24 juin 2021
24 juin 2021
Temps de lecture : 15 minutes
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Believe : "En entrant en Bourse, on a essuyé les plâtres pour l'écosystème tech"

Believe est à un carrefour de son histoire. Le spécialiste de la distribution numérique de musique et de l'accompagnement d'artistes, fondé en 2005, est entré en Bourse le 10 juin dernier. Son fondateur, Denis Ladegaillerie, et l'un de ses investisseurs historiques, Alain Caffi de Ventech, reviennent sur les enjeux de l'opération pour l'entreprise et la déconvenue vécue lors de son introduction sur Euronext.
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C’est un événement majeur pour la tech française. Believe, le spécialiste de la distribution numérique de musique et de l'accompagnement d'artistes, est entré en Bourse le jeudi 10 juin 2021. Il s’agit d’une première pour une entreprise française du secteur depuis Dassault Systèmes, en 1996. La décision, mûrie pendant plusieurs années par le fondateur du groupe Denis Ladegaillerie, renforce l’espoir du gouvernement et des promoteurs de l'écosystème de voir émerger des mastodontes tricolores dans les prochaines années. Si cette entrée en Bourse de Believe devrait à terme lui permettre de se constituer une capacité d’investissement plus importante dans le but de poursuivre sa croissance, elle ne s’est pas faite sans mal alors que le prix de son action ne s’est pas révélé à la hauteur des attentes.

Pour Maddyness, Denis Ladegaillerie et Alain Caffi, fondateur et general partner de Ventech – qui siège au conseil d’administration de l’expert musical depuis plus de 10 ans – partagent leur ressenti ainsi que les enjeux de l’opération.

Believe est entrée en Bourse le 10 juin 2021. Quels sont les éléments qui vous ont convaincu qu’il s’agissait du bon moment pour réaliser cette opération ?

Denis Ladegaillerie : En 2020, nous avons réalisé 441 millions d’euros de chiffre d’affaires et affiché 36 % de croissance. En amont de notre entrée en Bourse, nous avons indiqué au marché que nous prévoyions une croissance d’environ 20 % en 2021. Un chiffre que nous nous attendons à reproduire chaque année ensuite, en organique. L’objectif de cette opération est de donner à la société le financement dont elle a besoin pour poursuivre l’intégralité de son développement organique et une partie de sa croissance en acquisition. Beaucoup d’acteurs se créent, et nous souhaitions faire 100 millions d’euros d’acquisitions par an.

Alain Caffi : Believe a atteint la taille critique pour se coter en Bourse. On a préparé cette IPO deux ans à l’avance. Le management avait besoin d’être serein pour développer la société et faire de la croissance externe. Les investisseurs en place, dont on fait partie, ont pris du temps pour démontrer un certain nombre de choses : la permanence de la croissance organique, la capacité à acquérir des sociétés complémentaires et à consolider le secteur. La décision a été longuement mûrie et relayée par les investisseurs actuels.

D’autres sociétés françaises, comme Criteo ou Talend, ont privilégié dans le passé le New York Stock Exchange. Pourquoi avez-vous choisi Euronext Paris, de votre côté ?

D. L. : Pour des raisons de cohérence avec l’histoire de Believe et ses développements futurs. Les capacités opérationnelles et technologiques de la société sont basées à Paris. L’Europe, dont l’Allemagne et la France, constitue, par ailleurs, une importante partie de notre activité – environ 40 % de notre chiffre d’affaires total. Le continent sera le deuxième plus gros marché mondial de la musique d’ici à la fin de la décennie, après l’Asie. C’était donc plus intelligent d’être présents sur la zone géographique où l’on a notre plus grande capacité et qui va, qui plus est, devenir un marché incontournable. D’autant plus que nous nous implantons, en parallèle, dans des pays émergents qui offrent des perspectives de croissance beaucoup plus intéressantes que les tendances observées aux États-Unis.

"Je suis certain que la valeur aujourd’hui sur le marché ne reflète pas la valeur intrinsèque de Believe"

A. C. : Tout le monde attend l’épanouissement du marché européen. Nous n’avons pas de Nasdaq. On avait en matière de communication et de visibilité une fenêtre intéressante : il y avait une attente énorme, puisque la dernière introduction en Bourse dans le secteur de la tech en France remonte à plus de 20 ans. L’écosystème de l’innovation est solide et la Bourse constitue le maillon manquant. Le Next 40 était une première manière de montrer qu’il y a un potentiel. Il fallait qu’il y ait un premier de la classe pour aller sur le marché.

