Elle fait l’objet d’incessantes railleries. La fonction de chief happiness officer (CHO), née dans la Silicon Valley au milieu des années 2000, est souvent décrite par les Français comme futile. Flou artistique sur les missions qui lui reviennent et difficultés à percevoir les effets sur le bien-être au travail : les salariés, qui sont censés tirer profit d’un tel rôle dans leur entreprise, semblent sceptiques... ou, tout du moins, divisés sur la question. "Certains pensaient que j’étais payée à ne rien faire, mis à part acheter des canapés, explique ainsi à Maddyness Florelle Moire, qui a été pendant près de trois ans la chief happiness officer de l’agence de marketing digital nantaise Intuiti avant de basculer sur un poste classique en ressources humaines dans la même entreprise. D’autres se sont bien sentis valorisés, du fait que je remette l’humain au centre." La professionnelle ne rougit pas de son bilan.
"Favoriser le bien-être, sans bullshit"
Florelle Moire pense avoir été l’une des premières personnes à porter le titre de CHO en France. "La direction a découvert ce poste lors d’une visite de la Silicon Valley, raconte la responsable RH, dont la société dispose de 45 salariés avec une moyenne d’âge de 34 ans. J’étais office manager en 2014, quand on m’a proposé cette évolution. Cela visait à favoriser le bien-être au sein de l’agence et l’objectif était, bien sûr, de ne pas tomber dans le bullshit." La professionnelle, qui assure avoir "le contact facile" , s’évertue alors à mettre en place des séminaires d’équipe, masterclass d’inspiration, séances de sport ou encore à veiller à ce que la nourriture proposée soit plus saine. "Le distributeur de canettes a vite été remplacé par des fruits frais, illustre-t-elle. Mais j’étais aussi chargée d’intégrer les nouveaux collaborateurs et, du moins partiellement, de développer la marque employeur."
L’idée est, entre autres, de faire en sorte que tout nouvel arrivant se sente à son aise pour optimiser son efficacité au travail. "Il s’agit d’être opérationnel le plus rapidement possible, relève Marie-Cécile Huet, directrice marketing du cabinet de recrutement Nicholson Search & Selection, spécialiste de l’accompagnement de startups. L'humanisation du travail favorise la compétitivité de l'entreprise par rapport aux concurrents." Florelle Moire abonde :
"Gérer de l’humain, ça n’est pas qu’organiser des événements pour se prendre des caisses entre collègues. Le pansement ne suffit pas. Il faut permettre aux collaborateurs de grandir."
La responsable RH estime que si "chacun peut être CHO à sa façon, cela fonctionne mieux quand la volonté est insufflée par la direction" via la création d’un poste dédié. Si Intuiti lui a depuis proposé un poste plus conventionnel, Florelle Moire conserve les attributions d’un CHO. Ce qui la réjouit : elle lie cette fonction à une connaissance fine de l’entreprise.
Le Covid-19 suscitera-t-il un nouvel intérêt ?
La Nantaise affirme ne pas savoir si elle "saurait bien faire ce travail dans une autre boîte". Elle milite depuis plusieurs années pour que les sociétés fassent émerger de leurs propres rangs leur CHO :
"Cela doit être quelqu’un qui connaît son environnement. Pas la peine de chercher en externe : vous l’avez chez vous, vous ne l’avez juste pas encore identifié."
Un des moyens pour crédibiliser la fonction serait, par ailleurs, de clarifier quelles fonctions lui sont associées. "La fiche de poste varie d'une startup à l'autre. Le degré de maturité d'une entreprise et ses enjeux peut nécessiter une implication différente des CHO, qui pourront évoluer davantage vers un rôle de coordinateur que de responsable du bien-être" , estime Marie-Cécile Huet. Florelle Moire dresse le constat que "les CHO sont passés pour des clowns du fait de la promotion abusive que certaines entreprises ont fait de cette fonction".
Selon les deux spécialistes, ces professionnels ont "fait face à une importante charge de travail ces derniers mois" dans le cadre de la crise du Covid-19. "Cela a révélé, dans un certain nombre d’entreprises, des dysfonctionnements par rapport à la manière dont sont gérés les besoins des salariés" , note Florelle Moire, qui assure pour sa part "avoir mis les clients de côté le temps de répondre aux inquiétudes des salariés". La généralisation du télétravail a notamment modifié les rapports entre collègues, ce qui a encouragé les CHO à innover. "Pour accueillir les nouvelles recrues pendant cette période, ils ont été sollicités comme jamais et le lien tissé entre collègues grâce à eux a été capital" , note Marie-Cécile Huet, qui discute à intervalles réguliers avec les CHO des scaleups Dataiku et Pennylane.
L’experte en recrutement observe, toutefois, un tarissement du nombre d’offres d’emploi ces derniers mois. À l’instar de ce qu’a vécu Florelle Moire, les bascules vers des postes RH traditionnels semblent se faire plus nombreuses. "La fonction de CHO a été importée en France depuis les États-Unis avec deux types de réactions de la part des entreprises : une catégorie l’a intégrée avec le désir de paraître comme une entreprise agréable pour attirer les talents, une autre catégorie était empreinte d'une réelle philosophie" , remarque Marie-Cécile Huet, selon qui "on peut imaginer que la première catégorie revienne sur des fonctions RH plus classiques, quand la seconde a en tête une stratégie pour faire perdurer la fonction". C’est donc plus une redéfinition qu’une disparition progressive qui se dessine, un peu moins d’une décennie après les premières créations de postes de CHO en France.
Vous avez travaillé dans une entreprise dotée d’un chief happiness officer ? N’hésitez pas à nous raconter la manière dont vous avez perçu cette fonction : [email protected]
Cet article fait partie d'un dossier consacré à la santé mentale. Détresse psychologique, chief happiness officer et solutions innovantes : Maddyness dresse l'état des lieux d'un sujet qui a longtemps été tabou au sein des entreprises, mais qui a resurgi avec la pandémie, les confinements et le télétravail obligatoire.
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