Botanik Store, CBioD, High Society, le Chanvrier français, etc. Les boutiques de CBD s’installent à une vitesse impressionnante sur tout le territoire. Hors e-commerce, leur nombre a été multiplié par trois pour atteindre les 400 entre février 2020 et 2021, selon le Syndicat national du chanvre. Il faut dire qu’au premier abord, le secteur est plutôt accessible : aucune formation n’est requise et la France compte plusieurs voisins -la Suisse notamment- comme fournisseurs. Sans compter qu’aujourd’hui, certains laboratoires se sont spécialises dans l’analyse du cannabidiol afin de garantir les taux de THC dans les produits finis. Une certification essentielle, la France n’autorisant pas un taux supérieur à 0,2% pour le moment. Malgré ces points positifs, les entrepreneurs se heurtent encore à certains freins législatifs et administratifs sérieux.
Ouvrir un compte, un premier combat
Légal, le CBD suscite encore quelques craintes et reste encore, pour les institutions bancaires, associé au cannabis et aux stupéfiants. Résultat, plusieurs entrepreneurs se voient refuser l’ouverture d’un compte bancaire professionnel lorsqu’ils expliquent vouloir se lancer sur ce marché. Agathe Lecoq et Léa Philippot, cofondatrices de Mindology en ont fait l’expérience. "C’est un business légal mais les banques traditionnelles françaises ne suivent pas. Nous avons essuyé plusieurs refus" . C'est finalement en se tournant vers une banque européenne qu'elles ont trouvé la solution. À condition de montrer patte blanche. "La banque a effectué des vérifications et nous a demandé des certifications de deux laboratoires différents attestant que nos produits [des huiles, ndlr] ne contenaient pas de THC" , soulignent les deux associés. Pour les assurances et la location d’un fonds de commerce, le problème est semblable.
De son côté, Benjamin Zannin, cofondateur de Botanik Store, reconnaît avoir eu plus de chance. "J’étais déjà dans cette banque avant de monter cette entreprise et j’avais déjà développé des entreprises dans ce secteur avec des associés qui avaient un bon réseau donc le problème ne s’est pas posé mais c’est compliqué de manière générale" , reconnaît-il. Au sein de la startup Marie Jeanne CBD, constat quasi-identique : "Nous avons dû montrer que tout était en règle avec des certifications attestant un taux de THC nul" . Si l’ouverture d’un compte a été accepté, leur banque a refusé d’assurer le paiement en ligne sur leur site. Les régulateurs qui approuvent les ouvertures de terminaux de paiement électroniques ne font aucune distinction entre des produits légaux et des produits illégaux dès lors que l'image des produits est liée de près ou de loin à une activité dite "illicite" . Résultat, la société a dû nouer un partenariat avec une banque européenne qui permet l’encaissement en ligne.
La pédagogie avant le pitch
Si les banques se montrent déjà frileuses pour ouvrir un compte, inutile de leur demander des prêts. Les entrepreneurs et entrepreneuses interrogé·e·s ont tous et toutes monté leur entreprise sur leurs fonds propres. Mindology a également mené une campagne de crowdfunding sur Ulule qui a bien marché - avec 2431 préventes sur les 100 escomptées. "C’est difficile de réaliser un prêt, même le financement par Bpifrance est compliqué , souligne Agathe Lecoq. Notre campagne Ulule nous a permis de lever nos premiers fonds, c’est un moyen idéal pour se lancer. C’est aussi un bon outil pour démocratiser les connaissances autour du CBD et expliquer notre démarche" .
Le véritable problème réside surtout dans la méconnaissance du CBD par les tiers "Lorsque je parle avec un éventuel partenaire, je ne passe pas 10 minutes à pitcher mais à expliquer la différence avec le cannabis" , reconnaît Benjamin Zannin. Cette pédagogie reste complexe à effectuer car toute la publicité autour des bénéfices du CBD est interdite, que ce soit sur les réseaux sociaux ou même en magasin et ce, malgré plusieurs études déjà réalisées à l’étranger.
Si un travail important sur la connaissance autour de cette molécule et des produits reste à faire, ce n’est sans doute pas le seul point qui refroidit les investisseurs. Les différends législatifs entre la France et l’Union européenne y sont sans doute pour beaucoup.
Le chanvre français sous le joug de la législation
Suite à l’arrêt de la CJUE légalisant le CBD, la France a mis sur la table un projet de loi autorisant les huiles et les cosmétiques mais interdisant les fleurs et la résine. "La filière du chanvre est importante en France [l’Hexagone posséderait la plus grande superficie cultivée en Europe, ndlr] mais les agriculteurs ne peuvent pas en retirer du CBD. Nous aimerions pourtant acheter du CBD français, local mais nous sommes obligées de nous approvisionner ailleurs" , regrettent les fondatrices de Mindology.
Chez Marie Jeanne CBD, on ne vend pas non plus de fleurs de CBD, en raison justement de cette législation trop floue. "On a voulu se lancer après la décision de la CJUE mais les choses semblaient encore trop incertaines. C’est frustrant de voir que des voisins se lancent sur ce marché qui explose" . Mais le risque à prendre serait trop important si l’Union européenne donnait raison à la France. Dès le début de leur aventure, les fondateurs ont d'ailleurs choisi de se faire accompagner par des avocats avec lesquels ils échangent avant chaque sortie de produit afin d'éviter tout problème. Refroidies par ce flou juridique, les entreprises le sont aussi par des interventions policières qui seraient devenues régulières dans des magasins affichant la metnion CBD en vitrine.
Globalement, tous les acteurs attendent une législation claire et gravée dans le marbre pour pouvoir avancer plus sereinement. "On perd de la valeur en France" en bridant certaines pratiques alors que le marché est florissant, estiment les deux associés de Mindology, persuadés, en prêchant pour leur paroisse, que la France passe à côté d'un vivier d'emplois potentiel pour soutenir le développement cette nouvelle économie.