tout le monde ?

Pouvez-vous donner un exemple du sexisme inconscient courant dans le milieu professionnel ?

L’un des ateliers que j’anime sur l’ambition et les compétences s’attache par exemple à déconstruire cette tendance, qu’on a en société, à projeter des différences de compétences entre les femmes et les hommes, en ne prêtant pas les mêmes capacités en fonction du genre. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai entendu plusieurs fois dans ma carrière : "Dis-donc, tu as du caractère pour une petite nana ! " … Parce que les gens ne s’attendaient pas à voir ce trait de caractère chez une petit blonde aux yeux bleus. Une femme qui a du leadership reste l’exception aux yeux de beaucoup de gens. Un client dans le secteur agroalimentaire m’a aussi dit, après trois ans de collaboration, et comme pour me féliciter du travail fourni, "t’as fait le taff d’un bonhomme" . Toutes ces réflexions quotidiennes accumulent les micro-frustrations et grignotent les gens progressivement et sans qu'on s’en rende compte. 

Ce conditionnement est le fruit d’une construction qu’on nous apprend dès le plus jeune âge. Ça se joue dès l’école, sur le temps de parole qu’on donne aux filles, sur les sujets sur lesquels on interroge les garçons ou les filles… Des études de sociologie montrent que l’éducation des filles se fait dans la tenue alors que celle des garçons est dans la retenue : on va féliciter une fille de son bon comportement, d’être propre et rigoureuse, alors qu’on va demander à un garçon de retenir ses émotions et de ne pas pleurer. Les compétences relationnelles et émotionnelles attendues dès l’enfance ne sont pas les mêmes. Tout cela est construit.

Comment votre formation aborde la question du sexisme pour sensibiliser les collaborateurs et collaboratrices en face de vous ? 

L’approche de ma formation est sociologique et historique, parce qu’il est justement question de déconstruire toutes ces stéréotypes genrés. Comme pour le racisme ou le validisme -forme de discrimination contre les personnes handicapées, ndlr-, quand on comprend d’où vient le sexisme, il est tout de suite plus facile de s’en détacher. Si l’on prend par exemple le sujet de la prise de parole en public, il faut expliquer pourquoi nous ne sommes pas égaux face à ça; que couper la parole d’une femme revient à la rendre silencieuse; que les hommes ont souvent plus d’aisance parce que l’éducation sur la prise de parole et la confiance en soi ont joué dès les premières années de la vie de chacun… Je veux décortiquer ces mécanismes en revenant à leurs racines pour mieux leur tordre le cou. Cela permet d’allumer la lumière en mettant au jour plein de comportements dont on n’a pas conscience quand on en est auteur. Ça engage une dynamique pour repenser la façon de collaborer en entreprise au quotidien. 

Est-ce que ce genre de formations pour sensibiliser les salariés, sur lesquelles les entreprises communiquent beaucoup, suffisent à faire avancer l’égalité entre les hommes et les femmes ? 

Je ne peux que recommander aux entreprises qui veulent ouvrir un chantier de faire une sensibilisation par des formations, mais il faut que cela suive après et reste tangible toute l’année. La formation est un point de départ pour donner envie en interne de se mobiliser ensuite pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Brique par brique, on ouvre un chantier colossal. 

Quelle pourrait alors être la brique d’après pour que les entreprises s’engagent sur le long terme dans une démarche d’inclusion et d’égalité ? 

Certaines boites attendront que le gouvernement empile des textes de loi pour prendre la mesure de ces problématiques. Souvent, de très grands groupes communiquent sur cette petite formation qu'ils ont dispensé à tous leurs collaborateurs… Sauf qu'elle s'est déroulée entièrement en visioconférence, derrière un powerpoint et sans interaction. Ces initiatives ne changent rien.

La brique d’après peut consister à maintenir, dans les évaluations annuelles, un créneau de dialogue pour parler de comment on se sent ouvertement, maintenir le débat sur l’égalité et la parité en général. Comme on a des CSE (Comité social et économique) dans les entreprises ou des référants sur les questions de harcèlement sexiste ou sexuel, il faudrait qu’il y ait des élections d’ambassadeurs qui ont envie d’en savoir plus ces problématiques et d’infuser ensuite cette démarche au quotidien dans le reste de l’entreprise pour continuer de déconstruire les stéréotypes. Les grandes sociétés américaines ont déjà franchi ce cap. 

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© Aurore Cornen