Pourquoi un corporate dans une startup ?
Pour la startup, au-delà de l'apport financier, l'entrée d'un corporate peut-être un gage de crédibilité,
l'assurance de bénéficier d'une expertise sectorielle ou de la force de frappe d'un grand groupe. C'est aussi souvent l'occasion de nouer des partenariats commerciaux. Evidemment, le corporate n'est pas non plus insensible aux charmes de la startup, et celle-ci doit savoir en jouer. La startup peut constituer une véritable cure de jouvence pour le groupe, qui y trouve l'occasion, pour un investissement parfois modique à son échelle, d'insuffler un esprit d'innovation au sein de ses équipes, d'anticiper les tendances de marché et de réaliser une veille technologique.
L'objectif d'un rendement financier n'est pas non plus pour lui déplaire. Enfin, le groupe prend date pour le futur et peut ainsi se positionner comme un candidat potentiel pour l'acquisition de 100% du capital de la startup à la sortie. Mais alors, si la mariée est belle et que l'attraction est réciproque, où est la difficulté ?
Les principaux sujets de crispation
En matière de corporate venture, deux sujets sont propices à l'échauffement des esprits :
- l'accès à l'information
- et la liquidité.
L'accès à l'information
Fort légitimement, le grand groupe veut protéger son investissement et, au même titre que les autres investisseurs, peut notamment souhaiter bénéficier d'une place au board, d'un droit d'approbation préalable sur certaines décisions significatives, d'un droit d'information renforcé. La difficulté réside dans le fait que la startup peut constituer un concurrent potentiel du grand groupe (au moins sur certains segments d'activité). L'existence de possibles conflits d'intérêts (le corporate pourrait ainsi avoir intérêt à bloquer une opération stratégique pour la startup qui viendrait directement concurrencer son activité traditionnelle, ou utiliser des informations confidentielles relatives à la startup pour améliorer ses propres services) impose une certaine prudence.
Les règles de gouvernance de la startup et les droits d'information doivent ainsi être adaptés pour répondre à ce risque. Si l'investisseur corporate est représenté au board, il est préférable, dans la
mesure du possible, qu'il ne détienne pas seul un droit de veto sur les décisions importantes. Un droit de veto partagé entre les représentants de plusieurs investisseurs (c'est-à-dire les décisions importantes requièrent l'approbation préalable de l'un ou l'autre des représentants des investisseurs) est à ce titre préférable. En cas de conflit d'intérêts, le représentant d'un investisseur corporate peut aussi être écarté à titre exceptionnel d'une réunion du board ou voir son droit d'information limité. Le pacte d'associés et/ou le règlement intérieur du board précise en général les modalités de mise en œuvre de ces règles relatives aux conflits d'intérêts.
Liquidité
L'autre sujet de désalignement classique entre un investisseur corporate et les autres associés concerne l'horizon de liquidité. Les objectifs de liquidité du corporate sont en général plus difficile à anticiper par rapport à un fonds de VC classique. Il peut être relativement indifférent à la liquidité de sa participation dans la société (hypothèse par exemple où le partenariat commercial conclu avec la startup prime sur l'intérêt que représente son investissement minoritaire au capital de la startup), voire chercher in fine à racheter l'intégralité du capital de la société.
Si l'objectif du corporate est le rachat à terme de la startup, il peut souhaiter, dès son investissement initial, sécuriser au maximum sa capacité à préempter l'intégralité du capital à la sortie. Ceci peut notamment passer par l'introduction dans le pacte d'associés de droits spécifiques au profit du corporate, tels que:
- option d'achat à terme de l'intégralité du capital;
- droit de préemption (le corporate pouvant alors acquérir les titres de préférence à un tiers acquéreur ayant fait une offre);
- droit de premier offre (toute partie ayant l'intention de vendre ses titres devant alors proposer
préalablement au corporate s'il souhaite les acquérir, le prix éventuellement proposé par le corporate fixant un prix plancher en-deçà duquel le cédant s'interdit de transférer ses titres à un tiers), - ou simple droit d'être informé de tout projet de cession et de faire une offre.
Le corporate peut également souhaiter empêcher certains de ses concurrents d'entrer au capital de la startup et imposer une blacklist interdisant toute cession à certaines personnes nommément désignées. De manière évidente, ces droits sont susceptibles d'affecter la liquidité des autres parties et peuvent donc être difficilement acceptables pour des investisseurs financiers.
Bien connaître son interlocuteur et les attentes de ses associés historiques ou futurs
En pratique, tous les corporate n'ont pas la même approche sur ces questions et en particulier en matière de liquidité. Certains agissent de manière très semblable à des fonds de VC classique (ce qui ne les empêche pas d'avoir pour objectif ultime la potentielle prise de contrôle de la startup), d'autres ont au contraire tendance à vouloir sécuriser au maximum leur montée au capital de la startup.
Afin d'éviter des déconvenues, les fondateurs se doivent de tester les intentions réelles de leurs interlocuteurs et d'interroger au besoin leur réseau sur les pratiques de tel ou tel corporate. Si des fonds d'investissement sont déjà associés de la startup, une discussion préalable avec eux est
indispensable afin d'apprécier leur sensibilité à l'entrée du corporate et aux contraintes que cela peut poser en termes de liquidité. Il convient aussi d'anticiper les attentes des éventuels investisseurs financiers qui pourraient entrer au capital à l'occasion d'une levée de fonds ultérieure.
Pour résumer, pour réussir une levée de fonds auprès d'un corporate, les fondateurs doivent d'abord se demander ce qu'ils attendent d'une telle opération pour leur startup (renforcer un partenariat commercial, se rapprocher d'un groupe en vue d'une cession à terme, lever des fonds auprès d'un nouvel investisseur, etc.), puis s'interroger sur les objectifs du corporate (investissement financier ou stratégique, sécuriser un partenariat commercial, préparer une acquisition à terme, etc.).
Sur cette base, et avisés des principaux enjeux rappelés ci-dessus, il conviendra d'ajuster les curseurs (notamment en matière d'information et de liquidité), afin que le mariage remplisse toutes ses promesses.
Louis Oudot de Dainville, avocat, spécialisé en droit des sociétés et fusions-acquisitions