Republication d'un article original publié sur The Conversation
Depuis le 1er janvier 2017, la loi Sauvadet impose un taux minimum de primo-nomination, "au moins 40 % de personnes de chaque sexe", aux principaux emplois de l’encadrement supérieur, de l’État, des collectivités territoriales et de la fonction publique hospitalière. À ce titre, la ville de Paris a été sanctionnée pour avoir tenté de rééquilibrer les femmes et les hommes aux postes décisionnaires. En 2018, la ville de Paris avait effectué 16 nominations de directeurs et sous-directeurs, dans de nouveaux emplois. Ces nouvelles nominations avaient bénéficié à 11 femmes et seulement 5 hommes. Ces promotions jugées comme "trop favorables" aux femmes ont contribué "au non-respect de l’objectif légal de 40 % de nominations de personnes de chaque sexe dans ces emplois" , indique le ministère.
Cependant, cette situation ne durera pas. La loi de transformation de la fonction publique d’août 2019 a prévu une dispense de pénalités, pour les employeurs qui nomment trop d’hommes ou de femmes, si cela n’aboutit pas à un déséquilibre parmi les emplois concernés. Désormais, pour observer l’équilibre entre les femmes et les hommes, les primo-nominations ne seront plus utilisées uniquement. Un prisme d’appréciation plus global, au niveau de l’emploi dans sa totalité sera pris en considération.
Mais quid de la place des femmes aux postes décisionnaires dans notre pays ? Les objectifs chiffrés sont-ils une solution pour favoriser davantage de femmes à des postes de leadership ?
Les femmes encore minoritaires aux postes de direction
De nombreux observateurs et militants ont qualifié d’"ubuesque" les pénalités financières pour non-respect des quotas de la mairie de Paris, compte tenu de la place des femmes aux postes décisionnaires, dans notre pays. À titre d’exemple, dans les administrations publiques, 37 % de femmes occupent des postes de direction, en 2018. Elles constituent 41,3 % des postes de cadres, dans le secteur privé, en 2019. Grâce à la loi Copé-Zimmermann, leur place dans les conseils d’administration a largement progressé, atteignant 45,2 % en 2019.
Cependant, les inégalités persistent et demeurent flagrantes entre les sexes. Les femmes gagnent en moyenne 20 % de moins que les hommes et seulement 4 % sont PDG ou présidents de conseil d’administration. Dans les comités exécutifs des entreprises du CAC40, elles constituent 18,2 % des postes de direction. En mars 2020, seulement deux femmes sont présidentes de conseil d’administration. Sophie Bellon pour Sodexo et Anne-Marie Couderc, pour Air France.
Mais pourquoi un tel phénomène persiste-t-il ? Les femmes sont-elles moins compétentes que leurs homologues masculins, lorsqu’elles occupent des fonctions de direction ? Disposent-elles de compétences différentes des hommes qui les empêcheraient d’être promues à des fonctions de leadership ? Possèdent-elles un style de leadership différent des hommes ?
Qu'est-ce que le leadership ?
Le pouvoir se définit comme l’habileté d’un individu à faire faire quelque chose à autrui, en raison de sa position dans la hiérarchie. Le leadership, notion extrêmement proche du pouvoir, est la capacité d’un individu à influencer, motiver et permettre à un collectif d’atteindre un objectif partagé, au sein d’une organisation Les études sont assez claires quant aux différences entre les sexes en matière de leadership.
Le sexe de l’individu ne détermine pas ses comportements de leadership. La faible représentation des femmes à des fonctions de direction ne s’explique donc pas par un style de leadership, différent de celui des hommes. Ce n’est pas parce que l’on nomme une femme à un poste de direction, qu’elle impactera une dynamique de leadership spécifique, articulée autour de la douceur, de la bienveillance et de la communication.
Et inversement, la promotion d’un homme n’entraînera pas un style de management autoritaire, directif et dominant. Il existe des façons d’exercer du leadership de manière efficace, et le sexe de l’individu n’a aucune incidence sur la performance.
Des stéréotypes coriaces
Par contre, les études indiquent que notre société a une représentation stéréotypée du dirigeant. Le leader s’associe automatiquement à un homme fort, puissant et dominant. L’aphorisme "Think leader – Think male" illustre le biais, conscient ou inconscient, qui s’opère dans la tête des décideurs. Lorsque l’on doit recruter un dirigeant, l’on associera automatiquement cette fonction à un homme. Il nous faudra donc, un effort supplémentaire pour associer cette fonction à une femme. Voilà pourquoi, il est si difficile pour les femmes d’accéder au sommet de la hiérarchie des entreprises ou des administrations publiques.
À ce titre, une étude du Forum économique mondial de 2019 indique qu’au rythme où vont les évolutions en matière d’égalité, il faudra attendre presque 100 ans en France, pour atteindre l’égalité professionnelle ! Il est alors temps de trouver des solutions pour établir davantage d’égalité dans les instances de pouvoir. Les objectifs chiffrés en matière de nomination des femmes et des hommes seraient-ils une solution ?
Des objectifs chiffrés controversés
Les objectifs chiffrés, en matière de nomination des femmes et des hommes sont associés aux quotas. Les quotas ont pour objectif de briser le plafond de verre, cette barrière invisible qui empêche les femmes d’accéder au sommet de la hiérarchie.
En introduisant massivement des femmes dans des positions où elles sont absentes, les quotas sont supposés donner l’impulsion nécessaire à un cercle vertueux, qui permettrait aux femmes de grimper dans la hiérarchie. Les quotas augmenteraient à la fois, le vivier de talent de femmes qualifiées pour les positions les plus élevées, et permettraient de réduire les discriminations à l’encontre des femmes, en mettant en lumière leurs compétences de leader. Cependant, en France les quotas viennent bouleverser le mythe universaliste de la méritocratie et de l’universalité face à l’article 1 de la Constitution.
Certes, mais de nombreuses études soulignent l’effet bénéfique des quotas sur la présence des femmes à des fonctions de leadership, aussi bien dans la sphère politique, que dans les entreprises privées et le secteur public. Sans de telles mesures contraignantes, les femmes n’auraient pas pu atteindre de telles positions. Les quotas sont donc, bel et bien, un instrument pour induire le changement : le changement de nos représentations sur les caractéristiques de nos leaders.
Permettre à notre œil de s’habituer à voir émerger des leaders différents, de nouveaux rôles-modèles et une opportunité de recruter nos futurs dirigeants en fonction de leurs compétences et non de leur appartenance, réelle ou supposée, à une représentation du leader stéréotypée.
Sarah Saint-Michel est maître de conférences, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.