Cet article est republié à partir de The Conversation France
Comme nous le rappelons dans un article, paru mi-2020 dans la revue Ivey Business Journal, la pandémie de Covid-19 a offert aux entreprises un choix simple : s'adapter ou mourir. Certaines organisations ont répondu à ce dilemme en engageant davantage leurs clients à travers la mise en œuvre d’une transformation digitale accélérée, tandis que d’autres ont endossé un rôle social pour renforcer leur présence auprès de leurs clients.
Les résultats en matière d’engagement client, pendant cette expérience extrême de distanciation sociale, ont naturellement été mitigés, et pas seulement en raison de la nature sans précédent de la perturbation créée par la pandémie, mais également en considération des stratégies et outils mis en place par les entreprises pour garder le lien et engager ou réengager leurs clients dans l’ère post-pandémique.
Privés d'événements
La pandémie a en effet fortement changé le comportement des individus, qui par obligation ou par choix, ont limité leurs interactions physiques et privilégié les achats en ligne ou sans contact. Du côté des marques, les événements comme les lancements de produits, les grands événements culturels et sportifs, étaient traditionnellement autant d’occasions de faire vivre des expériences aux consommateurs, ce qui permettait d’accroître leur engagement avec les marques, c’est-à-dire "l’intensité de la participation et de la connexion d’un individu aux offres et/ou aux activités d’une organisation".
Or, comme nous le rappelions, l’expérience est devenue "un concept incontournable dans les stratégies de marketing contemporaines, à tel point que presque tous les produits et services sont désormais vendus comme une 'expérience' " . Dans le contexte sanitaire actuel, de nombreux salons professionnels et événements sportifs et culturels ayant été annulés ou maintenus uniquement à distance, les organisations sont donc contraintes de repenser cet engagement.
Nous proposons ainsi trois approches, qui font référence à différents domaines hautement expérientiels, qui peuvent aider à comprendre comment réengager les publics : la gamification, l’"edutainment" et le "phygital".
Jeux vidéos et éducation
Le premier levier consiste à recourir à la "gamification" , c’est-à-dire l’utilisation des mécaniques de jeu. En effet, les théories des jeux vidéos démontrent que, plus un joueur est immergé, plus il est engagé. Par exemple, le Player immersion Model met ainsi en évidence six types d’immersion : kinesthésique, spatiale, partagée, narrative, affective et ludique. Ces dimensions soulignent que l’action, l’environnement sensoriel, l’interactivité sociale, l’intrigue, les émotions générées et les défis proposés (accomplissements) favorisent l’immersion des joueurs. En étudiant les communautés de marques gamifiées, des chercheurs ont ainsi montré qu’utiliser des fonctionnalités de gamification qui favorisaient l’accomplissement et aident à l’interaction sociale des consommateurs augmentaient l’engagement avec la marque.
Le deuxième levier, "l’edutainment" (contraction d’" entertainment " – divertissement – et éducation), vise à capter et maintenir l’attention des apprenants en sollicitant leurs émotions et en rendant l’apprentissage ludique. L’engagement vient là en grande partie de la motivation des apprenants. Plus précisément, les chercheurs distinguent deux types de motivations : intrinsèque, définie comme une tendance à s’engager dans des activités pour elles-mêmes, juste pour le plaisir qu’on en retire, et extrinsèque, afin d’obtenir une reconnaissance, des notes ou des récompenses.
Les motivations intrinsèques sont celles qui génèrent le plus d’engagement. Elles sont favorisées par de nombreux facteurs comme proposer des activités impliquantes, variées et nouvelles, donner et recevoir du feedback constructif ou donner du sens aux tâches à accomplir.
Pour les entreprises, co-construire des initiatives qui donnent du sens aux clients apparaît ainsi comme un facteur essentiel favorisant l’engagement. Pendant le premier confinement, les marques sportives avaient par exemple retransmis de nombreux matchs historiques et avaient également sollicité les fans pour qu’ils partagent leurs souvenirs. De même, Disneyland Paris avait proposé des événements personnalisés et interactifs (chasse au trésor dans le parc à distance) afin de maintenir le lien avec certains clients VIP.
L’humain au cœur de la stratégie digitale
Le concept de "phygital" , contraction des termes physique et digital, constitue le troisième levier pour relancer l’engagement des clients. Cette notion désigne un écosystème où l’être humain est mis au centre de la stratégie digitale et marketing de l’entreprise, de manière à proposer des expériences connectées, où le physique et le numérique coexistent et créent un continuum de valeur, en allant de l’expérience offline (physique) vers l’expérience online (digitale) et vice-versa. Or, nous démontrons que "l’expérience client est vécue comme un continuum entre le contexte physique et le contexte digital créant un nouvel environnement phygital […] sans barrière et avec beaucoup de fluidité".
La distanciation sociale qui a limité le contact des clients avec les marques et surtout leur présence dans les magasins a de ce fait amené certaines marques, en particulier dans le domaine du luxe, à développer des services regroupant des prestations online et offline. Par exemple, la maison de haute couture Dior, en collaboration avec Snapchat, a mis en place une application de virtual try-on (essayage virtuel), qui permet aux clients d’essayer des baskets chez eux en utilisant la technologie de la réalité augmentée et ainsi vivre une expérience similaire à celle qu’ils auraient pu vivre dans les boutiques.
En synthèse, les marques peuvent surmonter l’obstacle de la distanciation sociale et favoriser l’engagement des consommateurs si elles se concentrent sur trois points clés : la proximité et la co-construction avec les consommateurs, leur donner du sens et donc être engagée et proposer des environnements immersifs phygitaux mixant digital et contacts physiques.
Olivier Kovarski, Professeur de marketing, EM Normandie – UGEI et Wided Batat, Professeur en marketing, EM Normandie – UGEI