Sa vie est un mélange d’ambition, de combativité… et, sans doute, d’un peu de chance. David Inquel, sacré champion de France de judo en 1996 (-78 kilos), est désormais à la tête du promoteur immobilier bordelais Harvey. L’ancien judoka déploie tout autant d’énergie dans cette carrière entrepreneuriale que dans la précédente. Avec un fonds de dotation lié à son entreprise, il met en avant le désir de servir le monde sportif qui lui a permis de se réaliser, Sa société se veut novatrice. Elle fait de la place à la technologie, mais souhaite également concilier profits et solidarité. "Toute ma vie découle des opportunités qui se sont présentées au cours de mon parcours sportif. Je veux maintenant rendre la pareille" , explique à Maddyness celui qui a notamment créé un fonds de dotation visant à soutenir des clubs et sportifs hexagonaux.
Au départ, "un rêve un peu démesuré"
Né en 1972 à Plouay, dans le Morbihan, David Inquel a bataillé pour s’imposer à chaque étape en tant que judoka. Rien ne laissait présager que le sportif, dont les parents et les deux frères "étaient davantage foot que judo" , réussisse à atteindre le haut niveau. "Quand j’ai commencé à en faire, à l’âge de 6 ans, j’aimais déjà l’idée d’aller au combat et l’aspect ludique était bien sûr présent" , raconte-t-il, à maintenant 49 ans. À ce que cela ne tienne, sa famille le soutient dans sa démarche, "valorisant les bienfaits du sport quel qu'il soit". Dès lors, les performances qu’il réalise en minimes lui valent d’être remarqué. David Inquel, qui confie avoir "eu peur" l’espace d’un instant en se voyant proposer d’entrer en sport-études, finit par accepter. Il quitte le cocon familial et le bar que tiennent ses parents pour rejoindre, à 15 ans, cette section sélective et exigeante à Rennes. "J’y allais avec un rêve un peu démesuré : devenir champion olympique" , se rappelle-t-il, sourire en coin.
L’entraînement qu’il suit lui permet de décrocher le titre de champion de France en cadets au début des années 90, "une première pour un Breton" . Sur cette lancée, il intègre l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance) pour peaufiner sa formation. "Cela a été dur psychologiquement. Quand t’arrives, t’es une star dans ta Bretagne natale. Et, à Paris, tout le monde est plus fort que toi" , expose David Inquel, qui se souvient ne pas avoir "réussi à faire tomber qui que ce soit en combat pendant les six premiers mois".
Évoluant à l’époque dans le club du Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis), le sportif parvient à faire "plusieurs podiums sans pour autant surperformer" . Mais son ambition le rattrape et il frappe, malgré tout, à la porte du Racing Club de France en 1995. "On m’a répondu que les trois premiers français étaient signés chez eux et qu’il n’y avait pas de place pour moi, se remémore-t-il. Persévérant, je leur ai dit que j’étais prêt à signer pour un salaire junior. " La méthode s’avère payante, et lui permet de fréquenter les meilleurs dans sa discipline.
Garder de l’énergie pour entreprendre
Pendant quatre ans, il s’entraîne et affronte Djamel Bourras, champion olympique à Atlanta en 1996, et Stéphane Nomis, l'actuel président de la Fédération Française de Judo (FFJ). Il suit également un stage au Japon, avec des champions olympiques. "Me confronter à ces professionnels m’a permis de me surpasser. Il y avait, entre nous, la compétition mais aussi l’entraide" , aime à dire David Inquel, qui liste certains "pics de joie" lors de cette période. Médaille de bronze au Tournoi de Paris en 1997, il décroche la même récompense aux championnats du monde par équipe à Minsk (Bélarus) l’année suivante… "Ce qui est fort, dans ces moments-là, c’est le sentiment de fierté qu’on donne à toute une région : la Bretagne a pris autant de plaisir que moi à me voir réussir." Mais, début 2000, le sportif rate "de peu" la qualification pour les Jeux olympiques d’été de Sydney (Australie). Un épisode qui lui fait vite baisser les bras. "Je n’étais plus habité par l’envie de continuer" , indique-t-il, tout en disant ne pas avoir de regret car "cette décision [lui] a permis de ne pas faire les années de trop et garder de l’énergie pour autre chose".
Il faut dire que le judoka avait de l'avance : parallèlement à sa carrière sportive, il étudiait le droit et l’économie du sport à l’université de Limoges. "Si cela a certainement joué sur mes performances sportives, du fait de l’investissement que ça me demandait, cela m’a aussi ouvert des portes en fin de carrière" , juge-t-il. Passé par les relations publiques de LCL, il avoue avoir été "angoissé" lors de ses premiers pas en entreprise : "Mon logiciel n’était pas adapté. J’ai commencé à travailler à 29 ans. Le judo n’était pas du travail pour moi."
David Inquel saisit alors l’opportunité de s’associer avec un ancien judoka, Lionel Desage. Ce dernier était à la tête de Coff, un expert de la gestion de patrimoine. "Je ne connaissais rien au domaine de l’immobilier, mais il m’a dit qu’on n’allait pas s’ennuyer. Une promesse qui a résonné dans ma tête" , se souvient ainsi le champion de France, qui a appris sur le terrain "en démarchant les cabinets de conseil et banques d’affaires au culot". De 2001 à 2006, l’entreprise est en forte croissance et rachète un opérateur de maisons de retraite.
