11 juillet 2021
11 juillet 2021
Temps de lecture : 8 minutes
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Estelle Nze Minko, la handballeuse qui entreprend pour relâcher la pression

Des sportifs de haut niveau se lancent dans l’entrepreneuriat. Leur point commun : faire de leur esprit exigeant, acquis au cours de leur carrière, le moteur de leur nouvelle aventure. Nous consacrons une série de portraits à ces femmes et hommes à part. Au tour d’Estelle Nze Minko, championne du monde de handball et fondatrice de The V Box.
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Mise à jour d'un article du 7 mai 2021

Elle enchaîne les succès. Estelle Nze Minko a déjà décroché en 2017 et 2018 les titres de championne du monde et de championne d’Europe avec l’équipe de France féminine de handball. La sportive, qui fêtera ses 30 ans cet été, est insatiable. Non contente d’atteindre des sommets en matière de performance sportive, la Nantaise d’origine mène aussi une aventure entrepreneuriale... en solo, cette fois. Elle a fondé fin 2019 The V Box, une startup qui met en avant les produits créés par des femmes. Un moyen de concilier une farouche volonté de donner davantage de visibilité aux entrepreneuses et de s’adonner à un projet annexe à sa carrière sportive. "J’ai toujours trouvé le concept de box très cool, raconte-t-elle à Maddyness. L’expérience de découverte est puissante. Cela me permet de jouer avec ma créativité, tout en célébrant les super héroïnes que sont les entrepreneuses."

Une montée en puissance progressive

C’est à 12 ans, en 2003, qu’Estelle Nze Minko tâte du ballon pour la première fois. Elle a grandi en Loire-Atlantique, à quelques encablures de Nantes, où elle rejoint un "petit club local" en multisports. "Un bon plan social" , s’amuse la handballeuse, qui affirme qu’elle n’avait, à l’époque, "aucune idée qu’on pouvait vivre du sport". Issue d’une famille pas particulièrement sportive, elle est pourtant repérée à l’adolescence et intègre les sélections départementale, puis régionale. Les matchs s’enchaînent, jusqu’à lui permettre d’entrer en section sport études à Segré-en-Anjou Bleu, anciennement Segré (Maine-et-Loire), de ses 18 à 20 ans. "Il n’y a qu’une quinzaine de centres de ce type en France, ce qui m’a conféré une plus grande visibilité à l’échelle nationale" , analyse-t-elle, gageant qu’il s’agit de l’étape intermédiaire qui lui a ouvert les portes de l’équipe de France junior féminine. L'actuelle arrière joue alors à l’aile, un poste qui lui vaut, d’après elle, de "ne pas avoir la cote" auprès de ses coéquipières et ses encadrants.

"C’est l’histoire de ma carrière, tranche-t-elle. J’ai toujours dû redoubler d’efforts, car j’étais un peu à la traîne par rapport aux autres." Ce qui ne l’a pas empêché de progresser, étant appelée en 2009 par le Toulouse Féminin Handball qui évolue alors en première division. "Je voulais bouger de Nantes et me confronter à des profils confirmés, puisque toutes les autres joueuses étaient passées par un centre de formation. Ce qui n’était pas mon cas" , relève Estelle Nze Minko, qui est alors entourée de sportives ayant "une dizaine d’années" de plus qu’elle. Débauchée par l’Union sportive Mios-Biganos Handball en 2010, dans le Bassin d'Arcachon, l’athlète entreprend des études de psychomotricité à Bordeaux… avant de se raviser. "J’ai préféré me diriger vers un BTS communication" , indique-t-elle, estimant que "gérer une formation en parallèle du jeu a été difficile". Après une saison au Handball Cercle Nîmes, sa famille lui manque et un retour à ses racines s’impose. Évoluant alors pendant deux saisons au Nantes Atlantique Handball, en première division, elle voit alors son "quotidien changer".

Une entreprise facile à gérer de l’étranger

Estelle Nze Minko suit un bachelor communication et média à Audencia Business School. Elle frappe aussi à la porte de l’équipe de France féminine de handball… et enregistre ses premières sélections. Une affaire qui fonctionne : la sportive remporte la coupe du monde avec les Bleues fin 2017 et a désormais 124 matchs au compteur. Les titres s’enchaînent pour celle qui a décidé de rejoindre la Hongrie, un des pays les plus en vue en matière de hand, en 2016. "J’ai été championne d’Europe avec l’équipe du Siófok KC en 2018, avec peu de temps de jeu, note-t-elle, modeste. Cela a renforcé ma motivation." Sa motivation, justement, n’est pas entamée le moins du monde quand elle termine deuxième aux Jeux olympiques d’été de Rio de Janeiro (Brésil) en 2016 avec l’équipe de France. Il s’agit de l’unique médaille d’or de grandes compétitions internationales qui continue à lui échapper.

