10 mai 2021
10 mai 2021
Temps de lecture : 8 minutes
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Ces deux fonds français s'appliquent à sortir la French Tech de son entre-soi

Raise Ventures et Korelya Capital sont les deux premiers fonds français à obtenir le label Diversity VC, créé en 2020 pour encourager l’inclusion au sein du capital-risque. Retour sur leurs philosophies et ambitions en matière de diversité.
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Lancé en septembre 2020, le label Diversity VC est né de l’initiative de 12 fonds de premier plan à travers l’Europe et le Canada. Son but ? Fournir aux sociétés de capital-risque les outils et bonnes pratiques pour ouvrir leurs réseaux, rendre accessible le financement aux fondateurs et fondatrices sous-représenté·e·s et cultiver un environnement adapté et inclusif pour tout l’écosystème. Cette norme consiste aussi en un processus d’évaluation et de certification qui établit une référence pour les meilleures pratiques en matière de diversité et d’inclusion dans le secteur du capital-risque.

Si déjà 28 fonds peuvent se targuer d’avoir obtenu ce label, ils ne sont que deux en France : Raise Ventures et Korelya Capital. Sophia Martin, directrice des participations chez Raise Ventures, et Laura Roguet, VC chez Korelya Capital, reviennent pour Maddyness sur les efforts menés par leurs sociétés d’investissements respectives pour faire bouger les lignes.

Sophia Martin, Raise Ventures

"Depuis la création de notre société d’investissement, en 2013, nous avons la volonté de nous positionner comme un pilier de la finance responsable, et de réconcilier le monde de la finance et celui de la philanthropie. Nous voulons faire bouger les lignes du venture capital classique et sommes heureux d’avoir obtenu le label Diversity VC, juste après Korelya, avec qui nous partageons des valeurs communes en termes de diversité et d’inclusion.

Une parité parfaite

Nous nous engageons à entretenir une parité parfaite à tous les niveaux chez Raise. Toutes les activités de notre fonds sont dirigées par un binôme femme-homme, et cette notion se retrouve dans nos recrutements, avec des équipes complètement paritaires. Notre groupe compte 48% de femmes investisseuses, et nous avons mis en place des critères de discrimination positive, parce qu’il faut imposer les choses si on veut vraiment avancer.

Au départ, on pensait qu’il serait facile pour nous d’obtenir le 'Diversity VC standard' parce qu’on était paritaires et que nous agissions pour la diversité. En réalité, ce label n’est pas un mince affaire, il repose sur plusieurs piliers : la parité, mais aussi la diversité des parcours, la mise en place d’une stratégie de diversité et d'inclusion à plusieurs niveaux — dans le recrutement, l’accompagnement des startups, la sélection dans le portefeuille et le deal flow…. Cela nécessite un réel engagement de la part de la société de gestion et des équipes d’investissement en interne, mais aussi un suivi en aval, pour voir comment aider les entreprises du portefeuille à être, elles aussi, plus inclusives dans leur culture d’entreprise."

Des engagements sur des objectifs chiffrés

Pour ce qui est de notre portefeuille de participations, il comprend 47% de femmes en termes d'effectifs et 33% au sein des c-levels (cadres supérieurs les plus importants dans les entreprises, NDLR), c’est dix fois mieux que le marché, mais ce n’est pas encore assez. Nous les incitons à aller chercher très tôt des femmes, surtout pour les boites tech, qui reste un milieu encore très masculin. Nous nous engageons aussi à ce que 25% des entreprises financées par le groupe Raise soient fondées ou co-fondées par des femmes à horizon 2025, et 30% à horizon 2030.

Mais on ne veut pas s’arrêter à cette question. L’idée est aussi d’aller chercher des profils qui ne sont pas sortis d’écoles de commerces parisiennes. Cela passe par le fait de rendre les environnements de travail inclusifs pour attirer les candidats issus de minorités. Il faut apprendre les bonnes pratiques, comme le fait de mieux rédiger ses descriptions de postes et de varier les supports, parce que les startups diffusent toujours leurs annonces sur les mêmes plateformes réservés aux happy few... Mais tout le monde ne va pas sur Welcome to the Jungle.

Un audit des entreprises avant d'investir

Nous évaluons donc nos entreprises avant d’investir dedans, via un audit ESG, selon les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance. Cette démarche n’est pas du domaine de l’obligation, mais de l’incitation : nous attirons l’attention des startups sur l’importance de diversifier leurs équipes, et on suit cela dans le temps avec des points d’alerte fixés au moment des boards.

