Après les burgers de boeuf et les nuggets de poulet produits en laboratoire, le foie gras de culture ? En plein coeur de Paris, une startup s'active à développer un prototype cellulaire de ce mets gastronomique. Avec l'espoir d'attirer de nouveaux consommateurs. Hébergée dans un centre de recherche universitaire, la jeune pousse, baptisée Gourmey, travaille depuis deux ans à mettre au point ce produit en cultivant des cellules de canard en laboratoire. À l'occasion d'une levée de fonds de 10 millions de dollars, elle dévoile ce premier projet français de viande cellulaire. " Nous voulons montrer que la viande de culture ne se limite pas au burger mais que l'on peut faire aussi des produits gastronomiques ", explique à l'AFP Nicolas Morin-Forest, l'un des trois jeunes fondateurs de Gourmey. De plus " il y a un besoin très fort pour un produit alternatif au foie gras conventionnel, produit controversé qui va devoir se réinventer ".
Depuis plusieurs années, les conditions d'élevage des canards et des oies, notamment leur gavage nécessaire pour obtenir du foie gras, font l'objet de polémiques. La vente de ce produit est désormais bannie dans certains endroits du monde comme en Californie et le sera à partir de 2022 à New York.
Gourmey se verrait bien proposer aux restaurants concernés par ces interdictions une nouvelle option : le foie gras cellulaire. Après un parcours entre business et ONG, Nicolas Morin-Forest, 32 ans, décide de faire équipe avec un biologiste cellulaire, Antoine Davydoff, et un doctorant en biologie moléculaire, Victor Sayous, pour se lancer dans la volaille de culture en 2019. " Avec plus de 9,5 milliards d'être humains à l'horizon 2050, il va falloir produire beaucoup plus de viande. Les modèles conventionnels, très exigeants en ressources, ne suffiront pas. Il faudra faire feu de tout bois et mettre en place des méthodes de production plus frugales ", déclare Nicolas Morin-Forest.
Travailler avec des chefs pour relever le défi du goût
Mais quelle est la recette de ce foie gras de labo ? Commencer par prélever des cellules dans un oeuf de cane fertilisé. Les installer dans une cuve en aluminium (le "cultivateur") où elles baignent dans un liquide nutritif maintenu à environ 37 degrés. Les cellules se divisent alors et se multiplient. Les spécialiser ensuite en cellules de foie en ajustant leur nourriture. Et les récolter au bout de deux à trois semaines. Pour peaufiner la texture, ajouter de la matière grasse végétale.
Reste le défi du goût. " Cela a nécessité plus de 600 essais. Plusieurs fois par semaine, nous goûtons des formules différentes. Nous sommes arrivés à une recette assez satisfaisante même si elle n'est pas encore parfaite ", déclare Nicolas Morin-Forest. L'équipe travaille aussi avec des chefs. " Sur le plan du goût et de la texture, nous avons fait 90% du chemin ", estime Victor Sayous, originaire du Sud-Ouest. " À Noël dernier, j'ai servi à ma famille des toasts Gourmey avec des toasts de foie gras conventionnel sans les prévenir. Certains ont été bluffés et n'ont pas perçu la différence. "
Des difficultés réglementaires et culturelles en Europe
" Désormais, notre défi principal c'est l'industrialisation à grande échelle de notre production et la réduction des coûts ", relève Antoine Davydoff. Après le foie gras, le trio veut aussi développer la viande cellulaire de poulet, de dinde, de canard. Grâce à sa levée de fonds, Gourmey va installer dès cette année un atelier de production de 1000 m2 en plein Paris pour produire son foie gras de culture. Il va aussi étoffer son équipe, qui compte actuellement une vingtaine de personnes.
Autre point crucial : obtenir des autorités sanitaires l'autorisation de commercialiser ce produit. Jusqu'à présent seule Singapour a donné son feu vert pour des nuggets de poulet produits en laboratoire par une société américaine. Gourmey va se tourner en priorité vers des pays où il y a " à la fois un besoin évident et un environnement réglementaire plus avancé ". Donc " dans un premier temps vers les États-Unis et l'Asie ", souligne Nicolas Morin-Forest. Dans l'UE, c'est l'Autorité européenne de sécurité des aliments qui étudiera les dossiers de viande cellulaire. " Comptez sur moi pour qu'en France la viande reste naturelle et jamais artificielle ", a d'ores et déjà tweeté le ministre français de l'Agriculture Julien Denormandie en décembre 2020.
Maddyness avec AFP