Comment avez-vous préparé cette opération ? Avez-vous profité d’un soutien particulier de la part d’Euronext ou vous êtes-vous formé en autodidacte ?

D. L. : Quand on part du principe qu’il n’y a pas eu d’entrée en Bourse dans la tech depuis 20 ans, il faut rafraîchir les manuels de tout le monde. On apprend en parlant, puis en le faisant. La première chose à faire, c’est d’évoquer le sujet avec ceux qui l’ont déjà fait. On a tous fait notre due diligence de notre côté, pour structurer le conseil d’administration et appréhender l’ensemble le contexte réglementaire des sociétés publiques en Europe. Les fonds ne sont pas du tout qu’une source de financement, mais aussi d’intelligence. C’est un regard extérieur, qui voit un tas de modèles sur le marché et qui a une expérience sur la manière dont on fait passer une entreprise à l’échelle. De mon côté, j’ai fait mon propre apprentissage en parlant à un certain nombre de CEO qui m’ont été recommandés. On a confronté nos points de vue et cerné les sujets auxquels il fallait apporter des réponses.

A. C. : Chez Ventech, on avait une expérience du marché et des banques introductrices. Believe est notre 18e IPO ces 20 dernières années, mais la première de cette taille. Une des grandes qualités de manager de Denis est de savoir mobiliser les énergies, aussi bien dans la société qu’au conseil d’administration. Il s’est toujours agi d’un travail collectif.

Vous espériez un prix d’introduction de 19,50 euros par action. Finalement, il a tourné autour de 16,50 euros. Comment avez-vous vécu les premiers instants en Bourse ? A-t-on les yeux constamment rivés sur le cours, à ce moment-là ?

D. L. : J’ai toujours été assez serein. Nous sommes entrés en Bourse pour les bonnes raisons : on représente une opportunité de long terme, on a un modèle meilleur que celui des acteurs traditionnels. On sera capable d’afficher des niveaux de croissance élevés et une rentabilité opérationnelle qui progressera avec le temps. La conviction que j’avais 15 jours avant l’IPO n’a pas changé. Je suis certain que la valeur aujourd’hui sur le marché ne reflète pas la valeur intrinsèque de Believe. Il y a des conditions de marché spécifiques en ce moment. Cela va rapidement rentrer dans l’ordre. Ce qu’il s’est passé le premier jour de trading est simple : un hedge fund a placé un gros ordre de vente dès l’ouverture. Cela a fait chuter le cours et a déclenché le seuil de vente automatique à -5, -10, -15 %.

Les banquiers disent que ces stratégies visant à spéculer à la baisse sur les introductions se font de plus en plus régulières. Malheureusement, cela nous est arrivé. J’aurais préféré voir le cours monter de 5 ou 10 %. Ou même de le voir stable. Mais, encore une fois, 75 % de notre book est constitué d’investisseurs de très long terme et de grande qualité. Ils ont compris notre capacité à créer de la valeur. On a eu un premier jour qui s’est mal passé, qui a créé un momentum. On est sur des niveaux de liquidités qui sont relativement faibles aujourd’hui. On a un certain nombre d’actions qu’on va augmenter. On publiera notre S1 (premier semestre, ndlr) au mois de septembre. Il démontrera qu’on délivre ce qu’on avait promis au marché. Et les choses rentreront naturellement dans l’ordre. Il faut être clair : on a aussi essuyé les plâtres pour l'écosystème, puisque c'était la première introduction d'une entreprise tech depuis des dizaines d'années.

A. C. : La réactivité des marchés est toujours un peu frustrante. Cela n’a rien à voir avec Believe. Le message sera d’autant plus fort une fois que la société aura fait ses preuves. C’est ce qui insufflera de la confiance dans les entreprises technologiques, malgré les phénomènes externes de volatilité de marché.

D. L. : On a pricé en bas de fourchette car notre modèle disruptif impliquait d’expliquer au marché pourquoi on acquiert plus que des majors. L’IPO est la première pierre du travail de développement et n’est pas une fin en soi. On aurait pu se poser la question d’ajourner l’opération du fait des conditions de marché altérées par le Covid. Au vu des opportunités d’acquisition importantes qu’on n’a pas pu saisir en 2020, c’était le moment d’y aller.

En quoi est-ce différent de gérer une société cotée que de gérer une société non cotée ? Pèse-t-on plus les décisions que l’on est amené à prendre ?

D. L. : C’est à 99 % pareil. Quand on a commencé à développer la société, on avait une vision de long terme. En 2005, on voyait déjà 2015 et 2020. Aujourd’hui, on voit à 2030. Évidemment, il y a des étapes intermédiaires. La transformation numérique du marché de la musique est une tendance de fond, qui monte en puissance. L’ensemble des décisions, qu’il s’agisse de croissance organique ou d’acquisitions, ne change pas. On présente au board les opérations qui nous semblent créatrices de valeur, à moyen et long termes. En 2020, on a recruté 400 personnes entre mars et décembre parce qu’on en avait besoin au vu des opportunités qui se présentaient. La manière de raisonner ne va pas changer. Je parle à nos investisseurs cotés de la même façon qu’à nos précédents investisseurs. Les seules contraintes sont réglementaires : les sujets sur lesquels on peut prendre la parole.

A. C. : Je pense qu’il n’y a, d’une manière générale, pas suffisamment d’échanges entre investisseurs pré-IPO et investisseurs cotés. C’est un thème de réflexion. En amont des IPO, il faudrait établir des relations et faire connaître les sociétés issues du venture. J’ai eu un petit regret de ne pas avoir eu davantage de communication. Les assureurs sont, a priori, disposés à accompagner des entreprises technologiques. Nous aurions sans doute pu avoir des relations avec eux en amont, quand il n’y a pas encore d’enjeu. Cela pourrait être intéressant de présenter les sociétés 24 à 36 mois à l’avance, de façon à ce que les futurs investisseurs les voient évoluer et tenir leurs promesses. En venture (capital-risque, ndlr), c’est notre métier d’investir dans les technologies de rupture. Ce n’est pas forcément le quotidien des autres investisseurs. Cela demande de l’éducation, des précisions. Le travail doit être fait.

Believe est née en 2005. L’entreprise a beaucoup grandi au fil des ans, jusqu’à devenir un concurrent sérieux pour les majors de l’industrie musicale. Comment la définiriez-vous aujourd’hui ?

D.L : Believe, c’est un peu plus de 1 500 personnes dans 50 pays. On accompagne 850 000 artistes à différents niveaux de développement. Les nouveaux, à travers TuneCore, mais aussi des artistes établis. Notre savoir-faire réside dans l’accompagnement qu’on leur fournit dans le monde numérique. On considère qu’il y a une expertise spécifique dans ce dernier : on ne développe pas des artistes numériques de la même manière qu’on les développe dans le monde traditionnel. Au fur et à mesure que, segment de marché après segment de marché, les audiences des artistes deviennent plus numériques, on gagne en attractivité auprès de ces derniers.

Au premier trimestre 2021, on a signé davantage de top artistes qui étaient précédemment signés chez des acteurs traditionnels. Par exemple, on a signé Milky Chance en Allemagne. C’était un top artiste signé chez Universal Music Group (UMG). Le groupe s’est rendu compte que 60 % de ses revenus provenaient du numérique en 2020, alors que les ventes de CD constituaient sa première source de revenus jusqu’alors. Le cycle de sorties d’albums n’était plus adapté. Ils cherchaient une meilleure expertise et une meilleure coordination à l’international, ainsi qu’un modèle différent offrant une rémunération plus élevée. La montée en puissance des artistes et labels indépendants sera le thème de la décennie qui s’engage.

Vous avez développé, ces quinze dernières années, vos propres technologies pour optimiser l’accompagnement des artistes. Pouvez-vous en dire plus ?

D. L. : On a quatre piliers technologiques. Le premier est un système de management des contenus, qui nous permet de recevoir les titres et vidéos de la part des artistes afin de les aider à les adapter pour différents services – TikTok, YouTube, etc. Le deuxième est un système de gestion des droits et des ventes, qui nous permet d’optimiser la manière dont on reçoit les lignes de revenus issues de Spotify et autres plateformes. Ces technologies sont assez mûres aujourd’hui.

En parallèle, on a commencé à investir fortement sur deux nouveaux aspects ces 24 derniers mois. Une plateforme visant à recenser les données d’exploitation fournies par les services de streaming, pour savoir quel titre à été écouté où et par qui. Cela permet à nos équipes commerciales d’accompagner les choix marketing des artistes accompagnés.

Enfin, nous développons une technologie d’automatisation de marketing pour faire de l’achat média en temps réel sur les plateformes. L’alliance de ces deux dernières technologies permet de comparer l’efficacité des achats et les retours sur investissement avec les données d’exploitation qu’on reçoit quotidiennement pour bâtir les stratégies numériques les plus adaptées au développement des artistes : c’est ce qui nous permet de leur verser un niveau de rémunération supérieur aux acteurs dits traditionnels.