Rendre la pareille au monde sportif
Avec son associé, David Inquel, qui a suivi un master fiscalité en alternance à l’université Clermont-Auvergne entre temps, sont alors à la tête du huitième acteur français du secteur. Ils décident ensemble de mettre leur société aux enchères pour lancer un nouveau projet en 2011 : Ynov, expert de la formation aux métiers du numérique. "On a regroupé plusieurs écoles sur un même campus, pour passer de 60 à 4 000 étudiants en quelques années" , raconte l’ex-sportif, qui a vendu ses parts en 2016 dans le but de prendre son envol. Il suit ensuite un executive MBA à HEC pour "obtenir des briques complémentaires" alors qu’il avait tout appris en autodidacte jusqu’alors. "C’était très enrichissant, se rappelle-t-il. Et une fierté. Quelle était la probabilité pour quelqu’un qui vient d’une petite commune bretonne ?"
Six mois plus tard, courant 2018, il fonde Harvey – un nom en hommage à Harvey Specter, un protagoniste de la série américaine Suits, dont les fondateurs sont "fans" – avec Romaric Gaudemer et Miriam Annoni, respectivement ancien judoka et experte en immobilier.
"L’ambition a tout de suité été de concevoir, réaliser et gérer des biens. Nous avons voulu intégrer une forte dimension technologique pour permettre aux acquéreurs de suivre leurs investissements de A à Z" , relève David Inquel. 21 lots ont été livrés à l’entreprise, 100 le seront dans les prochains mois et 1 000 autres sont "dans les tuyaux". Dans les faits, une application maison permet à l’acquéreur de se brancher avec les équipes de chantier pour avoir une vue en temps réel de l'avancée des travaux, puis de se voir assigner un "coach" pour actualiser son espace personnel – où sont centralisés l’ensemble des documents qui lui permettront de céder son appartement, le temps voulu. "Le tout en faisant comprendre, lors des appels d’offres, que le fait de mettre l’équivalent de 1 % du prix d’achat au pot de notre fonds de dotation est bienvenu" , glisse le champion, qui souhaite "accompagner les sportifs de haut niveau dans leur entraînement, leur reconversion ou leur hébergement".
"La meilleure formation, c’est Tatami Sup"
Harvey opère sur tout le territoire national, avec l’appui des municipalités conduisant une politique forte en matière d’accompagnement de sportifs. David Inquel et ses associés ont profité d’un accélérateur en ce sens quand, un jour de 2019, le double champion olympique de judo et ministre des Sports, David Douillet, les contacte. "Il appelle à l’improviste. Il dit qu’il arrête la politique et qu’il veut s’associer, se rappelle le co-fondateur du promoteur. Je lui ai répondu que si c’était dans le but d’investir, cela ne m’intéressait pas. Mais si c’était pour apporter sa capacité de travail au projet, c’était avec plaisir."
La présence de l’ancien député des Yvelines dans l’aventure entrepreneuriale contribue à la faire connaître auprès des collectivités territoriales et de la nouvelle génération de sportifs. Le fonds de dotation a permis à Harvey d’accompagner le tout récent champion olympique de judo par équipes à Tokyo Axel Clerget dans le cadre d’un pacte de performance sportive. Le quintuple champion de France de la discipline Cyrille Maret s’apprête, pour sa part, à bénéficier d’une aide à la reconversion.
La formule séduit : Harvey génère déjà un chiffre d’affaires de 20 millions d’euros, selon le co-fondateur. "Nous avons 25 employés, et envisageons de lever des fonds d’ici à la fin de l’année 2021 pour mettre le paquet sur les outils tech, indique David Inquel. Nous voulons garder la main sur le parc immobilier que nous construisons, pour atteindre la taille critique de 500 lots qui nous permettra de réaliser un chiffre d’affaires de 100 millions d’euros." Le judoka juge qu’aller "au-delà de cette ambition reviendrait à perdre en efficacité". Or, cette caractéristique est un leitmotiv pour l’entrepreneur, qui estime que "le sport est la meilleure école". "Les pouvoirs publics devraient davantage y croire, lance ainsi celui qui a été élu à la vice-présidence de la Fédération française de judo (FFJ) pour un mandat de quatre ans. Je dis souvent que la meilleure formation, c’est Tatami Sup. Cela exige de la réactivité et permet d'apprendre à gérer la peur de l’échec, qui fait partie du quotidien."
Membre du Galion Project, David Inquel suggère notamment de "généraliser la validation des acquis de l’expérience (VAE) pour valoriser les comportements et savoirs sportifs". À la FFJ, où il est à la tête de la délégation "Immobilier et formation" – quoi de plus logique, au vu de son expérience entrepreneuriale –, il prévoit de céder des biens pour centraliser les activités dans le XIVe arrondissement de Paris. "Nous avons l’occasion de devenir un hub mondial de la discipline, grâce à l’héritage des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, insiste le sportif, qui plaide en faveur de "l’inclusion, la diversité et la mixité". 500 000 enfants font du judo en France et peuvent prendre exemple sur nos championnes et champions, qui ont toutes et tous une bonne attitude." Et pourquoi pas acquérir, comme cela a été le cas pour David Inquel, les qualités qui feront d’eux de futurs entrepreneurs.
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