Notre axe d’amélioration réside dans nos actions auprès des sociétés de notre portefeuille. Ça passe par l’accompagnement, les workshops et le fait de redescendre ces valeurs à toutes les sociétés. Nous voulons leur prouver que la diversité n’est pas juste une mode, une lubie, mais un levier de création de valeur.

Quand j’ai commencé, il y a 10 ans, j’étais la seule femme dans les équipes d’investissement. De plus, en France, on parle beaucoup de parité parce qu’on ne peut mesurer que ça. Ici, c’est encore culturellement trop tabou de parler des autres formes de diversité. À titre personnel, en tant que femme marocaine, j’ai vécu le manque de parité et de diversité. J’ai été confrontée au monde du travail et du VC, composé principalement d’hommes blancs. Aujourd'hui, on voit plus de femmes mais il n’y a pas encore beaucoup de couleurs… Il faut travailler sur ce sujet et prouver que la diversité est une richesse pour analyser les dossiers et confronter les points de vue en entreprise".

Laura Roguet, Korelya Capital

"Les VCs se mettent à se pencher sur les questions de diversité, mais c’est encore trop lent, ces politiques au sein des fonds sont portées par des sponsors en interne, mais pas vraiment prises en charge par les sociétés de gestion. La diversité entraîne la diversité. Si on apprend que tel environnement de travail est inclusif, safe et plaisant pour toutes et tous, ça se sait et ça permet d’agréger de nouveaux profils.

Un label pour dépasser les bonnes intentions

Il ne suffit pas de s’autoproclamer leader du sujet, il faut pouvoir se distinguer, agir, et ça passe par la labellisation. Depuis que nous avons obtenu le label Diversity VC, en novembre 2020, beaucoup de fonds s’y intéressent et nous consultent. Nous avons donc organisé un webinaire avec les fonds français sur la question des critères et des "best practices" pour leur donner des idées d’initiatives concrètes à mener.

Du côté de Korelya, on avait déjà commencé à travailler en interne bien avant la labellisation en faisant passer deux formations à nos équipes. Menées par Gloria, l'une portait sur la diversité et l’inclusion, et l'autre contre les violences sexistes et sexuelles sur le lieu de travail. Ensuite, nous avons appelé toutes les sociétés françaises de notre portefeuille pour savoir où elles en étaient et connaître leurs actions sur ces questions. L’idée était de voir si elles y dédiaient un budget, si elles se mettaient des objectifs clairs, cherchaient à résoudre leurs problématiques etc.

Des critères clairs

Je me suis intéressée au label Diversity VC parce que je suis assez convaincue par le modèle des labels. Tout le monde peut signer une charte, c’est bien, mais il faut des engagements réels. En France, les fonds ne sont pas tous au même niveau, mais certains y passent déjà énormément de temps. Il faut mettre en place des outils d'évaluation pour voir qui agit vraiment. Pour cela, il faut des critères clairs, et c’est ce que fait Diversity VC en classifiant différentes caractéristiques selon quatre grandes catégories : le recrutement et les ressources humaines, la culture et la politique interne, les sources de dealflow et le support de portefeuille. À l’intérieur de ces thématiques, certains critères sont éliminatoires. Cela permet de filtrer rapidement les fonds qui restent dans le déclaratif de ceux qui sont capables de citer des actions concrètes.

Aujourd’hui, on est fier d’avoir le label, mais aussi de pouvoir inspirer d’autres fonds. On a déjà discuté de ces questions avec une quinzaine d’entre eux en France. Le problème reste encore que ce sont souvent les femmes dans les sociétés d’investissement qui s’intéressent et se penchent sur les questions d’inclusion et de diversité. Il n’est pas normal que, souvent, nos collègues masculins ne s’y mettent pas eux aussi.

Une évaluation des entreprises accompagnées

Pour continuer de progresser sur ces questions, nous ambitionnons de faire le travail de sensibilisation et la diffusion de bonnes pratiques que nous opérons auprès des sociétés françaises de notre portefeuille aux entreprises européennes que nous accompagnons. Cet été, nous voulons aussi faire un bilan de ce qui a marché ou pas dans nos sociétés, pour définir les initiatives qui ont eu un impact positif et les reproduire.

On reste au tout début de ce process, mais le milieu va dans le bon sens, on ne constate pas de push back. La question reste : à quel rythme veut-on y aller ? Avec le Covid-19, qui impacte majoritairement les femmes et les minorités, il est d’autant plus important que les entreprises se penchent sérieusement sur leurs sujets RH. Cette crise représente aussi un opportunité à ne pas manquer, pour basculer vers un nouveau système, plus divers et inclusif" .

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