Comment cultivez-vous cette différence vis-à-vis des majors de l’industrie ?

D. L. : Un acteur traditionnel, c’est une entreprise de talent management qui a construit un modèle pour gérer un petit nombre d’artistes. La structure du marché numérique est très différente. Il ne s’agit plus de partenariats avec les médias classiques ou les distributeurs, tels que Carrefour et la Fnac. Il faut de la technologie pour saisir les opportunités en ligne. L’industrie traditionnelle repose sur le 'Hit & Miss' . Elle investit en capital-risque : je gagne de l’argent sur un artiste, j’en perds sur un autre.

"En janvier 2021 : les cinq premiers artistes du top étaient signés chez nous"

Aujourd’hui, il y a beaucoup d'artistes en voie de développement qui sont amenés à s’établir durablement. Il faut être capable de les accompagner à chacune des étapes. On a mis en place, via TuneCore, un programme de récompenses pour chaque réussite : la création du premier titre, la génération du premier millier de streams, etc. Franchir chaque cap leur offre de nouvelles possibilités, comme le fait de rencontrer un directeur artistique ou marketing. Je vois une validation de ce modèle avec une première en France en janvier 2021 : les cinq premiers artistes du top étaient signés chez nous. L’industrie de la musique ne se limite plus aux certifications de ventes.

Vous avez récemment dévoilé les résultats d’une étude réalisée avec Ekimetrics au sujet de la présence des artistes sur YouTube. Quels en ont été les principaux enseignements ?

D. L. : Notre métier consiste à comprendre quels sont les leviers les plus efficaces pour exposer les artistes et les développer. Il faut comprendre comment, en mettant du contenu en ligne sur les plateformes, on fait pour maximiser l’audience de ces derniers. Cela n’est pas la même chose que d’aller voir TF1 ou France Télévisions pour leur dire 'Voilà, jouez ce clip là' . On est, dans le monde, la seule entreprise du domaine à avoir diligenté une étude économétrique pour déterminer comment ces plateformes propagent les contenus.

On en retire des apprentissages cruciaux : quand mettre un certain type de contenu en ligne, comment et à quelle fréquence. Le résultat clé de l’étude réside dans le fait que, quand on ajuste ces paramètres, on est capable d’augmenter en moyenne les revenus de l’artiste de l’ordre de 150 % . Djadja & Dinaz, qui étaient précédemment signés chez UMG, ont sorti leur dernier album chez nous il y a six mois et on a fait + 60 % par rapport à ce qu’ils faisaient avant. On gère de très gros volumes de données. Il faut savoir les analyser.

Vous disiez que l’IPO a vocation à financer les futurs chantiers de Believe. Quels sont-ils ?

D. L. : Nous avons deux axes : l’organique et les acquisitions. On a beaucoup investi sur la montée en puissance des équipes qui constituent et gèrent notre portefeuille d’artistes. On voit une accélération depuis le début de l’année, avec de plus en plus d’artistes provenant des acteurs traditionnels. On continuera à investir dans les technologies marketing, avec un certain nombre de nouvelles solutions à sortir en 2021. Par ailleurs, nous avons réalisé une seule acquisition en 2020. Nous avions mis en pause d’autres opérations de ce type, car nous n’avions pas les capacités financières. Nous avons ainsi réactivé les discussions, dans l’objectif d’en conclure un certain nombre dès cette année.

Comment gérez-vous le fait d’être devenu une sorte de porte-drapeau pour l’écosystème tech français ?

D. L. : Je vais continuer à dédier 100 % de mon temps à Believe. Mon cerveau fonctionne mieux quand il est concentré sur une seule chose ! L’IPO a très fortement augmenté notre visibilité, ce qui a eu pour effet de multiplier les discussions. Un certain nombre de gens de l’écosystème sont venus vers nous, en vue de prise de participation ou de partenariat. Sur l’accompagnement des dirigeants, bien évidemment, je tâcherai d’être disponible. J’ai rendez-vous avec Octave Klaba d’OVHcloud pour lui raconter comment cela s’est passé. Je rencontrerai également Cédric O, le secrétaire d’État chargé de la Transition numérique et des Communications électroniques, pour lui faire part des sujets qu’on a identifiés lors de cette expérience. Nous contribuerons à l’amélioration de l’écosystème, dans le but que les futures introductions en Bourse puissent se passer de manière beaucoup plus sereine.

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Believe