Depuis 2011, la loi Copé-Zimmermann impose aux entreprise de compter 40% de femmes dans leurs conseils d’administration et de surveillance. C’est une avancée, puisque les femmes atteignent désormais 45% des sièges de ces instances. Mais cette réussite est à tempérer, puisque les lieux de prise de décision, comme les comités exécutifs et de direction, ne sont pas soumis à cette obligation. Et cela s’en ressent : les femmes ne représentent que 22% des effectifs dans comités exécutifs au sein du SBF 120.
Interrogée par Brut en mars dernier, Christine Lagarde, ministre, avocate, dirigeante du FMI puis de la BCE, a d’ailleurs revu sa copie sur la question. "J’ai complètement changé mon approche des quotas. Quand j’ai commencé ma carrière à la fin des années 1970, j’étais convaincue que les femmes trouveraient toute leur place sur la base du simple mérite. Il ne m’a pas fallu très longtemps pour comprendre que ce n’était pas le cas" . Maintenant résolument favorable aux quotas, celle-ci incite à "aller dans le détail des postes de direction, de sous-direction etc." .
Elisabeth Moreno, Catherine Barba, Corinne Vigreux, Delphine Remy-Boutang… Maddyness a demandé à quatre femmes de la scène politique et économique ce qu’elles pensaient du principe des quotas de femmes en entreprise. Voici leurs réponses.
Elisabeth Moreno, ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes
" Il faut reconnaître que la loi Copé-Zimmermann, adoptée il y a dix ans, a eu un effet très positif sur la parité au sein des conseils d’administration des grandes entreprises françaises, plaçant la France sur la première marche du podium européen et au deuxième rang mondial derrière l’Islande, avec un taux de féminisation avoisinant 45%. Malgré cette loi qui constitua une étape importante, force est de regretter que l’ " effet incitatif " espéré à l’époque n’a pas eu lieu. Les femmes continuent d’être confrontées à un " plafond de verre " qui les exclut trop souvent des autres instances de direction des entreprises ; ces lieux où sont réellement prises les décisions de l’entreprise. Je pense notamment aux comités exécutifs dont les femmes sont encore trop absentes.
Parce que l’égalité n’est pas innée pour les femmes mais constitue un acquis, souvent arraché de haute lutte, nous devons aujourd’hui passer à la vitesse supérieure. La féminisation doit s’amplifier à tous les étages de l’entreprise. Pour être honnête, aux prémices de ma carrière professionnelle, j’étais au fond de moi opposée aux quotas. Mais après avoir passé trente ans au sein du monde de l’entreprise, je me suis rendue compte que sans quotas, rien n’évoluerait. La loi Copé-Zimmermann est la parfaite illustration que la loi et la mise en place d’objectifs chiffrés font avancer les choses et brisent les plafonds de verre. Autrement dit, les quotas sont un mal nécessaire. Les femmes sont autant capables que les hommes d’exercer des métiers à responsabilité. Exiger la parité n’est pas quémander la charité " .
Catherine Barba, entrepreneure, investisseuse, administratrice du groupe Renault et du groupe Etam.
" La diversité est un atout stratégique avéré, un levier à la fois de performance, d’innovation et d’engagement : on le dit, on le démontre, on se le répète. Pour autant, s’entourer de gens différents est tout sauf naturel. Il n’y a qu’à voir l’annonce la semaine dernière du renouvellement de cinq des dirigeants du CAC 40. Cinq PDG : cinq hommes. A ce rythme, l'écart entre les sexes ne se réduira pas avant 100 ans*. Il faut une politique volontariste pour se forcer à sortir de l’entre soi.
Les quotas ne sont pas l’idéal, mais la diversité n’attend pas. Outils de contrainte efficace pour combler rapidement le déséquilibre hommes-femmes dans l’accès au pouvoir, ils sont pour moi un palier, une étape vers l’inclusion, qui est le vrai sujet. Une entreprise qui fait rêver les talents et fait battre le cœur des clients est une entreprise inclusive, où chacun, avec sa différence, a sa place, " a seat at the table " comme disent les américains, gage de sa capacité à nous embarquer vers un avenir commun désirable " .
*étude WEF 2019
Corinne Vigreux, cofondatrice de l’entreprise TomTom et de Codam, une école informatique, à Amsterdam
" Cela fait longtemps que je me bats pour l'élimination des préjugés sexistes. Nous sommes nombreux à être conscients de l'importance de la diversité, mais encore trop peu de recruteurs prennent des mesures pour créer des équipes plus diversifiées. La mise en place de réglementations visant à accroître le nombre de femmes dans l’entreprise et surtout dans les fonctions managériales semble être le moyen le plus rapide d’y parvenir.
Il convient cependant de laisser chaque entreprise se fixer ses propres quotas en fonction de son écosystème. Le monde de la tech est encore trop masculin, et la formation d’ingénieurs beaucoup trop peu féminisée ! Chez TomTom, dont l’effectif total est composé pour plus de moitié d’ingénieurs, il nous est très difficile de recruter massivement des jeunes femmes ingénieures. Nous avons mis en place une stratégie globale de diversité et d'intégration mettant l'accent sur une embauche diversifiée et fixé un objectif de 34% de représentation féminine d'ici 2024. Mais il faut former plus de femmes pour pouvoir en recruter plus. À Amsterdam, où TomTom a son siège, j’ai fondé il y a 3 ans Codam, une école d’informatique ouverte à tous, sur le modèle d’Ecole 42 à Paris. Les femmes représentent aujourd'hui environ 40% des étudiants, ce qui est effectivement plus élevé que toute autre école de codage. Mais ce n'est pas encore assez : mon objectif est d’atteindre rapidement 50% " .
Delphine Remy-Boutang, CEO the Bureau & JFD et présidente de GEN France
"Il faut des quotas pour renverser la table. Le monde ira mieux quand les femmes seront aussi au pouvoir. Je regrette l’écart de genre encore si flagrant en France lorsqu’il s’agit de la place des femmes au sein de la société. “Only equal is enough" : nous sommes 52% de l’humanité et c’est donc le seul quota dont nous devons nous satisfaire. C’est grâce aux quotas que la France est aujourd’hui un exemple mondial de progrès sur la féminisation des conseils d’administration (43,6 % de femmes dans les groupes du SBF 120). Sans la loi Copé-Zimmermann, cela n’aurait pas pu arriver en si peu de temps. Mais 10 ans c’est quand même très long. Il faut donc accélérer pour arriver à l’égalité, l’une des 3 valeurs fondatrices de notre démocratie.
Et, pendant qu’on regarde les quotas, il faut aussi regarder l’inclusion, car tant que les femmes seront sous-représentées, ce sont toutes les “minorités” qui continueront à être sous-représentées. Rentrée en France après 15 ans à Londres je me suis rendue compte à quel point la société française était fermée aux profils atypiques, à ceux, et celles, qui ne sortent pas du circuit des grandes écoles" .