Cet article est republié à partir de The Conversation France
L’introduction du label de " société à mission " avec la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (ou loi Pacte) de 2019, vise à inciter les entreprises à s’engager davantage dans des initiatives sociales et environnementales de façon transparente et suivie. C’est aller au-delà de la nécessaire prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux posée par l’article 1833 du Code civil révisé par la même loi. La décision du gouvernement de proposer cette loi devait être une réponse aux attentes et aux pressions des citoyens, des organisations non gouvernementales (ONG) et des partis politiques vers plus de responsabilités sociales et environnementales des entreprises.
Bien qu’en phase de croissance, le label société à mission reste relativement peu diffusé. La loi Pacte demeure en effet relativement récente. Au 1er juillet 2021, l’Observatoire des sociétés à mission recensait 202 entreprises ayant adopté ce statut. Fin 2020, elles étaient 88, parmi lesquelles les deux tiers comptaient moins de 50 salariés. Cela concernait ainsi surtout des entreprises de petite taille. 79 % relevaient des activités de service et 11 % de l’Économie sociale et solidaire.
Pour le moment, les sociétés cotées en bourse semblent faire montre d’un faible intérêt pour ce label. Une des pionnières à avoir opté pour cette qualité, le groupe agroalimentaire Danone, a rencontré quelques difficultés. Son PDG, Emmanuel Faber, a été évincé de la direction en mars 2021, n’ayant pas réussi à convaincre les actionnaires que la perte de valeur économique encourue par l’entreprise au cours de son mandat était compensée par ses performances sociétales.
Nos travaux et notre " Impact Paper " publié par ESCP Business School, cherche à comprendre quels sont les avantages et les limites de ce nouveau label pour les entreprises et d’identifier des propositions pour améliorer son efficacité.
Objectifs hétérogènes
Le principal défi au moment d’adopter le label de " société à mission " provient du fait que les dépenses pour poursuivre des objectifs de RSE pourraient réduire les profits de l’entreprise et mettre en péril sa soutenabilité.
Toutefois, en faisant des champs social et environnemental un terrain d’innovations et en créant ainsi des avantages compétitifs, de nombreuses entreprises réussissent à réaliser en même temps des profits pour l’entreprise et de la valeur sociétale.
Outre le canal de l’innovation, peut-on attendre quelconque incitation à l’adoption du label provenant des consommateurs ? Certes, ceux-ci tiennent de plus en plus compte de valeurs éthiques quand ils font leurs courses ou leur shopping. Ils semblent néanmoins encore une majorité à arbitrer en fonction de la défense de leur pouvoir d’achat et de leurs préoccupations personnelles à court terme, plutôt que des valeurs sociétales et de la défense de l’environnement à long terme.
D’ailleurs, si en règle générale l’obtention d’un label par une entreprise apporte la garantie aux consommateurs que l’offre proposée dispose bien de certaines qualités, le processus d’obtention de la qualité de société à mission n’éclaire, lui, pas vraiment sur les conditions de fond nécessaires pour valider la déclaration des entreprises. L’hétérogénéité des objectifs poursuivis par les sociétés à mission ne permet pas d’identifier clairement ce qui est du ressort de la RSE et ce qui ne l’est pas.
Il n’est ainsi pas garanti que la mission soit plus que l’habillage communicationnel d’une intention stratégique dépourvue de volonté réelle de création de valeur sociétale. Cela limite par là même la légitimité et l’avantage que les entreprises peuvent tirer de l’adoption de la qualité de société à mission.
Même quand les entreprises peuvent compter sur une demande croissante des consommateurs, elles rencontrent parfois des limites à la satisfaire en raison de leurs contraintes technologiques et organisationnelles. Parfois, l’intégration du développement durable dans les anciens modèles peut être fortement déstabilisante pour les entreprises et elles doivent investir de façon plus proactive dans les nouvelles initiatives à valeur partagée.
Face à ce type de blocages, devenir société à mission ne peut avoir qu’une influence modeste. C’est pourquoi l’adoption du label s’avère plus facilement envisageable pour les PME et les start-up plutôt que pour les grandes entreprises pour lesquelles se posent aussi des problèmes de gouvernance, comme l’a montré le cas Danone.
Une gouvernance peu remaniée
L’actualité récente indique que les initiatives RSE des entreprises, comme leur capacité d’innovation et de création de valeur, peuvent rencontrer des limites à cause de leurs actionnaires. Ceux-ci exigeraient des dividendes très élevés, aux dépens d’autres parties prenantes – dirigeants ou salariés – voire des investissements en R&D.
Selon le rapport Notat-Senard qui a servi de base à la loi Pacte, pareils cas peuvent se présenter en France. Pour les éviter, les auteurs proposaient de modifier la gouvernance de l’entreprise en faveur des salariés. Les réformes de la gouvernance prévues par la loi paraissent cependant très modestes et non susceptibles de modifier significativement les relations de pouvoir dans les entreprises.
Les salariés et leurs représentants devraient être associés à la prise de décisions et le management être capable de les amener à partager la mission et à renforcer ainsi leur adhésion. Or, selon le baromètre 2019 de la raison d’être, plus des deux tiers des salariés voyaient dans la désignation du sens que les entreprises donnent à leurs activités " une opération de communication " et pour plus des trois quarts, c’est surtout un sujet important pour les clients.
Il y a là des pistes d’amélioration. Les critères d’obtention du label, qui pourrait par ailleurs être confié à un organisme autonome, semblent également à revoir. Notons enfin que l’intervention directe de l’État reste incontournable, notamment en ce qui concerne la défense de l’environnement, pour les entreprises dont le modèle actuel rend difficile le passage au label de société à mission. Des incitations financières finalisées et une taxe carbone à un niveau adéquat restent les principales mesures qui font l’unanimité parmi les experts.
Enrico Colla, Professeur émérite, ESCP Business School; Catherine Chastenet de Géry, Enseignant-chercheur en gestion, ESCP Business School et Laurence-Claire Lemmet, Professeur associé en droit, ESCP Business School