Depuis la saison 2019-2020, Estelle Nze Minko joue au Győri ETO KC et vient de resigner pour "deux saisons supplémentaires". "Quand on m’approche, c’est fou : c’est le meilleur club du monde. Bien sûr que j’accepte de me jeter dans le grand bain" , narre-t-elle. Ce défi ne suffit cependant pas à canaliser l’énergie de la sportive, qui ficelle peu à peu son projet entrepreneurial. The V Box voit le jour en décembre 2019, tout d’abord parce que la championne a du temps à revendre. "Quand on est sportif de haut niveau, on a 4 heures d’entraînement par jour. Il faut bien occuper le reste de la journée. Et de préférence, d’une autre manière que de chiller devant Netflix" , plaisante-t-elle. De son propre aveu, Estelle Nze Minko ne tient pas en place. "J’ai besoin de nouveaux challenges, je me nourris de chaque environnement dans lequel je suis amenée à évoluer, relève-t-elle, concédant cela dit avoir rencontré quelques difficultés pour se faire comprendre en Hongrie. Quelque part, je suis en opposition à ceux qui prêchent la stabilité dans le sport. Je crois mon intuition."

Avec sa startup, la championne a cherché un concept "facile à monter, puis à gérer depuis l’étranger". Ce qui l’amène à s’intéresser à l’e-commerce. Estelle Nze Minko sollicite l’aide d’une agence parisienne afin d’élaborer un business plan et de dessiner le cadre juridique. Elle est toutefois déterminée à avancer seule sur le projet. "Je propose des box à thème. Chacune d’entre elles contient des produits liés au bien-être, à la sexualité, l’alimentation, la culture ou la décoration" , décline-t-elle, précisant qu’une des dernières en date s’intitule "Vendredi soir". La handballeuse affirme avoir une bonne surprise en se rendant compte que sourcer des produits n’était pas si complexe qu’elle ne l’imaginait. "Au-delà d’inspirations personnelles, les campagnes de financement participatif sont utiles pour débusquer des nouveautés" , note-t-elle, justifiant son choix de n’inclure que des marques fondées par des femmes par le désir de "briser les stéréotypes" dont font l’objet les entrepreneuses – qui, tient-elle à rappeler, restent confrontées à un plafond de verre en matière de financement.

"Ma startup est une soupape"

Estelle Nze Minko vend 150 box en moyenne à chaque sortie, tous les deux mois et à 34 euros l’unité. "Je ne cherche pas à gagner des millions, ma carrière sportive m’apporte la stabilité de l’emploi. Il s’agit davantage de me créer de la visibilité professionnelle" , assure la jeune entrepreneuse, qui a misé sur le paiement à l’acte plutôt que sur un système d’abonnement. Au fil de leur collaboration, une dirigeante de la région de Sedan a offert à la championne d’héberger ses produits dans son entrepôt. Ce qui réduit les coûts pour cette dernière, dont la société dispose d’un siège social dans son département natal de Loire-Atlantique. La crise du Covid-19 l’a, par ailleurs, conduite à adapter son offre. "Il est désormais possible de commander les produits à l’unité sur mon site, sans commander de box. Ces dernières peuvent également être personnalisées avec les produits restants" , souligne l’athlète, dont l’entreprise dispose ainsi de "trois canaux pour écouler les stocks".

Quand on lui demande si elle prépare, avec The V Box, l’après handball, la réponse ne se fait pas attendre : "Ce n’est pas un projet post-carrière." Pour autant, Estelle Nze Minko reconnaît se prouver qu’elle peut être "bonne et passionnée par autre chose que le sport". "Souvent, on se demande ce qui va pouvoir nous procurer autant d’émotions. C’est aussi compliqué pour certains de faire face à une baisse subite de notoriété en fin de carrière" , admet-elle, estimant avoir "appris davantage en un an d’entrepreneuriat que pendant les études". Elle a "assimilé des notions abstraites" , telles que l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO). "Comme pour le sport, on se rend compte qu’il n’y a que l’expérience de terrain qui paie." Une autre vertu qui rapproche l’entrepreneuriat de la pratique sportive, selon la championne : la gestion de l’échec. "C’est d’autant plus appréciable quand on a, comme moi, une confiance tout à fait variable de soi-même" , glisse-t-elle dans un sourire.

À l’instar du navigateur François Gabart, Estelle Nze Minko perçoit l’entrepreneuriat et le sport comme des vases communicants. "Ma startup est une soupape, affirme-t-elle. Elle m’aide à trouver un équilibre lorsque je suis moins bonne sportivement." Évacuer la pression, la handballeuse en aura bien besoin dans les prochaines semaines. Elle s’apprête à disputer les Jeux olympiques de Tokyo (Japon), qui se tiendront du 23 juillet au 8 août.

Une période durant laquelle elle va prendre un peu de distance avec The V Box, qui prendra du galon à la rentrée dans le but d’accompagner plus concrètement les entrepreneuses en devenir. "J’accompagnerai tous les mois une porteuse de projet, que j’aiderai à atteindre les objectifs de sa campagne de financement participatif" , annonce Estelle Nze Minko qui veut créer "un cercle vertueux".

Retrouvez les précédents articles de cette série :

  1. Alexandre Caizergues, recordman entrepreneur
  2. Sarah Ourahmoune, l'entrepreneuse qui boxe les idées reçues
  3. Le basketteur Axel Toupane, un investisseur influencé par la NBA
  4. Le pilote Olivier Lombard, un entrepreneur engagé dans la course à la voiture à hydrogène
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Légende photo :
Markus Kimmel pour Maddyness