Republication du 16 juillet 2021
80% des Français et Françaises estiment que la discrimination fondée sur la couleur de peau, l’origine ethnique ou la religion est répandue, selon les chiffres de l’Eurobaromètre du Parlement européen. L’AmCham (American Chamber of Commerce in France), institution de plus de 130 ans qui agit pour l’attractivité de la France auprès des investisseurs américains s’est emparé de ce sujet, qu’elle identifie comme clé dans nos sociétés contemporaines.
"Depuis janvier 2020, nous travaillons sur les questions d’inclusion en entreprise, par le prisme de la performance, mais aussi parce que nous sommes convaincus que c’est un impératif de justice sociale, précise Louise Moulié, Responsable des Affaires Publiques, de la RSE et de la Communication dans cette organisation, et co-rédactrice des recommandations publiées en faveur de la diversité. Le drame de la mort de Georges Floyd et le mouvement Black Lives Matter représentent un momentum de réflexion au sein des entreprises, qui ne doivent pas rater le train de l’inclusion" .
L’AmCham déplore que, sous couvert d’une vision "universaliste'" d’une "exception française" , la France empêche d’avancer sur ces questions puisque le cadre légal interdit de quantifier et mesurer la diversité ethnique. Pour autant, l’institution propose à travers six recommandations s'adressant aux pouvoirs publics et aux entreprises de contourner ces barrières pour progresser en France de manière concrète sur l’inclusion et la diversité ethnique et sociale.
Recommandations pour les pouvoirs publics
Lever les tabous de la mesure de la diversité ethnique et donner aux entreprises volontaires les moyens de s’emparer de l’index diversité
On le dit, on le répète : les statistiques ethniques sont interdites en France, contrairement aux Etats-Unis ou même au Royaume-Uni. Mais est-ce à dire qu’il existe une interdiction formelle de mesurer la diversité ethnique en entreprise ? Non, répond l’AmCham. "Tant que les entreprises protègent les données de leurs salariés et qu’elles utilisent des méthodes légales -comme la récolte des informations sur la base du volontariat, les études patronymiques, de nationalité…-, elles peuvent mesurer la diversité en leur sein !, insiste Louise Moulié. Il existe un guide de la Cnil et du Défenseur des droits, publié en 2012, qui permet d’orienter les entreprises de manière à avancer sur ce sujet sans aller à l’encontre du cadre légal. Neuf ans plus tard, malheureusement, la majorité des RH n’en ont pas connaissance…" .
Dans ce cadre, l’AmCham recommande aux pouvoirs publics de permettre aux entreprises de vraiment se saisir de l’index diversité. Cet outil a été annoncé en janvier 2021 par la ministre Elisabeth Moreno : "L’idée est de créer un outil qui prendra une photographie de la diversité d’une organisation à un instant T. Il aidera les dirigeants et dirigeantes, et les directions des RH à engager ensuite des mesures correctives qui soient au final un meilleur reflet de notre société" . Il sera déployé sur volontariat cet automne.
Pour donner de l’ampleur à cette initiative, la Chambre de Commerce suggère aux pouvoirs publics de "lancer une campagne de communication massive pour informer les entreprises qu’avec cet index, il est possible de mesurer cette diversité ethnique, et que cela ne comporte pas de risque pour elles" , poursuit la co-rédactrice du rapport. Elle rappelle aussi que le meilleur moyen de le généraliser serait d’appliquer cet index au sein des administrations publiques elles-mêmes, "pour donner l’exemple" .
Enfin, l’AmCham recommande de proposer un référentiel aux entreprises afin qu'une fois leur structure auditée sur la question de la diversité ethnique, elles puissent s’appuyer sur une base pour savoir quels objectifs se donner en la matière. "Il existe des ressources sur lesquelles se reposer, notamment les données de l’Insee, dans son enquête TeO (Trajectoires et Origines, ndlr), qui s’attache à estimer la population de France métropolitaine issue de l’immigration et des territoires d’Outre-Mer" .
