Exploité à travers les âges pour diverses applications, le biomimétisme est utilisé dans l’architecture et l’urbanisme depuis plusieurs décennies. D’un désir d’optimiser la gestion de l’énergie et des ressources naturelles à celui d’améliorer le confort de vie, l’approche a la faveur de la politique de la ville. Et la nature a bouleversé notre manière de construire.
Le bâtiment a longtemps été l’un des plus gros pollueurs. Depuis le début du siècle, une révolution technique a permis au secteur de faire amende honorable. Le biomimétisme, qui consiste à s’inspirer et reproduire des mécanismes naturels en vue d’une application industrielle, a renversé la vapeur. Alors qu’elle représentait “39% des émissions totales de CO² liées à l'énergie” et consommait “36 % de l'énergie finale” en 2018 lors de la COP 24, cette industrie parvient même aujourd’hui à une balance positive – elle absorbe une partie, encore difficilement quantifiable, des émissions de gaz à effet de serre. Le résultat concret de politiques urbanistiques fortes, bien qu’éclectiques selon les régions du monde. Selon le Ceebios (Centre d'études et d'expertises en biomimétisme), un “essaimage des projets” en matière d’architecture biomimétique était ainsi déjà visible au début des années 2020.
Penser la ville comme un écosystème
De multiples chantiers du début de siècle ont nourri la créativité des professionnels. Ainsi, l’Esplanade Theatres, inaugurée à Singapour en 2002, a traduit la possibilité pour les villes de s’emparer du biomimétisme pour optimiser leur consommation énergétique. Inspirée par la peau des fruits de durian, la carapace d’aluminium qui recouvre le bâtiment filtre la lumière naturelle et change de position en fonction de la position du soleil. Une conception qui, des années plus tard, a révélé avoir réduit de l’ordre de 30 % la dépense énergétique et de 55 % l’utilisation d’éclairage artificiel. “Il s’agit des fondations sur lesquelles se sont reposées les divers développements que nous avons depuis connus, tels que le partage d’énergie entre édifices”, expose Savinien Faure, un architecte adepte du biomimétisme. Il est actuellement courant d’équilibrer la consommation entre les bâtiments qui composent l’espace urbain, à l’image de ce que font des arbres forestiers au niveau de la rhizosphère – la région du sol formée et influencée par les racines et les micro-organismes associés.
Le transport de l’énergie est la clé de voûte de la nouvelle approche architecturale. Il n’est plus si rare qu’un édifice produise davantage d'énergie qu’il n’en consomme. Un effet de la volonté des pouvoirs publics de doter l’ensemble des constructions neuves de panneaux solaires, entre autres. “Or des réseaux souterrains nous permettent de répartir l’énergie, à l’image des arbres qui envoient à des congénères les nutriments dont ils n’ont pas besoin pour leur propre développement”, note Savinien Faure, qui juge que les humains ont été contraints de “sacrifier leur amour des lignes droites”. L’essence même du biomimétisme a toujours été d’agencer la ville et ses composantes de façon à générer un écosystème à même de s’auto-gérer. “Les bâtiments seront assimilables à des arbres, la ville à la forêt”, projetait ainsi dès 2021 Henry Dicks, chercheur postdoctorant en philosophie rattaché à l’université Jean-Moulin-Lyon-III. Si l’approche qui consiste à imiter la nature a une longue histoire derrière elle, remontant jusqu’à la Grèce antique, son adoption massive au cours des 50 dernières années doit beaucoup à la mobilisation générale – populaire et politique.
