Xavier Jaravel recevra lundi soir le prix du meilleur jeune économiste du Cercle des économistes et du journal Le Monde, décerné chaque année à un Français âgé de 40 ans maximum. Âgé de 31 ans, il est professeur associé à la London School of Economics, actuellement en détachement à l’Inspection Générale des Finances et membre du Conseil d’Analyse Économique. Ses travaux portent principalement sur les dynamiques d’innovation, leurs facteurs et leurs effets micro- et macroéconomiques. Il mobilise des bases de données très fines, qui lui permettent de mettre au jour l’impact différencié des innovations sur les prix relatifs des biens, et par là sur les inégalités.
Il a également étudié les ressorts du manque de diversité dans la Tech tricolore. Se penchant sur les origines sociales des innovateurs, son constat est sans appel : "il y a une grosse disparité en fonction de l'origine sociale mais aussi du territoire d'origine, a expliqué l'économiste à l'AFP. À performances scolaires égales, si vos parents sont parmi les 10% de revenus les plus élevés, vous avez dix fois plus de chances de devenir innovateur, par exemple en obtenant un brevet ou en fondant une startup, par rapport à quelqu'un dont les parents sont en-dessous de la médiane des revenus. Et être très bon en maths prédispose à devenir innovateur seulement si vous venez d'une famille comptant parmi les 10% de revenus les plus élevés."
Une tendance qui s'est encore accrue avec la crise et qui commence à engendrer un véritable examen de conscience du secteur. En effet, si celui-ci veut se développer au-delà de quelques happy few et avoir l'impact qu'il rêve d'avoir, il devra nécessairement lever les barrières à l'entrée. "Cela signifie qu'il y a un vivier de talents qui peut être très large pour augmenter l'innovation mais qui n'est pas du tout mobilisé" , souligne ainsi l'économiste.
Chercher des profils différents dans des territoires variés
Principal cheval de bataille de la French Tech ces dernières années pour lutter contre l'entre-soi de la Tech : élargir les territoires de recrutement des talents entrepreneuriaux. Le French Tech Tremplin, notamment, est devenu l'un des programmes phares de la mission gouvernementale et a pour objectif de soutenir les entrepreneur·se·s sous-représenté·e·s à émerger - et à réussir.
Mais des associations, comme Singa, Sista ou Les Déterminés, des startups, comme Simplon, ou même des fonds d'investissement - à l'instar de Raise Ventures et Korelya Capital, sont également mobilisés sur le sujet. Une bonne chose puisque Xavier Jaravel a identifié le lieu de vie comme l'un des facteurs les plus importants de la reproduction sociale parmi les innovateurs et innovatrices. "Les gens font des innovations qui sont très proches de celles auxquelles ils ont été exposés au cours de leur enfance. Si vous travaillez à Boston, sur la côte Est et que vous avez grandi dans la Silicon Valley, il est beaucoup plus probable que vous soyez dans la tech, alors que quelqu'un qui a grandi à Boston et serait resté à Boston sera plus dans les innovations médicales ou la biotech."
Lutter contre les clichés économiques
L'économiste s'attache également à démonter certaines idées reçues liées à l'innovation et la technologie, comme le fait que la robotisation détruirait massivement des emplois, notamment peu qualifiés. "On pense intuitivement que la machine remplace l'homme. Mais pas forcément. Il y a aussi un effet sur la productivité et un effet d'échelle; vous êtes plus compétitif grâce à votre robot, vous augmentez votre qualité, vous baissez vos prix et vos coûts de production; en conséquence, vous pouvez aussi avoir un besoin de plus de main-d'oeuvre." Une bonne nouvelle pour celles et ceux qui redoutent que la technologie et la startup nation ne servent que les mieux lotis - souvent encouragés par un discours alarmiste, lui aussi renforcé par la crise sanitaire.
"Les entreprises qui automatisent plus ont un emploi qui augmente par rapport à celles qui automatisent moins, rassure Xavier Jaravel. C'est vrai aussi des emplois qui sont moins bien payés. Et la distribution des salaires reste en fait la même dans les entreprises qui robotisent. Quand une industrie automatise davantage, elle préserve mieux ses emplois. L'Allemagne par exemple automatise et robotise plus que la France et pour autant elle a plus d'emplois industriels." Les Français·es ont donc raison d'être confiant·e·s en l'avenir, même si l'automatisation et plus encore la crise majeure de ces derniers mois les poussent à s'interroger sur l'importance que notre société accorde au travail.