On reproche souvent aux entreprises françaises d’être trop centrées sur l’Hexagone et de penser (trop) tardivement à s'internationaliser. Toute règle possède ses exceptions et Lovebox, comme le réseau social Yubo, en fait partie. L’entreprise grenobloise a développé une box connectée qui permet d’échanger des photos, des dessins, des petits mots et des emojis à distance. Malgré un départ en dents de scie - en raison de la frilosité des investisseurs à miser sur un produit hardware - , l’entreprise a réussi à maintenir le cap et se développer aux États-Unis où elle réalise désormais 80% de son chiffre d’affaires. Jean Grégoire, co-fondateur trentenaire de la startup avec Marie Poulle - qui a quitté la direction des opérations en 2019 - revient sur les six premières années de la startup.
Un pied à Grenoble, un pied à Boston
L’idée de la Lovebox naît - comme cela arrive souvent - de l’expérience d’un des fondateurs, ici, Jean Grégoire. "Je devais partir un an aux États-Unis pour poursuivre mes recherches en post doc au MIT. De son côté, ma compagne restait en France. J'ai décidé de fabriquer un objet pour me connecter émotionnellement avec elle pendant cette période" , relate l’entrepreneur. Un FabLab de la région lui propose alors de présenter son projet lors d’une exposition. Marie Poulle, sa future associée, découvre le concept et pousse Jean Grégoire à le présenter dans le coworking dans lequel elle travaille. "J’ai reçu des retours très positifs lors de ces deux événements. Des entrepreneurs grenoblois présents dans le coworking comme Catherine Colin ont même décidé de mentorer ce projet" , se remémore le co-fondateur.
Marie Poulle et Jean Grégoire décide alors de développer le projet et de monter leur entreprise à distance, entre Grenoble et Boston. Un exercice difficile avec le décalage horaire ? Pas tant que ça. "Finalement, cela nous a arrangés car nous pouvions nous concentrer sur nos jobs respectifs lorsque le décalage horaire nous empêchait de communiquer, et travailler sur ce projet annexe lorsque le timing était bon."
En y repensant, cette expérience aurait même été très bénéfique pour la startup. "Nous avons pu bénéficier de mentors des deux côtés de l’Atlantique, en France et aux États-Unis. Au sein du MIT, il existe une cellule dédiée à l’entrepreneuriat" , révèle Jean Grégoire. Une vraie richesse pour Lovebox puisque les mentors français et américains ne challengent pas les deux entrepreneurs sur les mêmes choses. "Aux États-Unis, ils nous ont vraiment mis à l’épreuve sur le business model."
En parallèle, la jeune pousse sollicite la Cité de l’objet connecté à Angers - rachetée au groupe Eolane par We Network - qui l’accompagne alors dans le prototypage de l’objet et les bêta-tests.
Apprendre les codes du commerce américain
Cette première année de développement est financée par Jean Grégoire - qui réalise un prêt étudiant - et Marie Poulle, qui mettent chacun 30 000 euros, une Bourse FrenchTech de 30 000 euros et des business angels qui investissent 65 000 euros environ. Mais cette somme rondelette ne suffit pas. Pour passer au stade de l’industrialisation, les deux entrepreneurs doivent renforcer leur trésorerie.
"Nos mentors américains nous ont clairement fait comprendre que si nous voulions attaquer le marché américain avec un produit tech, il fallait réaliser cette campagne sur Kickstarter et surtout, bien la préparer" , détaille Jean Grégoire.
Avant d’espérer récolter des fonds sur cette plateforme, il faut investir - autour de 100 000 euros - pour réaliser des vidéos, imaginer une campagne marketing… "Il fallait réussir à prouver que nous avions dépassé le stade du prototypage et démontrer aux investisseurs ce que le produit leur permettait de faire" , précise l'entrepreneur.
Une période noire débute alors pour Marie Poulle et Jean Grégoire. "Le financement a été très difficile. C’était horrible. Pour respecter le timing, nous avons dû prendre davantage d’engagements financiers que nous n’avions d’argent en banque. C’était très tendu. Heureusement, nous avons eu un investisseur de dernière minute, Stéphane Bohbot et pu bénéficier d’un prêt d’amorçage de Bpifrance" . Au final, l’entreprise réussit haut la main sa levée de fonds en récoltant 271 000 euros - dépassant largement les 50 000 euros souhaités au départ.
"Pour nous, tous les indicateurs étaient là : les chiffres de vente étaient bons, les mentors étaient confiants. Nous avons multiplié les rencontres mais mi-juin 2018, rien avait bougé. Les VC trouvaient le concept intéressant mais n’étaient pas prêts à financer le projet."
En parallèle, l’entreprise est acceptée pour participer au programme de The Refiners, un accélérateur installé à San Francisco qui aide les entreprises françaises à se déployer aux États-Unis. "Normalement, l’objectif à la fin des trois mois de programme est de réussir à lever des fonds. Ça n’a pas du tout été le cas, avoue clairement Jean Grégoire, mais nous avons appris des principes très importants sur la vision américaine du commerce. En France, nous n’avons pas du tout la même vision du marketing, du business model, du pricing des produits et les relations ne sont pas du tout les mêmes" .
L’entrepreneur donne deux exemples à ce sujet. Le premier, pour espérer nouer un partenariat, il est impératif de répondre dans les 24 heures aux mails reçus, sinon cela démontre un manque d’intérêt. Quant aux mises en relation, pas question d’en réaliser une sans vérifier que la personne en question est d’accord pour être mise en contact.
