12 avril 2021
12 avril 2021
Temps de lecture : 5 minutes
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L'Europe renforce le contrôle des rachats des stratégiques BioTech

La Commission européenne a publié le 26 mars 2021 les règles encadrant la possibilité pour les autorités nationales de la concurrence de lui transmettre les dossiers sensibles. À compter de ce jour, ce sera notamment le cas des BioTech dont l’importance stratégique est capitale en période de pandémie. D’autant plus que les laboratoires pharmaceutiques figurent parmi les grands groupes les plus actifs en matière d’acquisitions prédatrices.
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La crise sanitaire fait bouger les lignes. Soucieuse de ne pas se faire voler ses pépites à l’origine d’innovations stratégiques dans les domaines des biotechnologies et du médical, la Commission européenne cherche à renforcer les contrôles des concentrations. L’article 22 du Règlement sur le contrôle des concentrations, qui permet aux États membres de faire remonter au niveau supranational l’évaluation de certaines opérations jugées critiques, était jusqu’alors peu utilisé. Mais, le 26 mars 2021, la Commission européenne a redéfini comment y avoir recours. Le cas du rachat de la startup française Grail, qui conçoit des tests de dépistage du cancer, par l’Américain Illumina est le premier à avoir été renvoyé par l’Autorité de la concurrence nationale à la Commission européenne depuis l’annonce de son changement d’interprétation de l’article 22. Une nouvelle doctrine qui a été bien accueillie par la plupart des régulateurs nationaux – et notamment français, allemand et néerlandais –, ce qui laisse présager de nouveaux renvois dans les mois qui viennent.

Maddyness revient avec Anne-Charlotte Rivière, avocate au sein du cabinet d’avocats Dechert et experte des opérations financières dans le secteur des sciences de la vie, sur ce que cela implique pour certaines transactions ainsi que sur les enjeux politiques sous-jacents.

La Commission européenne encourage les États membres à lui faire suivre les dossiers d’acquisition jugés sensibles. Comment ce mécanisme s’organise-t-il et que change-t-il pour les entreprises concernées par de telles opérations ?

Anne-Charlotte Rivière : D’abord, il s’agit de rappeler que ce recours n’est pas nouveau. Le dispositif est inscrit dans le règlement depuis 2004. C’est davantage la façon de le pratiquer, dans le but de suppléer les États membres qui ne peuvent pas contrôler ces opérations, qui devrait changer suite aux précisions du 26 mars 2021. En somme, la Commission européenne dit aux États : 'Si l’opération ne rentre pas dans vos seuils mais peut avoir un impact concurrentiel, envoyez-la nous.' Elle réaffirme ainsi sa compétence en la matière, alors que cette possibilité de faire remonter des dossiers était très peu utilisée jusqu’ici. L’objectif est donc d’étendre le contrôle qui s’applique aux éventuelles acquisitions dites 'prédatrices' [visant à réduire la concurrence à néant, NDLR]. Cet usage plus large du mécanisme est dû au fait que beaucoup d’opérations passent encore entre les mailles du filet. Or compte tenu du contexte sanitaire, les innovations portées par des BioTech peuvent s’avérer cruciales.

Quelles sont les opérations prioritairement visées ? Des critères stricts ont-ils été établis pour déterminer quels dossiers remonteront à l’échelon européen ?

A.-C. R. : Quand un certain seuil de valeur de transaction déclenche un contrôle aux États-Unis, il n’en est rien à l’échelon européen. Le Vieux continent a visiblement décidé de se focaliser sur l’enjeu en matière de concurrence, préférant regarder s’il existe déjà du chiffre d’affaires et des produits alternatifs sur le marché. Seule une poignée de pays ont choisi de fixer, au niveau national, un seuil de transaction volontairement bas (Allemagne et Autriche, par exemple) pour capter un maximum de transactions. Les critères restent très vagues au niveau européen. Une large panoplie de situations permettent, en l’état, de faire remonter un dossier jusqu’à la Commission.

Les États, au même titre que les personnes intéressées, peuvent saisir cette opportunité. Les instances supranationales vont se pencher sur les rachats d’entreprises disposant de technologies dites 'disruptives'. C’est le cas des BioTech et, par extension, des MedTech et DeepTech. Le contrôle concernera surtout les deals qui échappent aux critères fixés par les États. Pour ces derniers, c’est une façon supplémentaire de se protéger en élargissant le champ des contrôles. Mais cela peut également créer des situations dans lesquelles les décisions prises aux niveaux national et supranational seraient contradictoires. Il reste à penser l’articulation entre ces deux échelons, bien qu’on imagine que les parties puissent faire part de leurs remarques et arguments. Le mécanisme se met en ordre de bataille.

Comme la crise du Covid-19 l’a démontré à travers les succès de BioNTech et Moderna, les secteurs de la BioTech et la MedTech sont stratégiques. Sont-ils sujets à la prédation des grands groupes ? Existe-t-il un enjeu politique autour de cette volonté de mieux contrôler les acquisitions de startups à l’avenir ?

A.-C. R. : Les BioTech sont un des secteurs les plus en proie à ce type d’acquisitions et qui échappent actuellement aux contrôles. Non seulement parce que les laboratoires pharmaceutiques disposent de très gros budgets, mais aussi parce qu’ils peuvent très facilement arrêter le développement d’un produit. C’est ce qu’on appelle la “discontinuance”. Ces mastodontes affirment généralement qu’en cas de rachat de leur part, ils conserveront la technologie qui prouve être la plus efficace entre celle développée en interne ou celle qui vient d’être rachetée. Cela semble moins fréquent ou institutionnel pour les groupes se portant acquéreurs dans les secteurs de la MedTech ou, plus généralement, du numérique, qui font souvent état d’un début de déploiement commercial au moins. Et, derrière tout cela, bien sûr qu’il existe un enjeu politique.

L’article 22 est à rapprocher des contrôles existants des investissements étrangers : s’il y a une volonté de préserver la concurrence, l’intérêt est aussi de conserver les savoir-faire nationaux. Les Etats craignent de perdre progressivement leurs meilleures cartouches. On le voit clairement en matière de M&A [fusion-acquisition, NDLR.]. Toujours est-il que ces nouvelles procédures vont se mettre en place à l’usage. Un certain nombre de deals en cours sont déjà potentiellement concernés. Je pense que les spécialistes ont, comme moi, hâte de voir comment cela va se mettre en place. Une chose est sûre : les conséquences concrètes se feront sentir lorsque nous aurons davantage besoin de nous appuyer sur nos équipes dédiées à la concurrence dans le cadre des opérations que nous supervisons.

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Légende photo :
Diana Polekhina