Cet article est republié à partir de The Conversation France
La réputation des entreprises fait l’objet d’une attention croissante, de la part des entreprises elles-mêmes qui cherchent à l’améliorer ou à la préserver, mais également de la part de leurs parties prenantes. Pour les consommateurs, par exemple, la réputation d’une entreprise représente un indicateur de la qualité des produits ou des services proposés. Pour les organisations non gouvernementales (ONG), la réputation constitue un levier sur lequel elles peuvent s’appuyer pour infléchir les actions d’une entreprise, par exemple en pointant du doigt son impact social ou environnemental.
La réputation d’une entreprise, définie comme la perception par ses parties prenantes de sa capacité à créer de la valeur, peut être considérée comme un signal. Celui-ci est important dans la mesure où il existe une asymétrie d’information entre l’entreprise et ses parties prenantes.
Par exemple, les consommateurs ne connaissent pas toujours les conditions dans lesquelles sont produits les biens ou les services qu’ils consomment. De même, les actionnaires ne connaissent pas forcément la capacité d’une entreprise à réussir une acquisition ou une entrée sur un marché étranger. De fait, selon l’économiste américain Joseph Stiglitz, des asymétries d’information apparaissent à chaque fois que " différentes personnes savent des choses différentes ".
Exploiter les avantages concurrentiels
Dans ce contexte, la réputation fournit donc un signal de qualité, lorsqu’une partie n’est pas pleinement consciente des caractéristiques d’une autre, ou un signal d’intention, lorsqu’une partie n’est pas pleinement consciente des intentions de l’autre. La réputation va donc jouer un rôle crucial dans la vie des entreprises et en particulier influencer leurs performances et leurs stratégies.
Dans une étude récente publiée dans Journal of Business Research, nous étudions, à partir d’une base de données longitudinale de 869 acquisitions réalisées par des multinationales européennes et américaines, l’influence de la réputation des entreprises sur leurs décisions en matière d’acquisitions internationales, qui constituent l’un des modes de croissance internationale privilégiés par les entreprises. En effet, les acquisitions leur permettent d’exploiter leurs avantages concurrentiels tout en limitant les risques d’une entrée sur un marché ex nihilo, sans partenaire local.
D’ailleurs, en dépit de la crise sanitaire et économique, les acquisitions internationales restent d’actualité. Ainsi, l’enseigne de grande distribution Carrefour a annoncé il y a quelques semaines le rachat de Grupo Big, numéro 3 de la distribution alimentaire au Brésil. Le laboratoire pharmaceutique Sanofi a, de son côté, récemment annoncé l’acquisition de Tidal Therapeutics, une entreprise américaine spécialisée dans l’ARN messager.
Notre étude aboutit à deux résultats significatifs. Tout d’abord, nous montrons que la réputation a un effet ambivalent sur les décisions des entreprises de réaliser des acquisitions internationales. Une bonne réputation de l’acquéreur va représenter un actif intangible qui va constituer un signal pour les parties prenantes et réduire l’asymétrie d’information. Nous identifions ainsi un effet avantage lié à la réputation, qui va contrebalancer le désavantage lié au fait d’être une entreprise étrangère et qui va permettre à l’acquéreur de saisir des opportunités sur de nouveaux marchés.
Par exemple, la très bonne réputation de LVMH dans le domaine du luxe, ainsi que celle de fin stratège de son PDG, ont constitué des atouts majeurs pour l’acquisition de la société américaine Tiffany début 2021, la plus importante opération jamais réalisée dans ce secteur.
Toutefois, une bonne réputation va également être synonyme d’attentes élevées de la part des parties prenantes, qui peuvent dissuader l’acquéreur potentiel de s’engager dans une opération stratégique risquée. Nous identifions ainsi un effet préservation de la réputation. Un échec de l’acquisition internationale, possible lorsque l’on sait que la plupart des acquisitions internationales se soldent par un échec, pourrait en effet dégrader la réputation de l’acquéreur.
Ainsi, l’échec de l’intégration de la chaîne britannique The Body Shop dans le groupe L’Oréal, acquise en 2006 et revendue en 2017, a freiné les ambitions du groupe français en matière de cosmétiques bio.
Surmonter les risques
En définitive, la réputation a bien un effet ambivalent sur les stratégies d’expansion internationale des entreprises. Une bonne réputation accroît la probabilité que les entreprises effectuent des acquisitions internationales mais la crainte de dégrader une excellente réputation réduit cette probabilité.
Notre étude montre ensuite que les connaissances et le savoir-faire acquis lors des expériences internationales passées, une autre ressource intangible des entreprises, vont interagir avec la réputation dans la décision d’une entreprise de réaliser des acquisitions internationales. L’expérience internationale va renforcer les deux effets identifiés auparavant.
Les entreprises ayant déjà une expérience significative à l’international et dotées d’une bonne réputation seront plus à même de réussir leurs acquisitions internationales et la probabilité qu’elles prennent ce type de décision sera plus élevée.
Toutefois, davantage d’expérience signifie également pour l’entreprise une meilleure connaissance des risques associés aux acquisitions internationales et donc, à partir d’un certain niveau de réputation, une plus grande prudence face à des choix stratégiques risqués. De la même façon, une entreprise cumulant faible expérience internationale et faible réputation aura une très faible probabilité de s’engager dans une acquisition internationale.
En conclusion, nos résultats permettent de mieux comprendre l’influence de la réputation sur les choix stratégiques des entreprises, et en particulier leurs choix d’expansion internationale. Ils montrent que la réputation est une ressource qui va permettre à l’entreprise de surmonter les risques et les coûts liés à une acquisition internationale, par l’envoi d’un signal qui permettra de réduire l’asymétrie d’information et donc de rassurer les parties prenantes.
Mais nos travaux suggèrent également que les dirigeants font un arbitrage entre l’avantage qu’ils peuvent retirer d’une bonne réputation et les risques en termes de réputation liés à des décisions stratégiques périlleuses. La perception des dirigeants de leur marge de manœuvre stratégique est donc influencée par la réputation de leurs entreprises.
Prendre conscience de cette influence est important car cela permet aux dirigeants de mieux comprendre ce qui guide leurs décisions, et ainsi de surmonter leurs réticences ou leurs craintes.
Olivier Lamotte, Professeur en économie et stratégie internationales - Professor of international economics and strategy, EM Normandie – UGEI; Ana Colovic, Professeur de stratégie et de management international/ Professor of Strategy and International Business, Neoma Business School; Ludivine Chalencon, Maître de conférences, finance et comptabilité, IAE Lyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 et Ulrike Mayrhofer, Professeur des Universités en Sciences de Gestion à l'IAE Nice, Université Côte d’Azur