Après les Gafam, c'est au tour de l'intelligence artificielle d'être dans le viseur de l'Europe. En avril 2021, en effet, la Commission européenne a publié une proposition de règlement visant à mieux encadrer le développement et l'usage de l'intelligence artificielle. Ce projet doit encore être soumis au Parlement mais donne déjà lieu à des oppositions. Ce projet a, par exemple, été très critiqué par Eric Schmidt, l'ancien patron de Google qui a jugé que ce texte était un "désastre" , en s'attaquant à un domaine encore trop récent pour être réglementé. "Je suis plutôt partisan de réglementer" une "application particulière plutôt qu'une technologie" en général, a estimé Yann LeCun, dans un entretien à l'AFP, à l'occasion du sixième anniversaire du laboratoire parisien de recherche en IA de Facebook célébré mercredi 30 juin.
Les bons et les mauvais usages au coeur du problème
Le chercheur, qui est l'un des scientifiques à l'origine des intelligences artificielles modernes, regarde ainsi d'un oeil prudent ce projet de réglementation européenne sur l'intelligence artificielle. Le projet européen "part d'une bonne intention" selon lui et "il faut que les systèmes d'intelligence artificielle soient sécurisés, qu'ils ne mettent pas les personnes en danger, qu'ils respectent la vie privée" , soulignant dans le même temps qu'il "faut se méfier de ne pas ralentir la recherche et la créativité des chercheurs, qui sont un peu le moteur de l'innovation de l'économie. L'Europe prendrait le risque de prendre du retard" avec une réglementation de l'intelligence artificielle trop contraignante.
En matière de reconnaissance faciale par exemple, il faut arriver à faire la part des choses entre les applications qui serviront "de bonnes fins" , et les autres, explique-t-il. "La reconnaissance faciale ou la reconnaissance biométrique se révèlent absolument indispensables pour certains pays qui n'ont pas de moyens très simples de faire de l'authentification de l'identité, indique-t-il. Cela peut permettre à des gens d'avoir accès à un compte bancaire, à des services sociaux" , voire, comme le fait la fondation Bill Gates, d'arriver à identifier des bébés par une photo de leur plante des pieds, pour éviter de les vacciner deux fois. "En revanche, il faut des réglementations très strictes pour protéger la vie privée, éviter qu'on reconnaisse le visage de n'importe qui passe dans un espace public" , ajoute-t-il.
Un apprentissage "auto-supervisé"
Yann LeCun est l'un des invités vedettes de la conférence virtuelle organisée mercredi 30 juin par Facebook pour célébrer les six ans de Fair Paris, son labo parisien de recherche en intelligence artificielle qui regroupe aujourd'hui près de 90 personnes et a publié des travaux reconnus par la communauté scientifique mondiale. Sur un plan pratique, la recherche de Fair Paris a notamment été utilisée par Facebook pour améliorer les outils de reconnaissance de texte et d'images utilisés pour la modération des contenus du réseau social mondial.
Aujourd'hui, le chef de la recherche scientifique du réseau social s'intéresse particulièrement à l'apprentissage "auto-supervisé" , un champ de recherche qui vise à construire des intelligences artificielles capables de s'entraîner beaucoup par elles-même, et d'avoir besoin de moins de données pour apprendre à réaliser une tâche. "Dans un futur soit proche, soit lointain, en fonction des progrès que nous allons faire, cela pourrait nous permettre d'avoir des assistants personnels intelligents qui comprennent à peu près tout ce que l'on dit, qui ne sont pas frustrants dans l'interaction, explique-t-il. Cela pourrait aussi déboucher sur des robots qui ont une espèce d'intelligence un peu autonome : des machines à qui on donnerait un but, sans leur spécifier comment atteindre leur but."