Feuilles d’arbres et coquilles d’ormeaux
Dans les années 2010 et 2020, la ville intelligente était un sujet majeur dans la réflexion visant à rendre la gestion de l’énergie et des autres ressources plus efficace. Cette méthode a toutefois trouvé ses limites, puisque basée sur la persistance d’un modèle axé sur la consommation. Il a fallu changer de paradigme afin de lever les obstacles : interdire l’installation de fermes photovoltaïques et privilégier l’installation à même les toits. Mener une vaste campagne de perméabilisation des sols urbains plutôt que compter, tel que l’on faisait depuis des siècles, sur les égouts. Autant de sujets qui ont permis de redonner de l’air aux métropoles, qui se sont appliquées à reproduire les bénéfices de la nature aussi bien dans les espaces extérieurs qu’à l’intérieur des édifices. “Les feuilles d’un arbre ne sont pas entassées les unes sur les autres, relève Savinien Faure. Il doit en être de même pour les balcons, afin de maximiser l’exposition des appartements à la lumière naturelle.”
Le biomimétisme permet, par ailleurs, de consolider la structure des constructions. Le bois créé artificiellement permet d’améliorer la régularité du matériau, quand l’agencement des os dans le corps inspire les fondations – c’était déjà le cas de la Tour Eiffel, dès 1887. La couche de protéines et de minéraux qui forme la coquille des ormeaux, si solide, a pu être reproduite dans les fondations des édifices construits dans des zones à risque sismique élevé pour absorber les chocs. “Il s’agit à chaque fois de respecter les ressources et de préserver la biodiversité. Ces diverses techniques permettent d’économiser des matières premières… comme l’énergie que requiert leur transformation”, assure Savinien Faure. Et c’est le résultat palpable de ce que les philosophes du domaine envisageaient en début de siècle : “Il nous faut une prise de conscience en matière de biomimétisme. La nature est l’élément central afin d’optimiser l’exploitation des ressources ou imaginer des designs”, martelait ainsi Henry Dicks, qui avançait qu’il s’agit là de “la seule méthode, alliée à des mesures de performance écologique, permettant d’atteindre la durabilité à moyen terme”.
La France a d’abord privilégié la végétalisation
C’est une première forme de biomimétisme, plus terre à terre, qui a prédominé en France. À l’image de la politique urbanistique qu’elle a menée lors de son mandat de maire de Nantes, Jeanne Feyrveau s’est attachée à promouvoir la végétalisation des villes lorsqu’elle a gagné la tête de l’État en 2027. Les élus locaux ont été vivement encouragés à intégrer cette dimension au moment de délivrer les permis de construire. Le renouvellement urbain est, depuis cette période, aussi concerné. “Végétaliser peut être perçu comme une forme de biomimétisme, d’un point de vue fonctionnel”, estimait Henry Dicks. Le fait d’intégrer du vivant dans chaque projet de construction a contribué à rendre vivable plus d’une ville. Des îlots de fraîcheur ont été créés pour combattre les fortes chaleurs estivales dans des villes comme Paris. Et les déboires que provoque une politique dans le cadre de laquelle on végétalise à tout-va sans penser l’intégration dans l’écosystème urbain sont désormais bien connus.
“Puisque tous les éléments du paysage communiquent entre eux, il convient de s’assurer que les espèces végétales plantées sont adaptées à l’environnement local. Entretenir ces dernières est crucial pour ne pas se laisser déborder. Si les villes copient les forêts, elles ne bénéficient pas de l’auto-régulation naturelle de ces dernières” , sourit Savinien Faure. L’architecte vient de dessiner un bâtiment qui s’inspire de la fleur de lotus, dont la surface empêche l’accumulation de la poussière. Il aime à penser que les possibilités d’application du biomimétisme à son domaine de prédilection sont infinies. “On en est rendu à imaginer des édifices qui se nettoient entièrement seuls, sans intervention humaine. Rien ne nous empêche de développer d’autres techniques, à des fins écologiques ou économiques” , se convainc Savinien Faure. Et c’est sans compter les secrets que recèlent encore faune et flore. Comme aimait le dire Henry Dicks à propos de l’architecture biomimétique : “Les arbres sont parfois immortels. L’Histoire a montré que des bâtiments peuvent l’être tout autant.”