L'échec de la levée de fonds
Début 2018, Lovebox participe à nouveau au CES de Las vegas. "Quand vous lancez un produit tech, ce n’est pas tant le CES en lui-même qui est pertinent mais plutôt le CES Unveiled qui réunit toute la presse. Si votre produit est un peu insolite et qu’il plait, vous aurez de nombreux articles. Mais c’est un pari à double tranchant, les critiques sont acerbes aussi ", reconnaît Jean Grégoire. Les deux associés y rencontrent également leur plus gros revendeur à l’heure actuelle, la plateforme Uncommon Goods, très connue aux États-Unis pour réaliser des cadeaux pour la fête des mères ou Noël.
Fort des retours positifs des clients et de leurs mentors, les deux fondateurs poursuivent leur route, prêts à passer à l’étape suivante : une véritable levée de fonds. "Pour nous, tous les indicateurs étaient là : les chiffres de vente étaient bons, les mentors étaient confiants. Nous avons multiplié les rencontres mais mi-juin 2018, rien avait bougé. Les VC trouvaient le concept intéressant mais n’étaient pas prêts à financer le projet" , se rappelle Jean Grégoire.
Pour l’entrepreneur, la raison est simple : "entre 2010 et 2015, les produits hardware ont été financés à tout va et les investisseurs se sont cassés les dents" . Refroidis par ces mauvaises expériences, ils ont alors commencé à boycotter ce genre d’investissements. Résultat : fin juin 2018, l’entreprise se retrouve dans une situation financière critique. Six mois plus tard, elle décide de revoir ses ambitions à la baisse et de réaliser une levée en equity en France en faisant appel à des business angels. À l’époque, le coût d’acquisition d’un client américain s’avère deux fois moins cher que celui d’un consommateur français...ce qui est habituellement l’inverse.
Un choix stratégique décisif : Lovebox réussit à lever 500 000 euros sur la plateforme de crowdfunding en capital Sowefund, via Go Funding qui est un accélérateur de financement par le crowdfunding en capital, initié par la CCI Lyon Métropole Saint-Etienne Roanne. Une bouffée d'oxygène. "Cette période compliquée nous a obligés à réduire nos dépenses. Nos mentors américains nous avaient poussé à créer rapidement un produit sans chercher à faire vivre la concurrence. C’est un mindset très américain que nous n’aurions peut-être pas dû écouter. Nous avons pris le temps d’évaluer les coûts et de chercher d’autres fournisseurs pour minimiser nos dépenses. Nous avons également réduit notre fonds de roulement, etc…" , détaille l’entrepreneur.
La startup s’est alors concentrée sur les États-Unis et sa campagne de marketing. Et là encore, quelques règles sont à respecter, dont la plus importante : il ne faut pas hésiter à dépenser pour espérer gagner de l’argent en contrepartie. "Aux États-Unis, le marketing doit être vraiment localisé. Si vous réalisez une campagne de publicité, les personnes et les lieux doivent donner l’impression que vous êtes aux États-Unis. S’ils ne se sentent pas représentés, les clients vont vous fustiger sur les réseaux sociaux et les applications de notation" , révèle Jean Grégoire. Lovebox n’a donc pas hésité à investir 50 000 euros dans son plan de communication fin 2019 pour financer un concepteur-rédacteur américain (copywriter, ndlr) qui a revu tous les contenus pour les adapter à la culture américaine et une campagne photo. "Nous avons choisi une personne qui possédait un physique américain, nous avons trouvé un AirBnB en France dans un style américain aussi et le tour était joué" , confie l’entrepreneur. Au niveau du service client aussi, les Américains sont tatillons, avertit l'entrepreneur. Sans réponse au bout de 24 heures, c’est la critique assurée sur Internet.
La pandémie ou les montagnes russes
L’année 2020 n’a pas non plus épargné l’entreprise même si tous les indicateurs - confinement et donc éloignement de ses proches - étaient alignés. "Notre entrepôt, situé dans le Grand-Est, a dû fermer ses portes pendant plusieurs semaines à cause du confinement. C’était la panique totale. Du jour au lendemain, nous ne pouvions plus rien expédier nos produits. C’était une situation anxiogène mais nous avons réagi rapidement. En moins de 48 heures, nous avons décidé de créer une filiale aux États-Unis et en moins de 4 semaines, nous avons réussi à mettre à jour nos process logisitques, à régler les questions administratives et à trouver un partenaire sur place" , explique Jean Grégoire. Les coûts de transport se révèlent tout de même bien plus élevés qu’auparavant mais dans le même temps, l’entreprise bénéfice de la crise, tant au niveau du nombre de commandes - en hausse en raison de l’éloignement et du besoin de proximité créé par cette distanciation - qu’en termes de campagne marketing. Grâce à des CPM très bas, Lovebox pouvait diffuser ses contenus à une grande audience à très faible coût.
En 2020, l’entreprise a ainsi réussi à vendre 70 000 Lovebox et réaliser un chiffre d’affaires de 6 millions d’euros - 80% provenant des États-Unis- , quasiment trois fois plus qu’en 2019 - où celui-ci atteignait les 2,5 millions d’euros. Rentable et en pleine croissance, l’entreprise compte bien aller encore plus loin. Elle vient d’ailleurs de réaliser un partenariat avec la Fnac pour être vendue dans une dizaine de magasins. "Nous ratons des ventes - pour les cadeaux de dernière minute notamment - en étant uniquement en ligne" , estime l’entrepreneur qui aimerait bien dupliquer ce projet aux États-Unis, une fois que la situation sanitaire sera moins critique. "Le retail n’est pas un travail qui se fait à distance. Il faut être sur place, s’assurer que les vendeurs sont formés, que les présentoirs sont bien agencés…"
Son autre grand challenge sera la conquête d'autres pays et d'autres marchés, notamment en Europe et en Australie et le déploiement de nouveaux produits.