Pallier une possible pénurie de sang. C’est l’un des objectifs d’EryPharm, qui ambitionne de produire des globules rouges de culture. La Biotech, fondée à l’été 2016 sur la base de recherches menées à Sorbonne Université et l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), dispose, après de premières injections, d’une preuve de concept lui permettant d’avancer que les globules rouges ainsi conçus "ont une durée de vie deux fois supérieure à celle des transfusions sanguines classiques" . Si des équipes, à l’international, essaient "depuis 60 ans" de cultiver les globules rouges, EryPharm avance être aujourd’hui la seule entreprise à viser une production de masse dans les prochaines années. Une pionnière, qui projette de vendre sa solution aux centres chargés de la gestion des stocks de sang – tels que l’Établissement français du sang (EFS) – ou directement aux établissements hospitaliers dans le cas où ces derniers en ont la charge.
100 dons du sang en un prélèvement
Pour fabriquer artificiellement les globules rouges, les chercheuses et chercheurs derrière EryPharm font proliférer des cellules souches hématopoïétiques. Ces dernières, nichées dans la moelle osseuse, sont prélevées chez les donneuses et donneurs comme pour des plaquettes. Une mise en culture de trois semaines permet d’en faire des globules rouges de culture. "L’avantage, c’est qu’on peut identifier le donneur selon les types de sang dont on a besoin" , indique à Maddyness Luc Douay, président-directeur général et fondateur de la jeune pousse. Le professeur des universités, biologiste médical, exerce à l’hôpital Armand-Trousseau (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) et a précédemment été directeur scientifique au sein de l’EFS en Île-de-France. Il juge que la technique d’EryPharm démultipliera les réserves de sang, puisque selon lui "1 don de cellules souches équivaut à 100 dons de sang". Une petite révolution dans l’histoire de la transfusion sanguine… et qui pourrait drastiquement réduire les frais de traitement.
Les hémorragies représentent environ la moitié des indications en matière de transfusion sanguine. Pour autant, ce traitement est tout aussi vital pour les personnes souffrant d’anémies chroniques – une baisse du taux d'hémoglobine dans le sang qui entraîne un déficit d'apport en oxygène aux tissus. Pré-leucémie ou pathologies héréditaires, à l’image de la drépanocytose : nombre de malades en ont besoin. "On estime, dans ce dernier cas, qu’un patient peut recevoir jusqu’à 1 000 kg d’hémoglobine tout au long de sa vie" , appuie Luc Douay. S’il est aisé de s’imaginer les économies potentielles pour un établissement de santé, il faut également garder en tête que "20 à 25 millions d’individus sont atteints de drépanocytose à travers le monde" . Notamment chez les personnes originaires d’Afrique, un continent qui concentre 80 % des cas. "Produire des globules rouges en culture permet de reproduire un phénotype assez rare en Occident pour traiter ces patients."
"Gouverner, c’est prévoir"
Au-delà de la qualité de traitement, les globules rouges de culture pourraient améliorer le confort de vie des personnes souffrant d’anémie chronique. Puisqu’ils affichent une durée de vie supérieure aux dons de sang, ils permettent d’allonger le laps de temps entre deux transfusions. Ce qui implique moins de visites à l’hôpital. L’autre bénéfice majeur offert par l’approche : permettre de pallier la pénurie de sang. "Si elle n’est pas aujourd’hui critique, la situation va se tendre et nous pourrions manquer de sang dans les 10 à 20 prochaines années. La population européenne étant vieillissante, l’incidence des maladies requérant des transfusions va inéluctablement augmenter" , note Luc Douay, précisant qu’EryPharm veut "compléter le don du sang, plutôt que s’y substituer". En France, la crise du Covid-19 n’a pas fait chuter le nombre de dons… à l’inverse de l’Amérique du Nord, où une baisse de 30 à 60 % a été observée. D’où l’avertissement de Luc Douay aux autorités.
Le médecin, qui souligne que le virus responsable de la Covid-19 (Sars-CoV-2) ne circule pas dans le sang, alerte quant à l’éventualité d’une pandémie pour laquelle ce serait le cas. "Dans un tel cas, nous serions dans l’impossibilité de prélever chez les donneurs et donc de répondre à la demande en transfusions sanguines, soulève-t-il. Gouverner, c’est prévoir. Pourtant, les financements sont difficiles à trouver. Les cellules souches, au cœur de notre approche, peuvent être congelées pour servir à tout moment" . C’est également le cas du produit fini. EryPharm, qui s’appuie sur les travaux de ses 18 scientifiques, entend lever 30 millions d'euros dans le but de "fabriquer l’outil" qui lui permettra de mener son essai clinique. La mise à l’épreuve de la technique s’étalera jusqu’en 2024 et la mise sur le marché est envisagée pour la fin de la décennie, "peut-être en 2028".