Créer des ponts entre les QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville) et les recruteurs grâce à la plateforme '1 jeune, 1 solution'
"En France, l’universalisme républicain empêche la mise en place de politiques publiques ciblant les minorités ethniques en particulier. La politique des QPV agit néanmoins comme un proxy pour traiter ces problématiques du fait de l’intersectionnalité des discriminations liées à l’origine sociale et ethnique en France" , peut-on lire dans le rapport de l’AmCham. Si les entreprises ciblent ces quartiers pour diversifier l’origine socio-économique de leurs talents, les démarches sont souvent longues et coûteuses pour elles. Dans ce contexte, l’institution recommande aux pouvoirs publics de collaborer d’avantage avec les associations, afin de faciliter la mise en relation entre recruteurs et talents. "Nous sommes convaincus de l’efficacité de l’initiative 1jeune, 1solution portée par le gouvernement. Nous suggérons simplement d’y ajouter une 'boussole des associations' , qui proposerait à tous les visiteurs de retrouver une description exhaustive du tissu associatif de l’emploi, pour créer un vrai trait d’union entre talents et employeurs" , détaille Louise Moulié.
Faire de l’enseignement supérieur un acteur de la diversité sociale des futures générations de travailleurs
Souvent présenté comme un potentiel ascenseur social, l’enseignement supérieur peine encore à jouer ce rôle : selon les chiffres de l’Éducation nationale (2018), seuls 12% des étudiants sont des enfants d’ouvriers, qui représente pourtant un quart de la population active. Sur ce point, L’AmCham recommande une réforme de ce secteur pour plus de diversité socio-économique. "Nous recommandons de renforcer les quotas de boursiers dans l’enseignement supérieur, et de favoriser l’alternance, qui représente un véritable levier de diversité sociale en entreprise mais reste encore assez dévalorisé aujourd’hui" , rapporte la responsable de L’AmCham.
Recommandations pour les entreprises
Engageons la discussion : réseaux internes d’employés et formations ouverts à toutes et tous
"Comme les réseaux de femmes en entreprises fonctionnent déjà, nous pensons que le développement de réseaux internes d’employés qui regroupent des personnes partageant une identité commune et des allié·e·s, en mixité, est un véritable levier d’action, qui permet d’engager le dialogue en entreprise" , continue Louise Moulié. Certaines entreprises, comme Johnson & Johnson qui comporte un réseau 'Afrique du Nord et Moyen-Orient' , agissent pour parler de ces discriminations, libérer la parole et ouvrir les discussions en interne.
L’AmCham recommande aussi d’accompagner ces démarches de formations à la non-discrimination à l’ensemble du personnel des entreprises, mais avant tout aux managers, afin d’agir sur les questions de l’embauche, mais aussi pour la gestion des collaborateurs et collaboratrices en poste ensuite.
Changeons nos habitudes : nouvelles stratégies de sourcing et collaboration avec les acteurs de terrain
Un facteur clé de l’action pour favoriser la diversité ethnique et sociale repose sur la question du recrutement. "Pour accompagner les entreprises dans le changement de leurs stratégies de sourcing et la promotion de nouveaux process de recrutement, nous encourageons la création d’une trousse à outils qui centraliserait une liste d’associations pouvant accompagner les entreprises pour améliorer leur diversité, comme c’est le cas de Mozaïk RH, Reveal ou Les Déterminés, mais aussi une série de bonnes pratiques d’employeurs pour inspirer les autres" , poursuit Louise Moulié. Une meilleure collaboration avec les associations permettrait, selon l’AmCham, de promouvoir des techniques innovantes, comme les campagnes de testing en interne mais aussi le CV vidéo ou anonyme... Autant de moyens de choisir des candidat·e·s pour leurs capacités, leur motivation, et non pas selon les biais des recruteurs.
Responsabilisons le top management pour insuffler une dynamique inclusive et allouer les ressources nécessaires
Des salariés investis pour la diversité, c’est bien, mais ça ne suffit pas sans l’aide du top management en entreprise. C’est sur ce dernier point que s’attarde l’AmCham, persuadée de l’importance de la direction pour engager une dynamique inclusive en entreprise. "Il faut que la direction générale soit à l’impulsion de ces démarches pour fixer des objectifs, des KPI’s, indexer la rémunération des managers et encourager d'autres initiatives qui ont besoin du plus haut niveau de l’entreprise pour être concrétisées, affirme Louise Moulié. C’est un enjeu business et compétitif : le sentiment d’inclusion permet la rétention des talents et constitue un véritable vecteur de performance" .