Cet article est republié à partir de The Conversation France
À partir de ce mercredi 9 juin, le protocole sanitaire au travail évolue. Cesse notamment d’être la règle le télétravail à 100% avec possibilité d’être présent sur site un jour par semaine pour qui en fait la demande. Le protocole national en entreprise stipule désormais que "les employeurs fixent dans le cadre du dialogue social de proximité, un nombre minimal de jours de télétravail par semaine, pour les activités qui le permettent" .
Dans les entreprises qui décideront de réduire ce nombre minimal de jours en télétravail, certains déploreront sans doute la perte d'avantages, en termes d'organisation ou d'économie de temps de transport. Pour d'autres en revanche, en particulier les managers intermédiaires et les jeunes salariés, ce nouveau pas vers un retour au bureau apparaît davantage comme une bonne nouvelle.
Le malaise des managers intermédiaires
Les périodes de confinement ont en effet fait découvrir aux employeurs assez souvent réfractaires au télétravail que leurs collaborateurs étaient efficients et parfois davantage qu’en présentiel. Ainsi, ce témoignage d’une directrice d’organisation que nous avons recueilli fin 2020 :
" On a plutôt très bien fonctionné pendant le (premier) confinent. J’ai été assez agréablement surprise par le fait que tout le monde a joué le jeu ". Et pourtant, elle a maintenu deux journées de télétravail jusqu’aux vacances d’été, pour les supprimer complètement en septembre. Pourquoi ?
"Retour au travail, maintenant ! " , s’est encore exclamée une cheffe de service d’une autre organisation, lors d’un entretien que nous avons mené. De nombreux chercheurs ont relayé ce type de réactions, relevant du soulagement de certains managers. Le management intermédiaire, tout au moins certains managers, s’est senti remis en question dans leur rôle de contrôle d’activité.
Le télétravail total rend la supervision directe impossible et les outils supposés compenser ne donnent pas entièrement satisfaction, sans parler du fait que leur utilisation constitue un signal de défiance très mal ressenti par les salariés. Ce qu’a démontré l’expérience de télétravail pendant le premier confinement, sur les terrains que nous avons observés, c’est que les collaborateurs (agents administratifs dans différentes organisations de l’enseignement supérieur, privées et publiques) savent tout à fait ce qu’ils ont à faire et sont plus autonomes dans leurs tâches qu’on le pense spontanément.
Le rôle de leur manager s’en trouve interrogé. Dans certaines de ces structures, les chefs de service avaient pris acte de cette autonomie, nous la présentant dès le premier entretien, et avant même la crise sanitaire, comme une évidence. Dans d’autres de ces organisations, la découverte du degré d’autonomie des collaborateurs fut une grande surprise pour leurs managers.
Enfin, la directrice des ressources humaines d’une troisième organisation s’était ouvertement inquiétée, devant les autres managers, que les collaborateurs prennent tous les jours de télétravail auxquels ils ont le droit. "Pas dans mon service" , avait-elle prévenu. Aucun argument factuel n’est avancé pour étayer son propos…
Les échanges déjà dématérialisés
Quand on interroge les collaborateurs eux-mêmes sur la façon qu’ils ont d’organiser leurs journées en télétravail et sur leurs interactions avec leur manager, ils répondent presque tous qu’ils ne s’organisent pas différemment qu’en présentiel et que cette organisation ne leur est pas dictée par leur manager, "on sait ce qu’on a à faire" .
Quant aux échanges avec les managers, un interviewé minimise la différence entre travail à distance et sur place :
"Les échanges étaient déjà souvent dématérialisés avant la mise en place du télétravail. Souvent, on ne voit pas la cheffe de la journée. Ou alors, elle passe une tête pour dire bonjour quand elle se trouve devant le bureau" .
Le rôle des managers, dans les structures que nous avons observées, n’est donc pas la supervision directe, le télétravail n’inquiète finalement que ceux qui n’en avaient pas pris conscience. D’autres, peut-être, craignent sans se l’avouer que cette mise en évidence du degré d’autonomie de leurs subordonnés ne finisse par conduire le top management à s’interroger sur le rôle et l’intérêt des managers intermédiaires.
Les jeunes veulent venir au bureau
Ajoutons que le télétravail est loin de faire l’unanimité chez les jeunes entrants sur le marché du travail. Ces derniers ne se révèlent pas aussi enthousiastes envers le télétravail que l’on pourrait le penser. Bien que réputés très à l’aise avec les outils de communication distancielle, les jeunes semblent désireux de travailler en présentiel, au moins en partie.
Cela s’explique par des motivations subjectives, telles que découvrir un monde nouveau, celui de l’entreprise, ou plus objectives, comme le fait de se forger un réseau professionnel. Plus prosaïquement, des considérations matérielles telles que la taille des appartements en ville, pas toujours aussi confortables qu’un bureau, les incitent aussi à se déplacer dans les locaux des entreprises.
Le télétravail à domicile peut en effet être très mal vécu par certains collaborateurs. Nous en voulons pour preuve le succès des espaces de travail partagés. En outre, les syndicalistes avec lesquels nous avons eu l’occasion d’échanger, sans être hostiles à son déploiement, restent très vigilants quant aux modalités de mise en place.
Globalement, le télétravail reste une pratique appréciée. Il permet de profiter d’un meilleur équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle, notamment par l’économie de temps de transport qu’il fait réaliser. Certains mettent en avant une plus grande efficacité liée à des interruptions moins fréquentes. D’autres se félicitent de jouir d’une plus grande autonomie et voient, dans l’accession au télétravail une marque de reconnaissance de la part de leurs employeurs.
Cependant, la crise a également révélé certaines réticences venues des employeurs, des managers, des représentants syndicaux mais aussi des salariés eux-mêmes. Des réticences qui devront sans doute être considérées lors des négociations sur les prochaines évolutions de l'organisation du travail dans les entreprises.
Cet article a été rédigé sous la supervision de Florent Noël, professeur à l’IAE Paris-Sorbonne où il dirige l’Executive Master RH & RSE.
René Bancarel, Doctorant en Sciences de Gestion et du Management, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne