Régénérer les tissus des patients à partir d’un médicament... directement prélevé sur eux. Cela a de quoi étonner. Pourtant, une telle solution est bel et bien mise à l’épreuve par CellProthera. Cette BioTech alsacienne a recours aux cellules souches CD34+, identifiées pour la première fois par son fondateur, le professeur en hématologie Philippe Hénon. "Il a d’abord constaté que le sang des patients cardiaques présente ces cellules en plus grand quantité. Il a établi une preuve de concept démontrant qu’une altération de ces dernières pouvait leur conférer un effet réparateur" , expose à Maddyness Matthieu de Kalbermatten, président de CellProthera, précisant que Philippe Hénon est aujourd’hui le directeur scientifique de la startup. Prélevées au moyen d’une prise de sang, les CD34+ permettent ainsi, d’après le dirigeant, de "guérir de la pathologie plutôt que de se limiter à en traiter les symptômes".
Utiliser le matériel biologique du patient
Pour ce type de pathologies, les traitements existants sur le marché soulagent les efforts réalisés par le myocarde afin qu’il pompe mieux. Ils ne permettraient de sauver que 50 % des personnes atteintes d’anomalies 5 ans après un infarctus, selon CellProthera. C’est la raison pour laquelle sa solution consiste à redonner une nouvelle jeunesse à cet organe qui, contrairement à d’autres, n’est pas capable de s’auto-régénérer. Au-delà d’un confort de vie amélioré pour le patient, la technique pensée par CellProthera présente l’avantage majeur de reposer sur une ressource abondante : le propre matériel biologique du malade. "Nous le transformons en greffon. Les cellules souches CD34+ sont prélevées, purifiées, puis réinjectées dans le tissu endommagé" , détaille Matthieu de Kalbermatten, qui pointe l’intérêt grandissant du concept à l’heure où la population européenne continue à vieillir, les personnes âgées étant les plus sujettes aux problèmes cardiovasculaires.
CellProthera s’est intéressée au myocarde bien qu’il ne s’agisse, de son propre aveu, "pas de la voie la plus facile" . "C’est l’organe vital par définition, appuie le dirigeant pour justifier ce choix. Mais nous réfléchissons d’ores et déjà à d’autres applications" . Ainsi, la BioTech imagine déjà transposer sa technique aux cartilages ou aux vaisseaux sanguins du cerveau. "Le foie est, lui aussi, digne d’intérêt. Il fait état d’une capacité naturelle à s’auto-régénérer, que nous pourrions renforcer" .
De nouvelles perspectives de développement, qui pourront accélérer une fois que l’essai clinique actuellement mené pour le myocarde sera bouclé. Ce dernier a débuté en 2020 en France ainsi qu’au Royaume-Uni, avec 20 patients sur un objectif final de 40. "Nous avons la moitié de la cohorte, dont l’objectif est de déterminer le profil-type du patient auquel servira notre technique, indique Matthieu de Kalbermatten, qui cible prioritairement ceux qui viennent d’être victimes d’un infarctus. Il faut aller vite pour éviter la fibrose [destruction des tissus, ndlr] chez ceux qui sont dans un état difficile."
Une mise sur le marché espérée en 2025
Le délai entre l’infarctus et l’injection des cellules souches tourne autour de 15 jours. Pour les patients participant à l’essai clinique, une période d’observation de 10 jours est ensuite opérée. La startup a revu son protocole en 2020, alors que la crise du Covid-19 faisait rage et que la mise à l’épreuve de sa solution avait été suspendue. "Il s’est agi d’optimiser la faisabilité à grande échelle" , explique le dirigeant, qui assure avoir reçu le soutien de grands noms de la cardiologie – à l’image des professeurs Gilles Montalescot (AP-HP) ou Deepak Bhatt et Scott Solomon (Harvard Medical School). Si le rythme de recrutement de patients se maintient à son niveau actuel, la cohorte de la BioTech devrait être "complète d’ici à la fin 2021" .
Elle pourra alors embrayer à la mi-2022 sur l’analyse statistique, qui constitue la phase II de l’essai clinique. Après une mise à l'épreuve à plus grande échelle à l’occasion de la phase III, début 2023, CellProthera négociera avec "le plus de centres possible" afin qu’ils proposent sa solution. Une mise sur le marché est espérée dès 2025.
La startup dit lever des fonds dès lors que le besoin se fait sentir, soit "tous les deux ans en moyenne" . Elle a déjà réalisé quatre tours de table, avec "des montants compris entre 5 et 10 millions d’euros à chaque fois" . Le prochain pourrait donc avoir lieu courant 2022. Si CellProthera fait état de 20 salariés, majoritairement scientifiques, elle repose aussi très largement sur ses sous-traitants.
"Nous n’avons pas la taille critique qui nous permettrait de tout produire nous même. Cela dit, l’avantage d’avoir été correctement financés depuis le départ nous a permis de fabriquer notre propre outil de production avec nos partenaires industriels" , relève Matthieu de Kalbermatten, assurant vouloir participer à "la relance de la bioproduction en France" . La BioTech a anticipé la mise sur le marché de son biomédicament, qui pourra ainsi être produit "localement" selon l’endroit où se trouve le patient. Une automatisation bienvenue, qui servira au lancement commercial alors que l’industrie pharmaceutique est très réglementée.