Republication du 13 juillet 2021
Le premier succès français dans la lutte contre le Covid-19 pourrait bientôt lui revenir. La BioTech nantaise Xenothera planche sur un traitement – visant à soigner la maladie et non pas à prévenir sa survenue – à même de combattre le virus du Sars-CoV-2 sur plusieurs fronts à la fois. L’État, qui a réservé 30 000 doses, peut espérer les recevoir d’ici à la fin 2021 dans le scénario le plus optimiste. Un calendrier qui inscrirait la startup parmi les pionniers sur ce créneau et lui permettrait de prolonger la bonne lancée des BioTechs à l’échelle mondiale depuis le début de la crise sanitaire, après les réussites de l’Allemand BioNTech et l’Américain Moderna en matière de vaccins. Pour Maddyness, la présidente et fondatrice de Xenothera, Odile Duvaux, détaille comment l’entreprise a réussi ce tour de force et se positionne dans le débat relatif au financement de la recherche française.
Xenothera fait partie des espoirs français dans le cadre de la pandémie de Covid-19. Pouvez-vous revenir sur la façon dont s’est construite l’entreprise ?
Odile Duvaux : Xenothera est née dans l’environnement particulier de la transplantation. Nantes [la ville où est basée la startup, ndlr] a, pendant longtemps, été le premier centre européen de transplantation rénale. La région a, de ce fait, généré un très grand savoir-faire en immunologie pour répondre aux problèmes majeurs : la pénurie d’organes et le rejet de greffons. Il existe une grosse unité de recherche de l’Inserm [Institut national de la santé et de la recherche médicale, ndlr], composée de 200 chercheurs. Toute personne recevant une greffe doit être immunosupprimée à vie, puisque la compatibilité à 100 % n’existe pas. Pour enfin répondre à la pénurie de greffons, les chercheurs essaient depuis les années 80 de trouver une solution pour utiliser les organes d’origine animale.
C’est ce qu’on appelle la xénotransplantation. La spécialité a débouché sur l’identification d’un certain nombre de sucres, qui sont présents chez l’animal... mais pas chez l’Homme. Ce sont les xénoantigènes. Xenothera est née de ce terrain : les anticorps qu’elle produit sont glyco-humanisés, ce qui sous-entend dénués de xénoantigènes. Au départ, l’idée était de créer un produit de transplantation visant à éviter les rejets de greffes. Mais avec les premières preuves de concept, on découvre que nos anticorps ont des propriétés bien plus larges que les seules indications de transplantation. Dès 2015, tout juste un an après la création, on a décidé d’élargir le spectre de nos activités aux virus et bactéries.
Des produits anti-infectieux voient alors le jour, notamment contre Ebola. En réfléchissant bien, on a alors trouvé stratégique de se pencher sur les coronavirus. On a mis en place une collaboration scientifique avec l’Institut Pasteur de Hong Kong, qui avait découvert le virus du Sras. Mis en sommeil en 2016, le partenariat a été réactivé à l’émergence du Covid-19.
Vous avez travaillé sur le Sras. Vous partiez donc avec une base solide.
O. D. : On avait deux choses. D’une part, la capacité à connaître les coronavirus à travers notre collaboration avec l’un des meilleurs laboratoires du monde et la lecture attentive de la littérature scientifique. D’autre part, la maturité technologique qui nous permettait d’aller très vite pour produire des anticorps. Avant l’arrivée du Covid-19, nous avions développé notre produit pour la transplantation qui a été mis en clinique en 2019. De quoi valoriser l’effet plateforme : c’est comme de cette façon que nous avons sorti un premier lot clinique d'anticorona en deux mois. L’ANSM [Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, N.D.L.R.] nous a autorisés à aller directement chez les patients.
Votre candidat médicament, le Xav-19, agit contre le virus sur plusieurs fronts. Quels sont ses mécanismes d’action ainsi que leur efficacité ?
O. D. : Il s’agit d’un anticorps antiviral. Son premier effet est donc de neutraliser le virus : il recouvre ce dernier et l’empêche d’entrer dans les cellules. Il est, et c’est sa spécificité, anti-inflammatoire. En général, un anticorps active l’inflammation en se fixant sur le virus. C’est une réaction physiologique qui, dans le cas précis du Covid-19, génère des effets très dommageables. Ce phénomène est limité avec notre anticorps, qui parvient aussi à détruire le coronavirus lui-même. On a défini la dose à administrer au patient qui doit avoir une concentration sanguine dix fois supérieure à celle qui est nécessaire pour neutraliser le virus à 100 %. Pour la destruction accélérée du virus, c’est la même chose. Si l’on compare avec un anticorps naturel, on atteint également une réduction de l’ordre de 90 % du caractère inflammatoire. Il y a, bien sûr, une différence entre essais in vitro et cliniques.
L’État a précommandé 30 000 doses de votre traitement. Comment cela s’est-il fait ? Quelles capacités de production envisagez-vous à court terme ?
O. D. : Nous avons commencé à produire à la fin 2020 et nous augmentons notre capacité de production. Début 2021, nous nous sommes retrouvés en capacité de produire 30 000 premières doses dans l’année. Ce qui correspond à quelque chose comme trois ou quatre mois de consommation pour les patients français. J’ai rappelé à l’État que l’essai clinique est en cours et qu’on aurait les résultats à la fin de l’été, mais que si nous voulions pouvoir sortir le produit à la fin de l’année, il fallait que j’engage la production au plus tôt. Je trouve légitime de donner la priorité à la France, compte tenu du soutien dont on a pu bénéficier. C’est pour cela que j’ai proposé au gouvernement de nous pré-réserver ces 30 000 doses.
