Moins de 1% des pères prennent leur congé parental à taux plein, selon une étude de l’OFCE, centre de recherche en économique de Sciences Po, publiée le 7 avril 2021. Cela signe l’échec de la grande réforme des congés parentaux de 2015, qui visait à inciter davantage les pères à bénéficier de ces congés parentaux et à permettre aux femmes de revenir plus rapidement sur le marché du travail. Comment ? En portant de six mois à un an maximum le congé pour un premier enfant, à condition qu’il soit pris par les deux parents. Et, à partir du 2e enfant, un parent ne peut prendre plus que deux ans -contre trois auparavant-, seul le deuxième parent pouvant prendre l’année restante.
Cette mesure, qui a été renommée "prestation partagée d’éducation de l’enfant" , à l’occasion de la réforme du congé parental, est une défaite, selon Danielle Boyer, ethnologique et responsable de l’Observatoire national de la petite enfance à la CNAF (Caisse nationale des allocations familiales) qui est revenue pour Maddyness sur les raisons de cet échec.
Les pères ont-ils toujours été pris en compte dans l’histoire du congé parental en France ?
Le congé parental est inscrit dans le droit du travail depuis 1977 en France, et est adressé aussi bien aux femmes qu’aux hommes. Au départ réservé aux familles qui avaient au moins trois enfants, il a été modifié en 1994 pour l’accorder aux familles de deux enfants, ce qui a d’ailleurs provoqué une grosse chute du travail des mères à l’époque. Après quelques autres, la dernière réforme date de 2015. Nommée "Preparee" (Prestation partagée d’éducation de l’enfant, ndlr), elle a voulu fortement inciter des pères à prendre un congé parental pour favoriser le retour à l’emploi des femmes. L’idée était donc d’obliger le partage de ce congé entre les femmes et les hommes en limitant le droit de congé pour une personne à 24 mois, laissant la dernière année à l’autre conjoint (les hommes étaient ciblés). Cela a simplement fait baissé le nombre de bénéficiaires de ce congé en général sans augmentation du nombre de pères concernés.
En effet, selon une étude de l’OFCE, moins de 1% des pères le prennent à taux plein. La problématique financière constitue-t-elle une des raisons de ce phénomène?
C’est même la première raison évoquée par les pères. D’ailleurs, on voit bien que dans les pays où ils sont rémunérés à 80 ou 90% de leur salaire antérieur, comme en Suède, en Finlande ou en Norvège, les pères prennent ce congé (il s’élève à 398,79 euros par mois à temps plein en France, ndlr). Dans un couple, dans le calcul économique et financier quand la question se pose de qui peut le prendre, on regarde qui gagne le moins pour que la perte de revenus soit moindre. Dans la majorité des couples, ce sont les femmes, donc ça incite beaucoup plus les mères à prendre ce congé.
D’un point de vue social et culturel, est-ce que l’effet " genré " de ce congé pèse encore sur le fait que les pères le prennent très peu ?
Dans certains couples, il n’y a même pas de discussion tant les représentations concernant qui doit s’occuper de l’enfant sont fortes en France. Souvent, la question entre le conjoint et la conjointe ne se pose même pas : d’emblée c’est la mère qui le prend. La force de ces représentations, qui touchent aussi bien les mères que les pères, sous-tendent cette idée que ce sont à elles d’être en première ligne dans les premiers âges de la vie d’un enfant. C’est comme si cela était perçu comme un attribut féminin et que, si le conjoint voulait prendre ce congé, la mère lui faisant don. Pourtant, depuis toujours ce congé est aussi bien destiné aux femmes qu’aux hommes !
D’autres freins bloquent-ils les pères dans cette démarche ?
Dans la sphère professionnelle, les pères vivent souvent une injonction dans leur rapport au travail. Il existe de fortes représentations selon lesquelles, si un homme n’est pas à 100% dans son travail et n’a pas le rôle de pourvoyeur de revenus de sa famille, il n’est pas un bon salarié. Cela fait naître beaucoup d’hésitations dans le choix de retrait temporaires des pères de leur vie professionnelle. Le poids des normes professionnelles est conséquent pour les hommes. On le retrouve d’ailleurs dans les justifications qu’ont les pères qui prennent un congé parental. Ils évoquent bien sûr le choix de s’occuper de l’enfant mais garde dans leur discours un rapport au travail, en parlant de " profiter de ce temps " pour se reconvertir ou se former par exemple. Encore une fois, l’idée est de correspondre à ce qu’on est supposé attendre d’un homme au XXIe siècle.
Connait-on le profil des pères qui le prennent davantage ?
Cela dépend de plusieurs choses. Déjà, comme pour les femmes, ce sont souvent les pères qui gagnent moins qui prennent davantage le congé paternité pour ne pas trop impacter les revenus du couple. Ce sont par conséquent plus souvent des ouvriers ou des employés, très peu de cadres. Pour la prise du congé à taux partiel, ce n’est pas la même catégorie de bénéficiaires : on y voit plus de cadres pour qui interrompre un jour d’activité est à peu près compensé par la subvention accordée dans ce cadre.
Le secteur d’activité joue aussi énormément. Les hommes qui prennent un congé parental sont souvent dans des secteurs d’activités dits " féminisés ", comme la santé, ou des professions qui permettent une pratique autonome de l'activité pour les cadres sup’, tous ces milieux où le congé parental est quelque chose de connu et d’admis dans la sphère professionnelle. Quand un père demande un congé parental dans ces sphères, ça ne choque personne, ou plutôt dans le bon sens. C’est beaucoup plus complexe dans les secteurs d’activités hyper masculinisés.
Est-on en retard par rapport à nos voisins européens ?
Pas forcément. On s’aperçoit que, dans les pays nordiques, le congé parental est pris quand il est obligatoire, mais il n’est pas forcément poursuivi après ce temps imposé. Il est mieux rémunéré, donc si, en France, le congé parental était mieux financé, les mentalités seraient prêtes à faire ce pas et les hommes à le prendre. Il ne faut pas croire que c’est un véritable partage idyllique dans les pays nordiques. Souvent d’ailleurs, le congé parental y est pris plus tard, mais premiers 12 ou 18 premiers mois de la vie, c’est la mère qui s’occupe des enfants, ce n’est même pas discuté. En France, on est plus en avance sur cette question : dès tout petit, on accepte une délégation forte de la garde des enfants à des instances extra-familiales comme la crèche par exemple.
Quelles peuvent être les solutions pour faire progresser la prise de ce congé par les pères ?
La clé est vraiment l’incitation de la rémunération. C’est ce manque qui a fait de la réforme de 2015 un échec. Mais, selon moi, les mentalités sont prêtes. Pour l’instant, la force des représentations est de toute façon obstruée par le manque d’incitations financières.
Que pensez-vous de l’allongement et des modifications du congé paternité à venir à partir du 1er juillet prochain ?
Nous allons dans le bon sens. C’est une incitation, une reconnaissance de l’importance de la présence paternelle dans les premiers mois de vie de l’enfant. Ce congé spécifique, au même titre que le congé maternité, est aussi très important pour les changements de représentations.