En 2022, nous serons à 200 000 doses. En 2023, nous pourrons en produire 600 000 tous les ans. Ce chiffre permettra de traiter un patient pour 1 000 vaccinés. Quand on traite, on traite les gens malades et seulement eux. Ce qui est différent des vaccins, qui concernent la population générale. Nous n’avons pas aujourd’hui de capacités de production propres. Nos infrastructures sont ainsi situées dans l’usine alésienne du LFB, tandis que la mise en flacon a lieu en Suisse. L’étiquetage est également en France, donc le produit voyage ! En fonction des résultats de l’essai clinique ainsi que de l’évolution de la situation sanitaire, nous pourrions tout à fait réfléchir à nous doter de nos propres capacités de production.
Récemment, vous disiez prévoir de premières livraisons en octobre 2021 dans le meilleur des cas. Qu’en est-il ?
O. D. : Cela dépend de l’autorisation d’accès précoce à notre médicament, qui est délivrée par la Haute Autorité de Santé (HAS). On a commencé à discuter avec elle et on serait agréablement surpris si on l’obtenait dès octobre. La HAS annonce trois mois d’instruction de dossier à partir du moment où les résultats de l’étude clinique seront connus et son autorisation a valeur nationale. En ce qui concerne l’autorisation de mise sur le marché, octroyée par l’Agence européenne des médicaments, cela peut prendre de 12 à 18 mois.
Que retiendrez-vous de cette crise du Covid-19 ? Comment a-t-elle aidé le développement de Xenothera et quels sont vos prochains chantiers ?
O. D. : Ce que je retiens, c’est la capacité de réaction que nous avons acquise. En un an, jour pour jour, nous avons créé un produit et mené un essai clinique de 400 patients. Nous ne construirons pas un business plan qui reposerait uniquement sur le Xav-19, car nous ne pouvons pas compter sur de nombreux malades du Covid-19. Nous continuerons, cela dit, la recherche pour envisager toutes les éventualités quant à l’évolution du Sars-CoV-2. La France n’est pas le seul pays à nous avoir approchés pour bénéficier de ce traitement. En Europe, mais aussi en Amérique du Sud et au Moyen-Orient, l’intérêt est là. Le défi est de trouver les consommables nécessaires à la production, mais également des capacités de mise en flacon : cela devient extrêmement concurrentiel à l’échelle mondiale.
Par ailleurs, notre percée nous encourage à recruter. Nous étions 8 au début de la crise sanitaire. Nous sommes 17 aujourd’hui et devrions être 40 d’ici à la fin 2022. Nous sommes dans l’hypercroissance et d’importants besoins de structuration se font sentir. En développant notre portefeuille de produits, mon objectif sera évidemment de créer une licorne européenne des anticorps… tout en restant une entreprise socialement engagée, dont les technologies profitent aussi à des pays moins ‘bankables’. Nous ne sommes déjà plus une startup. Nous sommes une BioTech, et demain nous deviendrons un laboratoire.
On a beaucoup pointé du doigt le manque de financement de la recherche en France depuis le début de la crise. Qu’est-ce que cela vous inspire ?
O. D. : Il y a divers aspects. La recherche publique et académique disent qu’ils n’ont pas d’argent. Je ne vais pas polémiquer, mais beaucoup d’argent a été distribué par l’Agence nationale de la recherche (ANR) au démarrage de la crise. Et ce, seulement à destination des laboratoires publics alors qu’ils sont dans l’incapacité de sortir un produit rapidement. Leur métier, c’est de comprendre. Si on regarde à l’autre extrême du spectre, il y a les laboratoires pharmaceutiques tels que Sanofi. Eux, sont assez largement dotés du fait de leurs succès commerciaux. Le problème n’est pas le manque d’argent : dans la recherche clinique, le travail et le talent s’accompagnent généralement d’une part de chance. Pfizer et BioNTech ont fait un choix risqué en pariant sur l’ARN pour leur vaccin, et ça a fonctionné. Et pendant ce temps, pas une BioTech française ne recevait un centime.
En avril 2020, j’ai contacté le député de notre circonscription, François de Rugy, pour l’inciter à poser une question orale à l’Assemblée nationale à ce sujet. Il fallait mieux comprendre pourquoi les BioTechs étaient sous-financées, alors qu’elles sont agiles par nature. Elles sont le parent pauvre de l’histoire depuis le début de la crise, puisqu’elles ont peu de solutions possibles de financement. L’État, via Bpifrance, vous donne souvent quelques centaines de milliers d’euros si tant est que vous ayez un projet crédible. Cela dure quatre ans, et il n’y a plus rien ensuite. Reste le financement en equity. Pour notre part, nous avons une histoire correcte avec cinq levées de fonds. Pour autant, c’est très difficile de convaincre l’un des cinq fonds français spécialistes de la BioTech : ils investissent peu et souhaitent souvent gérer le portefeuille de risques. Sauf qu’on ne peut pas déléguer cela dans une BioTech.
J’ai une plateforme composée de cinq produits, dont trois en essai clinique. À moi, en tant qu’entrepreneure, de gérer mes propres risques. Le président de la République dit vouloir attirer davantage de capitaux en France dans le domaine. Il y a de quoi faire : on réunirait 10 fois plus d’argent aux États-Unis à ce stade de développement. La preuve, c’est qu’on vient d’annoncer une levée de fonds de 20 millions d’euros. C’est un montant qu’on aurait levé cinq ans plus tôt outre-Atlantique. On est fortement sous-doté, ce qui oblige à être prévenant. Comme on le dit souvent : en France on a pas d’argent, mais on a des idées.